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de dire, que pour ce qui est du bien, nous ne voulons rien, et nous ne faisons rien sans le secours de Dieu. C'est tout ce qu'il peut souffrir à saint Augustin; et, dit-il (1), s'il pousse quelquefois sa pensée jusqu'à établir une grâce qui nous fasse agir efficacement, il étend trop loin ses principes.

Ce quelquefois est tout-à-fait de mauvaise foi, ou d'une extrême ignorance. Car de dire que saint Augustin n'ait établi que quelquefois une grâce qui nous fasse agir efficacement, on en sera démenti à toutes les pages qu'on voudra ouvrir de ses divins écrits. Ou il n'a jamais établi cette sorte de grâce, ou il l'a établie un million de fois et partout. Car partout cette efficace revient, et le quelquefois n'a point de lieu. C'est aussi d'où je conclus que cette partie de la doctrine de saint Augustin ne peut avoir été que les papes ignorée de personne; d'où il s'ensuit qui ont approuvé la doctrine de ce Père, non-seulement sur la grâce, mais encore sur le libre arbitre DE GRATIA ET LIBEKO ARBITRIO (2), ne peuvent l'avoir approuvée que dans la présupposition d'une grâce qui nous fasse agir efficacement; et que si c'est en cela que saint Augustin, comme l'enseigne M. Simon, étend trop loin ses principes, l'Eglise qui a réprimé ceux qui l'accusoient d'avoir excédé, est complice de ses excès.

(1) P. 297. — (3) Epist. Hormisd. ad Poss

CHAPITRE VI.

Que M. Simon continue à faire un crime à saint Augustin de l'efficace de la gráce: trois mauvais effets de la doctrine de ce critique.

CETTE erreur de M. Simon règne dans tout son ouvrage. Cette grâce, qui tourne les cœurs comme il lui plaît, qu'on appelle par cette raison la grâce efficace, parce qu'elle agit efficacement en nous, et qu'elle nous fait effectivement croire en Jésus-Christ, est partout l'objet de son aversion (?); partout il trouve mauvais que saint Augustin ait enseigné (2) que ceux à qui Dieu accorde cette gráce ne la rejettent jamais, parce qu'elle ne leur est donnée que pour óter entièrement la dureté de leurs cœurs. Il loue saint Chrysostôme (3) de n'avoir point eu recours à cette grâce, qu'il appelle par dérision la gráce efficace de saint Augustin (4), comme si ce Père en étoit l'auteur; au lieu que certainement on la trouve dans tous les saints, et même dans saint Chrysostôme, et qu'elle est aussi ancienne que les prières de l'Eglise, où elle se fait remarquer à toutes les pages. C'est pour exclure cette grâce, qu'il aime à dire et à faire dire aux anciens auteurs, sans correctif (5), que l'homme est le maître de sa perte et de son salut: que son saut et sa perte dépendent absolument de lui: qu'il est entièrement maître de ses actions; ce qui au sens naturel emporte l'exclusion (1) Pag. 294, 295, et suiv. (2) S. Aug. de præd. SS. c. vIII. — (3) P. 154. — (4) P. 296. — (5) Pag. 121, 290.

de

de ces voies secrètes de changer les cœurs, qu'on trouve dans tous les Pères, et non-seulement dans toutes les prières de l'Eglise, mais encore dans toutes les pages des livres divins.

