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» songer à la fragilité humaine, il a proféré non» seulement avec témérité, mais presqu'avec im

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piété ce grand mot: JE NE SERAI POINT SCANDALISÉ, » QUAND TOUS LES AUTRES LE SEROIENT. Il n'est pas » délaissé médiocrement, ni pour une petite faute, » AD MODICUM; en sorte qu'il reniât une seule fois » seulement; mais il est encore davantage délaissé, » ABUNDANTIUS Derelinquitur, en sorte qu'il reniât jusqu'à trois fois, pour être convaincu de la té» mérité de sa promesse ».

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Ce n'est pas en vain qu'on marque tant ce triple reniement de saint Pierre. Car si l'on y prend garde de près, cet apôtre s'opposa trois fois à la parole de son maître : la première, devant le souper sacré, ou, en tout cas, avant que notre Seigneur fût sorti de la maison où il le fit, lorsqu'ayant répondu à saint Pierre qui lui demandoit où il alloit, qu'il ne pouvoit l'y suivre encore (1), cet apôtre lui soutint qu'il le pouvoit, et apprit dès-lors de son maître, qu'il le renieroit trois fois.

Après que sorti de la maison avec ses disciples, il s'acheminoit avec eux vers la montagne des Olives, il leur déclara que tous, sans exception, seroient scandalisés en lui (2), saint Pierre lui résista une seconde fois, en lui répondant: Quand tous les autres seroient scandalisés, que pour lui il ne le seroit jamais (3).

Ce fut donc là la seconde faute plus grande que la première, puisque dans cette première faute s'étant contenté de présumer de lui-même, ici il s'élève encore au-dessus des autres, comme le plus

(1) Joan. x111. 36. — (2) Matth. xxvi. 30. Marc. xiv. 27. — (3) Ibid.

courageux, lui qui par l'évènement devoit paroître le plus foible. Alors donc pour l'humilier, JésusChrist lui dit : Vous vous élevez au-dessus des autres, et moi je vous dis à vous: Ego dico tibi, en y ajoutant cet Amen, qui étoit dans tous ses discours le caractère de l'affirmation la plus positive : Je vous dis à vous personnellement et en vérité, que dans cette nuit, sans plus tarder, avant que le coq ait achevé de chanter, vous me renierez trois fois. Ce fut sa troisième et dernière faute, qui mit le comble à sa présomption, d'insister toujours davantage, comme le remarque saint Marc (1), at ille ampliùs loquebatur; en sorte que plus le maître lui annonçoit expressément sa chute future avec des circonstances si particulières, plus le téméraire disciple s'échauffoit à lui vanter son courage.

Il étoit donc du conseil de Dieu, qu'ayant fait monter sa présomption jusqu'au comble, comme par trois différens degrés, quoi qu'il en soit, à plusieurs reprises, Dieu lui laissât éprouver sa foiblesse par trois reniemens, et afin qu'on remarquât mieux, dans la diversité de ses reniemens, un ordre particulier de la justice divine, Origène nous fait observer que le premier fut tout simplement par une simple négation, et en disant seulement : Je ne sais ce que vous voulez dire (2): le second avec serment (5), et le troisième, non-seulement avec serment, mais encore avec imprécation et détestation, avec exécration et anathéme (4). Qu'on dispute maintenant contre Dieu, et qu'on lui soutienne qu'il a eu part (2) Matth. XXVI. 70. (3) Ibid. 72. — (4) 16.

(1) Marc. ibid. 31. 74. Marc. XIV. 71.

au

au péché dont le progrès permis de lui dans ces circonstances, marque une si expresse dispensation de sa justice et de sa sagesse; malgré tous ces vains raisonnemens, il demeurera pour certain qu'il y a une proportion entre la présomption et la chute de saint Pierre, entre les premiers péchés de cet apôtre et ceux qui en ont dû faire la peine; puisqu'il est tombé aussi bas qu'il avoit voulu s'élever, et qu'il a été autant enfoncé dans le renoncement, qu'il s'est laissé emporter à la présomption.

