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n'empêchent pas l'exercice du libre arbitre. C'est précisément ce qu'on prétend, et ce que saint Augustin a prétendu démontrer par ces prières. Ce qu'il prétend, encore un coup, c'est de démontrer que Dieu donne, et que Dieu opère cet exercice du libre arbitre en la manière qu'il sait, et qu'il n'a garde de détruire en l'homme ce qu'il y a fait, et ce qu'il lui donne. Car pour ici laisser à part, les prières de l'Eglise, et remonter à la source de l'Ecriture, lorsque dans l'extrême péril de la reine Esther, qui s'exposoit à la mort, en se présentant au roi son mari hors de son rang sans être appelée, elle se mit en prière et y mit tous les Juifs, et que l'effet de cette prière fut que Dieu tourna en douceur l'esprit du roi: CONVERTIT DEUS SPIRITUM REGIS AD LENITATEM (1); en sorte qu'Assuérus, qui avoit d'abord regardé la reine avec des yeux terribles, comme un taureau furieux (2), ainsi que saint Augustin a lu (3) après les Septante, donna le signe de grâce, en étendant son sceptre d'or vers cette princesse (4), et lui promit de faire ce qu'elle voudroit Dieu lui óta-t-il son libre arbitre, ou l'Eglise prioit-elle Dieu de l'en priver? N'est-ce pas par son libre arbitre que ce roi sauva les Juifs et punit Aman; et tout cela néanmoins fut l'effet de la prière et de la secrète et très-efficace puissance, par laquelle, dit saint Augustin (5), Dieu changea le cœur du roi, de la colère où il étoit à la douceur, et de la volonté de nuire à la volonté de faire grace.

:

(1) Esth. iv. 16. — (2) Ibid. xv. 11.- (3) Lib. 1. ad Bonif. cap. xx.
(4) Esth. ibid. v. 2. —
(5) Ibid.

1

que

Et lorsque David ayant appris qu'Achitophel, dont les conseils étoient écoutés comme des oracles, étoit entré dans le parti rebelle, il fit à Dieu cette prière: Renversez, Seigneur, le conseil d'Achitophel (1). Cette prière ne fut-elle pas accomplie par le libre arbitre des hommes ? Ce fut sans doute par son libre arbitre que David renvoya Chusaï à Absalom (2): ce fut par son libre arbitre Chusai proposa un mauvais conseil ce fut par son libre arbitre qu'Absalom le préféra à celui d'Achitophel qui étoit meilleur (3): ce fut néanmoins par tout cela que le conseil d'Achitophel fut renversé, et que la prière de David fut exaucée; et lorsque l'Ecriture dit que le conseil d'Achitophel, qui étoit utile, fut dissipé par la volonté de Dieu, DOMINI NUTU (4); que nous dit-elle autre chose, sinon qu'il tourne où il veut le libre arbitre?

C'est sur les exemples de ces prières publiques et particulières que l'Eglise a formé les siennes; et si l'on nous dit que ce sont là des extraordicoups naires, et comme miraculeux de la main de Dieu, et qu'il ne faut pas croire pour cela qu'il se mêle de la même sorte dans les autres affaires des hommes, et en particulier dans celle du salut, c'est le comble de l'aveuglement; car au contraire, c'est du salut éternel des hommes que Dieu se mêle principalement. Ce n'étoit pas un secours extraordinaire et miraculeux que demandoit le prophète, en disant : Convertissez-moi 5); c'étoit néanmoins un secours très-efficace et tout-puissant, puisqu'il l'exprime en

(1) II. Reg. xv. 31. — (2) Ibid. 34. · (4) Ibid. 14. (5) Jerem. XXXI. 18, 19.

(3) Ibid. xvII. 7, etc.

-

ces termes: Convertissez-moi, et je serai converti; parce que vous êtes le Seigneur mon Dieu (qui pouvez tout sur ma volonté); car après que vous m'avez montré vos voies (de cette manière secrète et particulière que vous savez) j'ai frappé mes genoux, en signe de douleur. On ne pouvoit pas exprimer plus clairement cette grâce toujours suivie de l'effet; quoique David l'exprime encore en moins de mots et avec autant d'énergie, lorsqu'il dit: Aidez-moi, et je serai sauvé (1), nous faisant sentir en deux si courtes paroles, cet infaillible secours avec lequel nul ne périt. Cent passages de cette sorte établissent, dans l'ancien Testament, cette grâce qui donne l'effet. Ils sont encore plus fréquens dans le nouveau; mais nous n'avons ici besoin que de l'Oraison dominicale.

