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plutôt, lorsqu'ils disent qu'il y en a que Dieu force malgré qu'ils en aient à faire le bien; qu'il attire, soit qu'ils le sachent ou non, malgré toute leur résistance, et soit qu'ils le veuillent, ou qu'ils ne le veuillent pas (1). Je ne crois pas qu'en parlant ainsi, Cassien, le père des semi-pélagiens, ait voulu dire qu'en émouvant l'homme, Dieu lui ôtât absolument son libre arbitre, pour lequel il combat tant dans les endroits mêmes d'où ces paroles sont tirées ; mais, quoi qu'il en soit, il parle de sorte qu'il donne lieu à saint Prosper de le reprendre (2) de partager mal à propos le genre humain, et de nier dans les uns le libre arbitre, et la grâce dans les autres (3). Il n'y a nul inconvénient que des esprits, à qui la justesse et la profondeur manquent, et qui se laissent dominer à leur prévention, agissant par des mouvemens irréguliers, outrent d'un côté ce qu'ils relâchent de l'autre. Ce qui est certain, c'est qu'ils avouent que Dieu change les volontés comme il lui plaît, ainsi que saint Prosper le reconnoît; et qu'à regarder la consommation des bonnes œuvres, et l'exclusion parfaite du péché, ils parlent, à peu près, comme les autres docteurs, se réservant de laisser, quand ils vouloient, au libre arbitre, le commencement de la piété, encore que quand ils vouloient ils le donnassent aussi à la grâce.

Le fond de cette doctrine venoit de Pélage, dont saint Augustin rapporte un mémorable passage (4), où il reconnoît que Dieu tourne où il lui plaît le

(1) Cass. coll. x. cap. XVII, XVIII. (a) Cont. coll. n. 21. • (3) Coll. m. c. xv. Coll. 1x. c. xx111. Coll. xii. c. iv, vi. Coll. xiii. C. IX, XI, XII, XIV, et seq. (4) De gratiá Christ. l. 1. c. xxi.

:

cœur de l'homme, UT COR NOSTRUM QUO VOLUERIT DEUS IPSE DECLINET « Voilà, dit saint Augustin, » un grand secours de la grâce de tourner le cœur » où il lui plaît; mais, poursuit ce Père, Pélage » veut qu'on mérite ce secours par le pur exer» cice de son libre arbitre; lorsque nous souhaitons >> que Dieu nous gouverne, lorsque nous mortifions »> notre volonté, que nous l'attachons à la sienne, » et que devenant avec lui un même esprit, nous » mettons notre cœur en sa main, en sorte qu'il en » fait après tout ce qu'il veut ». Pélage n'a donc pu nier que Dieu peut tout sur le libre arbitre de l'homme. Cette vérité étoit établie par trop de témoignages de l'Ecriture et trop constante dans l'Eglise pour être niée; et tout ce que put inventer cet hérésiarque, en faveur du libre arbitre, c'est que si Dieu avoit un pouvoir si absolu sur nos volontés, c'étoit nous-mêmes qui le lui donnions; mais saint Augustin le force dans ce dernier retranchement, par ces paroles (1): « Je voudrois bien qu'il » nous dît si Assuérus, ce roi d'Assyrie, dont Esther » détestoit la couche, pendant qu'il étoit assis sur » son trône, chargé d'or et de pierreries, et regar>> doit cette sainte femme avec un œil terrible comme » un taureau furieux, s'étoit déjà tourné du côté » de Dieu par son libre arbitre, souhaitant qu'il gouvernât son esprit et qu'il mît son cœur en sa >> main? Ce seroit être insensé de le croire ainsi, et » néanmoins Dieu le tourna où il vouloit, et chan» gea sa colère en douceur, ce qui est bien plus

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(1) De gratiá Christ. l. 1. c. xxiv.

>> admirable que s'il l'avoit seulement fléchi à la clé» mence, sans l'avoir trouvé possédé d'un sentiment » contraire ». Afin donc d'avoir tout pouvoir sur le cœur de l'homme, Dieu n'attend pas que l'homme le lui donne. Qu'ils disent donc, poursuit ce Père, et qu'ils entendent, que par une puissance cachée et aussi absolue qu'elle est ineffable, sans l'emprunter de personne, Dieu opère dans le cœur de l'homme toutes les bonnes volontés qu'il lui platt.