Jésus-Christ pouvoit le laisser périr dans sa chute; et quand il laisse périr tant d'autres pécheurs, qu'il livre premièrement à leurs mauvais désirs, et ensuite, par le funeste accomplissement de ces désirs, à la damnation éternelle, il n'y a qu'à adorer sa justice. Mais outre cette rigoureuse justice, il en a une toute pleine de miséricorde, qu'il fait servir à la correction des pécheurs et à l'instruction de son Eglise. C'est celle dont il a usé, parce qu'il lui a plu, envers l'apôtre saint Pierre, « nous apprenant,

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poursuit Origène, à ne jamais rien promettre sur » nos dispositions, comme si nous pouvions de nous» mêmes confesser le nom de Jésus-Christ, ou accomplir quelqu'autre de ses préceptes, mais à profiter au contraire de cet avertissement de saint » Paul: Ne présumez pas, mais craignez (1) »

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(1) Rom. XI. 20.

BOSSUET. V.

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CHAPITRE XXI.

Seconde vérité enseignée par Origène, que saint Pierre tomba par la soustraction d'un secours efficace.

De là suit, dans le discours de ce grand auteur, une seconde vérité, qui est que dans le dessein que Dieu avoit de punir saint Pierre par sa chute, pour en même temps le corriger par cette punition, cet apôtre fut délaissé (1), c'est-à-dire, destitué d'un certain secours. Il ne faut donc pas, encore un coup, regarder sa chute comme la suite d'une permission qui ne fut qu'un simple délaissement, où il n'intervint rien de la part de Dieu. Il y intervint, au contraire, une soustraction d'un certain secours, avec lequel il étoit certain que saint Pierre ne tomberoit pas, mais dont il fut justement privé en punition de sa présomption. Ce secours nous est exprimé dans ces paroles d'Origène : « Après qu'il » eut ouï dire à notre Seigneur que tous seroient » scandalisés, au lieu de répondre comme il fit, » que quand tous les autres le seroient il ne le seroit » pas, il devoit prier et dire: Quand tous les autres >> seroient scandalisés, soyez en moi, afin que je ne » me scandalise pas, et donnez-moi singulièrement » cette grâce, que dans le temps que tous vos disciples tomberont dans le scandale, non-seulement » je ne tombe point dans le reniement, mais encore » que dès le commencement je ne sois pas scan

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(1) Rom. XI. 20.

» dalisé ». On voit ici quel secours saint Pierre devoit demander, et que c'étoit un secours qui le rendît si fidèle à Jésus-Christ, qu'en effet il ne tombât point; par conséquent un secours de ceux qu'on nomme efficaces, parce qu'ils ne manquent jamais d'avoir leur effet. « Car s'il l'avoit demandé, pour» suit Origène, (s'il avoit demandé de ne tomber » pas) peut-être qu'en éloignant les servantes et » les serviteurs, qui donnèrent lieu à son renie» ment, il n'auroit pas renié »; c'est-à-dire, que Dieu étoit assez puissant pour lui ôter toute occasion de mal faire, et même pour affermir tellement sa volonté dans le bien, que dès le commencement il ne tombât en aucune sorte dans le scandale.

On voit donc par la soustraction de quel secours saint Pierre est tombé dans le scandale et dans le reniement; c'est par la soustraction d'un secours qui l'auroit effectivement empêché de renier : car Origène ne lui en fait point demander d'autre. Il y a donc, selon cet auteur, un secours, quel qu'il soit, qui est infailliblement suivi de son effet, et dont la soustraction est aussi infailliblement suivie de la chute: autrement ces desseins particuliers d'un Dieu qui veut permettre la chute des siens pour les corriger, et qui en effet a déterminé de les corriger par cette voie ne tiendroient rien de cette immobilité qui doit accompagner ses conseils. Origène le reconnoît, et saint Augustin n'en a jamais demandé davantage.

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