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livrée à le commettre, que celle de Satan; mais l'exemple de Job fait voir que, dans toutes ses entreprises, il a des bornes qu'il ne peut outre-passer. Frappe sur ses biens, mais ne touche pas à sa personne: frappe sa personne, mais ne touche pas à sa vie (1). C'est ce que lui dit la loi souveraine à laquelle il est assujetti; et loin que ce malin esprit puisse attenter, comme il lui plaît, sur les hommes, on voit dans l'Evangile (2) que toute une légion de démons ne peut rien sur des pourceaux, qu'avec une permission expresse. C'est donc une vérité constante, que la puissance de Dieu agit et se mêle dans la permission du péché; et si saint Augustin reprend Julien d'attribuer la permission du péché, non à la puissance, mais à la patience de Dieu, PER DIVINAM PATIENTIAM, c'est à cause que cet hérétique, ennemi de la puissance que Dieu exerce sur la volonté bonne ou mauvaise de la créature, ne vouloit ici reconnoître qu'une simple patience, une simple permission, qui est aussi l'erreur de notre critique.

CHAPITRE XI.

Preuves de saint Augustin sur la vérité précédente : témoignage exprès de l'Ecriture.

QU'AINSI ne soit : écoutons parler saint Augustin même dans l'endroit que cet auteur a repris, et voyons comment il combat ce terme de patience dans l'écrit de Julien (5). C'est en montrant que si

(1) Job. 1. 12. 11. 6.

(2) Matth. viii. Marc. v. - (3) L. v. c. XIII. les

les faux prophètes se trompent, l'Ecriture dit que Dieu les séduit; c'est-à-dire, que par un juste jugement, il les livre à l'esprit d'erreur, pour ensuite étendre sa main sur eux et les perdre sans miséricorde; d'où il conclut que ce n'est donc point une simple patience, mais un acte d'une cause toutepuissante qui veut exercer sa justice. Il demande, dans le même esprit, si c'est par puissance ou par patience que Dieu prononce ces paroles: Qui séduira Achab, roi d'Israël, afin qu'il marche à Ramoth et qu'il y périsse (1); et il parut un esprit qui dit: Je le tromperai, et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes; et le Seigneur dit: Tu le tromperas et tu prévaudras: va et fais comme tu dis; passage terrible, qui nous fait voir que Dieu ne laisse pas seulement agir les mauvais esprits, mais qu'il les envoie et les dirige par sa puissance, afin de punir, par leur ministère, ceux à qui sont dus de semblables châtimens. Cent passages de cette sorte montrent qu'il emploie sa puissance pour faire servir à sa juste vengeance ces esprits exécuteurs de ses jugemens. Ainsi périt ce qui doit périr : ainsi est trompé ce qui le doit être ; et il ne nous reste qu'à nous écrier avec David: Vos jugemens sont un grand abíme (2).

(III. Reg. xxII. 20.— (2) Ps. XLI. 8.

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BossUET. V.

CHAPITRE XII.

Dixième et dernière vérité : les pécheurs endurcis ne font ni au dehors ni au dedans tout le mal qu'ils voudroient; et en quel sens saint Augustin dit que Dieu incline à un mal plutôt qu'à un autre.

PAR la profondeur de ces conseils, il arrive, en dixième lieu, que les esprits, ou des hommes ou des anges qui sont déjà livrés par eux-mêmes à la malice, et dans la suite sont endurcis dans cette funeste disposition, non-seulement n'opèrent pas au dehors le mal qu'ils prétendent, mais ne font pas même au dedans actuellement tous les péchés qu'ils voudroient. Dieu tient leur volonté en sa main, en sorte qu'elle n'échappe que par où il le permet : d'où il résulte qu'il fait ce qu'il veut, même des volontés dépravées : ce qui fait dire à saint Augustin (1), qu'il incline la volonté d'un pécheur déjà mauvaise par son propre vice, à ce péché plutôt qu'à un autre, par un juste et secret jugement; et dans le chapitre suivant : Qu'il agit dans le cœur des hommes pour incliner, pour tourner leur volonté où il lui plait, soit au bien, selon sa miséricorde, soit au mal, selon leur mérite, par un jugement quelquefois connu, quelquefois caché, mais toujours juste.

Ceux qui trouvent cette expression de saint Augustin un peu dure, peuvent s'en prendre à l'Ecriture, où il s'en trouve si souvent de semblables ou (1) De gratiá et lib. arb. c. xx, xxi.'

de plus fortes, qu'on est induit quelquefois à les imiter, et surtout lorsqu'il s'agit d'attérer par quelque chose de fort l'orgueil humain, et d'établir une vérité à laquelle il ne veut pas s'assujettir. Grégoire de Valence, en expliquant le passage dont il s'agit, et comment Dieu incline les cœurs, non-seulement au bien, mais encore au mal, remarque qu'il est auteur, dans les méchans, de tout ce qui précède le péché; où il faut comprendre, non-seulement la force mouvante, c'est-à-dire, le libre arbitre, par lequel il se détermine d'un côté plutôt que d'un autre, mais encore la disposition et présentation des divers objets d'où naissent tous les motifs par lesquels la volonté est ébranlée. Suarez ajoute, qu'il n'y a aucun inconvénient à reconnoître qu'une volonté déjà mauvaise par son propre déréglement et dans une pente, ou plutôt dans une détermination actuelle au mal, ne devenant pas plus mauvaise lorsqu'elle se porte à un objet plutôt qu'à un autre, puisse aussi y être appliquée par une secrète opération de Dieu, qui n'ayant par ce moyen aucune part ni au fond, ni au degré du mal, est libre à diversifier ces mouvemens selon les desseins de sa justice et de sa sagesse éternelle; d'où saint Thomas a pris occasion de dire que Dieu pousse au mal (1) en quelque façon les volontés déjà mauvaises (car il le faut toujours supposer ainsi), en les tournant d'un côté plutôt que d'un autre; ce qu'il faut néanmoins entendre, non d'une impulsion positive qui cause un mouvement déréglé, mais au sens qu'on incline l'eau à précipiter sa chute en levant la digue,

(1) S. Thom, in Rom. 1x.

et qu'on détermine son cours d'un côté plutôt que d'un autre, par l'ouverture qu'on lui laisse libre, en tenant le reste fermé. On dit même communément, qu'on fait tomber une pierre en coupant la corde qui la tenoit suspendue, et ce n'est pas seulement un langage populaire, mais encore un langage philosophique de dire, que l'on opère en quelque sorte un mouvement, lorsqu'on en lève l'obstacle. Dieu donc, sans pousser les hommes ni au mal en général, ni au mal en particulier, tourne la volonté déjà mauvaise et déterminée au mal, à un mal plutôt qu'à un autre, non en lui donnant sa mauvaise pente, ni en la déterminant positivement à aucun mal, mais en lui lâchant ou lui tenant la bride, ce qui n'est point, à le bien entendre, la pousser au mal; mais au contraire, en la retenant d'un certain côté, la laisser tomber de l'autre de son propre poids.

CHAPITRE XIII.

Dieu fait ce qu'il veut des volontés mauvaises.

AINSI, dit saint Augustin (1), et par plusieurs autres manières explicables ou inexplicables, Dieu agit ou par lui-même, ou par les anges, bons ou mauvais, dans les cœurs rebelles; et, ne permettant de péchés que ceux qui mènent à ses fins cachées, il a des moyens admirables et ineffables d'en faire ce qu'il veut : Miris et ineffabilibus modis.

(1) Cont. Jul. l. v. c. 1. De gratiá et lib. arb. c. XXI.

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