Aussi est-ce un fait si constant, que personne ne le nie. On dispute bien dans l'Ecole de la manière dont Dieu touche l'homme de telle sorte qu'il lui persuade ce qu'il veut, et des moyens de concilier la grâce avec le libre arbitre; et c'est sur quoi saint Augustin même n'a peut-être voulu rien déterminer, du moins fixement, content au reste de tous les moyens par lesquels on établiroit le suprême empire de Dieu sur tous les cœurs. Pour le fond, qui consiste à dire que Dieu meut efficacement les volontés comme il lui plaît, tous les docteurs sont d'accord qu'on ne peut nier cette vérité, sans nier la toute-puissance de Dieu, et lui ôter le gouvernement absolu des choses humaines; mais encore que cette doctrine de l'efficace de la grâce, prise dans son fond, soit reçue sans contestation dans toute l'Ecole, M. Simon ne craint pas de la confondre avec la doctrine des hérétiques, ce qui fait trois mauvais effets: le premier, de mettre saint Augustin, qui constamment, selon lui, reconnoît cette efficace de la grâce, au nombre des hérétiques : le second, de mettre par ce moyen'la cause des hérétiques à couvert, en leur donnant un défenseur que personne ne condamne et le troisième, de condamner un dogme, sans lequel il n'est pas possible de prier, comme nous verrons bientôt que toutes les prières de l'Eglise nous le font sentir.

BOSSUET. V.

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Le critique rend irrépréhensibles les hérétiques, qui font Dieu auteur du péché, en leur donnant saint Augustin pour défenseur.

L'EXCUSE que M. Simon prépare à nos hérétiques s'étend encore plus loin, puisqu'elle va même à les rendre irrépréhensibles en ce qu'ils font Dieu auteur du mal. Nous avons vu (1), pour une autre fin, quelques endroits où il attribue constamment cette doctrine impie à saint Augustin; et le premier, lorsqu'en parlant de Pélage, il s'accorde, dit-il (2), avec les anciens commentateurs, dans l'interprétation de ces paroles TRADIDIT ILLOS DEUS, etc. Dieu les a livrés à leurs désirs, bien qu'il soit éloigné de saint Augustin. Mais en quoi s'éloigne-t-il de saint Augustin? les paroles suivantes le montrent cette expression, poursuitil, ne marque pas, dit Pélage, que Dieu ait livré lui-même les pécheurs aux désirs de leur cœur, comme s'il étoit la cause de leurs désordres. S'il s'éloigne de saint Augustin, en ce qu'il ne fait pas Dieu auteur des désordres, saint Augustin l'en fait donc l'auteur. Voilà par un même coup ce Père au rang des impies, qui font Dieu auteur du mal, et les hérétiques hors d'atteinte; puisqu'on ne pourra plus les condamner qu'avec un docteur si approuvé.

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Nous avons aussi remarqué (1), encore pour une autre fin, l'endroit où blâmant Bucer d'autoriser, par les anciens Pères, sa doctrine sur la cause de l'endurcissement des pécheurs, il lui répond: Qu'à la réserve de saint Augustin, toute l'antiquité lui est contraire. Il demeure pourtant d'accord (2) que Bucer, Luther et Calvin établissent également la souveraine puissance de Dieu sans avoir aucun égard au libre arbitre de l'homme; ce qui emporte que Dieu est auteur du mal comme du bien; et malgré l'impiété de cette doctrine, quelques louanges qu'il fasse semblant de vouloir donner à saint Augustin, il abandonne ce Père à ces hérésiarques, comme un docteur de néant.

On voit par-là le mauvais esprit dont il est emporté. Lorsqu'il blâme les erreurs d'un côté, il les' autorise de l'autre. Il est vrai qu'il paroît contraire à la doctrine qui fait Dieu auteur du péché; mais en même temps il la met au rang des doctrines irrépréhensibles, en lui donnant un partisan tel que saint Augustin; de sorte que plus il improuve une doctrine, dont il rend la condamnation impossible, plus il plaide la cause de la tolérance.

Pour donner encore plus d'autorité à ce sentiment impie, qui fait Dieu auteur du péché, il implique saint Thomas avec saint Augustin dans cette cause (3), et ose faire des leçons au dernier (4) sur la doc trine qu'il a établie dans les livres contre Julien, et dans celui de la Grâce et du Libre arbitre, comme s'il étoit l'arbitre des théologiens; au lieu que bien constamment l'ignorance qu'il fait paroître dans

(1) Ci-dessus, l. vii. ch. 1v. — (2) P. 747. — (3) P.475. — (4) P. 299.

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