CHAPITRE XVIII.

Preuve de l'efficace de la grâce par l'Oraison dominicale.

L'ESPRIT de cette divine prière n'est pas, par exemple, dans cette demande : Que votre nom soit sanctifié, de faire dire au chrétien : Seigneur, faites seulement que je puisse vous sanctifier, et laissezmoi faire ensuite. Ce seroit présumer de soi-même, douter de la puissance que Dieu a sur nous, et désirer trop foiblement un si grand bien. Jésus-Christ nous apprend donc à demander l'actuelle sanctification du nom de Dieu, l'actuel établissement de

(1) Ps. cxvi. 117.

:

son règne en nous, en sorte que dans l'effet rien ne lui résiste la parfaite conformité de notre volonté avec la sienne, ce qui sans doute ne se sauroit faire que par notre volonté; mais en la demandant à Dieu, on montre qu'il en est le maître.

Et quand on dit : Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour, pour ne point encore parler du sens spirituel de cette demande, on demande sans difficulté, que nous l'ayons actuellement, et tous les jours, ce pain nécessaire à notre vie; ce qui n'empêchera pas qu'il ne nous soit donné par notre travail volontaire, et souvent par la bonne volonté et les aumônes de nos frères; auquel cas, ce n'est pas moins Dieu qui nous le donne, parce que c'est lui qui tient en sa main la volonté de tous les hommes, et qui leur inspire effectivement tout ce qu'il lui plaît.

CHAPITRE XIX.

Les deux dernières demandes expliquées par saint Augustin et par les prières de l'Eglise, démontrent l'efficace de la grâce.

MAIS de toutes les demandes de l'Oraison dominicale, celles qui marquent le plus l'effet certain de la grâce, sont les deux dernières ne nous induisez point en tentation, mais délivrez-nous du mal. Car, comme dit excellemment saint Augustin: Celui qui est exaucé dans une telle prière, ne tombe point dans les tentations qui lui feroient perdre la persé

vérance (1). Il aura donc ce présent divin par lequel très-certainement il est sauvé; et l'effet de cette prière est que Dieu nous mène actuellement au salut.

Mais, poursuit saint Augustin, c'est par sa propre volonté qu'on abandonne Dieu, et qu'on mérite d'étre abandonné. Qui ne le sait pas ? Aussi c'est pour cela qu'on demande qu'on ne soit point induit en tentation, afin que cela n'arrive point; c'est-àdire, afin qu'il n'arrive point, ni que nous quittions Dieu, ni qu'il nous quitte; et si l'on est exaucé dans cette prière, et que ce mal n'arrive point, c'est que Dieu ne l'aura pas permis, étant impossible qu'il arrive rien que ce qu'il veut, ou qu'il permet. Il peut donc et tourner au bien les volontés, et les relever du mal, et les diriger à ce qui lui est agréable, puisque ce n'est pas en vain qu'on lui dit : SEIGNEUR, VOUS NOUS DONNEREZ LA VIE EN NOUS CONVERTISSANT; et encore: NE LAISSEZ POINT VACILLER MES PIEDS; et encore : NË ME LIVREZ POINT AU PÉCHEUR PAR MON DÉSIR; et enfin : NE NOUS LAISSEZ POINT TOMBER EN TENTATION. Car celui qui ne tombe point dans la tentation, sans doute ne tombe point dans la tentation de la mauvaise volonté. Quand donc on demande à Dieu qu'il ne nous induise point en tentation, c'est-à-dire, qu'il ne permette, qu'il ne souffre pas que nous y soyons induits, on reconnoit qu'il empêche notre mauvaise volonté; par où il est manifeste que c'est par la grâce que nous sommes parfaitement délivrés du mal, c'est-à-dire, principalement du mal du péché, qui est le plus (1) De don. pers. c. VI. n. 11, 12.

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