CHAPITRE XXVI.

La prière de Jésus-Christ pour saint Pierre : J'ai prié pour toi; en saint Luc, xxII. 32: application aux prières de l'Eglise.

JÉSUS-CHRIST a déclaré très-manifestement cette puissance dans cette prière qu'il fait pour saint Pierre : J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. Personne ne doute que saint Pierre ne dût croire par sa volonté, et par conséquent que ce ne fût le libre exercice de la volonté que JésusChrist demandoit pour lui. On ne doute pas non plus que le Fils de Dieu n'ait été exaucé dans cette demande, puisqu'il dit lui-même à son Père: Je sais que vous m'exaucez toujours, ni par conséquent que ce libre arbitre si foible, par lequel dans quelques heures cet apôtre devoit renier son maître, après la prière de Jésus-Christ, ne dût être fortifié en son temps, jusqu'à devenir invincible. Par conséquent on ne doute pas que Dieu ne puisse tout

sur nos volontés. C'est en cette foi que l'Eglise demande à Dieu qu'il convertisse les pécheurs, et qu'il donne aux justes l'actuelle persévérance. Elle prie au nom de Jésus-Christ, ou plutôt c'est JésusChrist qui prie en elle; il y est donc aussi exaucé. Il n'est pas permis de douter que tous ceux à qui il applique de la manière qu'il sait, les prières de son Eglise, ne reçoivent secrètement en leur temps cette grâce qui convertit, et qui fait persévérer jusqu'à la fin dans le bien. C'est donc une vérité qui ne peut être révoquée en doute, que Dieu a des moyens certains de faire tout le bien qu'il veut dans nos volontés; et ces moyens, quels qu'ils soient, c'est ce que l'Ecole appelle la grâce efficace. Voilà le fond de la doctrine de saint Augustin. Si M. Simon la méprise, et ne connoît point cette grâce, qu'il ne trouve point dans Grotius et dans ses autres théologiens, la vérité de Dieu n'en est pas moins ferme, et les prières ecclésiastiques n'en sont ni moins véritables, ni moins efficaces.

CHAPITRE XXVII.

Prière du concile de Selgenstad avec des remarques de Lessius.

POUR montrer que l'Eglise catholique n'a jamais dégénéré de cette doctrine, après avoir rapporté les anciennes prières, où elle se trouve si clairement établie, il ne sera pas hors de propos d'en réciter quelques-unes de celles qu'elle a produites dans les

siècles postérieurs. En voici une du concile de Selgenstad, dans la province de Mayence, de l'an 1022, sous le pape Benoît VIII, composée pour être faite à l'ouverture des conciles, et devenue en effet une prière publique de ces saintes assemblées : Soyez présent au milieu de nous, Seigneur; Saint-Esprit, venez à nous, entrez dans nos cœurs, enseigneznous ce que nous avons à faire; montrez-nous où nous devons marcher; soyez l'instigateur et l'auteur de nos jugemens; unissez-nous efficacement à vous par le don et par l'effet de votre seule grâce, afin que nous soyons un en vous, et que nous ne nous écartions en rien de la vérité.

Il ne faut point de commentaire à cette prière. On y voit clairement, comme le remarque Lessius qui la rapporte (1), qu'on y demande au SaintEsprit que les Pères du concile soient rendus véritablement et avec effet, REVERA ET CUM EFFECTU, unanimes dans leurs sentimens. C'est ce qu'il trouve principalement dans ces paroles : Unissez-nous efficacement à vous; ce qu'il explique par ces autres termes Tirez-nous à vous de telle sorte que l'effet s'ensuive véritablement, en sorte que nous soyons unis en vous par une véritable charité; à quoi le même auteur ajoute encore : Que le SaintEsprit nous unit et nous tire à lui efficacement, lorsqu'il emploie cette manière de nous tirer par laquelle il sait que nous viendrons très - certainement, de notre plein gré toutefois; ce qui montre tout à la fois et la liberté de l'action et la certitude de l'effet.

(1) Disput. apolog, de gratiá, etc. c. XVIII. n. 6.

On

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