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don enferme la foi, la confiance, l'humilité, qui sont les sources de la prière, toutes choses qu'on a reçues gratuitement par cette grâce qui fléchit les cœurs. Qu'on ne pense donc pas pouvoir mériter par ses prières tout l'effet de ce grand don de persévérance, puisqu'un des effets de ce don est d'avoir le goût, le sentiment, la volonté, et, comme on a dit, l'acte même de prier, qu'on ne reçoit que par grâce, IMPERTITO ORATIONIS AFfectu et effectu (1).

CHAPITRE IX.

Huitième proposition, où l'on établit une préférence gratuite dans la distribution des dons de la grâce.

HUITIEME proposition : Les prières ecclésiastiques induisent du côté de Dieu, en faveur de ceux qui font le bien tendant au salut et surtout de ceux qui le font persévéramment jusqu'à la fin, une préférence gratuite dans la distribution de ses grâces, dont il ne faut point demander de raison. C'est une suite évidente, ou plutôt une explication plus expresse, et pour mieux dire, une réduction des propositions précédentes. Car pour peser en détail chaque parole, s'il y a une grâce d'où il s'ensuive qu'on fera bien actuellement, comme il est certain qu'il y en a une, puisque toute l'Eglise la demande, il est également certain que ceux qui ne font pas le bien ne l'ont pas, et qu'il y a déjà de ce côté-là une préférence en faveur des autres. Si d'ailleurs il est (1) Epist. ad Sixt. jam cit.

certain, comme on a vu, que tous ceux qui font bien, ou durant un temps, ou toujours, et jusqu'à la fin, ont eu une telle grâce et doivent remercier Dieu de l'avoir reçue, il est clair que la préférence qui fait que Dieu la donne plutôt aux uns qu'aux autres, s'étend sur tous ceux ou qui commencent, ou qui continuent et persévèrent à bien faire pour leur salut éternel. Voilà donc la préférence établie ; mais j'ai ajouté qu'elle étoit gratuite. Car encore que la fidélité qu'on aura eue à quelques mouvemens de cette grâce, puisse mériter qu'on ait d'autres mouvemens, on ne peut jamais mériter la grâce qui nous donne la fidélité au tout, depuis le commencement jusqu'à la fin. De cette sorte, le mérite même dans toute la suite est fondé, pour ainsi parler, sur le non mérite; d'où il s'ensuit que la préférence dans la grâce qui nous a donné actuellement les mérites, est purement gratuite, ne pouvant être donnée ni en vertu des mérites précédens, puisqu'on voit qu'elle en est la source, ni en vue des mérites futurs, puisque le propre effet de cette grâce étant que tous ceux qui l'ont fassent bien actuellement, si la prévoyance du bien qu'on feroit par elle, lorsqu'elle seroit donnée, étoit le motif de la donner, il la faudroit donner à tout le monde. Ainsi la préférence qui la fait donner à ceux qui l'ont, c'est-à-dire, comme on a vu, à tous ceux qui opèrent le bien du salut, en quelque manière que ce soit, est de pure grâce; d'où passant plus outre, j'ai dit qu'il n'y a point de raison à en demander, non plus que de tout le reste, qui est de pure grâce; la nature de la pure grâce étant qu'on ne la puisse de

voir qu'à une pure bonté. C'est donc ici qu'il faut dire avec l'Apôtre : O homme, qui étes-vous, pour répondre à Dieu (1); c'est-à-dire, sans difficulté, qui êtes-vous pour l'interroger et lui demander raison de ce qu'il fait, et comme porte l'original, pour disputer avec lui, ¿vτamoxpevóμevos : et encore (2) : qui lui a donné quelque chose le premier, pour en avoir la récompense? puisque tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui, et qu'il n'y a qu'à lui rendre gloire dans tous les siècles de tout le bien qu'il fait en nous:

IPSI GLORIA IN SÆCULA.

CHAPITRE X.

Suite de la méme matière, et examen particulier de cette demande : Ne permettez pas que nous succombions, etc.

Er si l'on veut trouver cette vérité bien clairement dans les prières de l'Eglise, et dans l'Oraison dominicale qui en est la source, il n'y a qu'à considérer cette demande de toute l'Eglise : Ne permettez pas que nous soyons séparés de vous, qui est la même que celle-ci du PATER: Ne souffrez pas que nous succombions à la tentation; mais délivrez-nous du mal (3). Supposé que nous soyons exaucés dans cette prière de ne succomber jamais, et d'être par conséquent durant tout le cours de notre vie ét dans toute l'éternité actuellement délivrés du mal, à qui devons-nous une telle grâce? à nos bonnes œuvres précédentes? mais afin que nous les fassions,

(1) Rom. ix. 20. — • (2) Ibid. x1. 35, 36. (3) De dono pers. c. VIL

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il faut qu'auparavant il ait plu à Dieu de ne pas permettre que nous succombions à la tentation de ne les pas faire, et qu'il nous délivré du mal de les négliger; mais à qui devons-nous ce bon vouloir de Dieu, de ne permettre pas tout ceci? à la prière que nous lui faisons de l'avoir pour nous, je l'avoue; mais ne faut-il pas auparavant que Dieu veuille ne pas permettre que nous succombions à la tentation de ne pas prier, et qu'il nous délivre du mal de perdre le goût et la volonté de prier? et y a-t-il aucun endroit de notre vie où nous éprouvions plus sensiblement le besoin de cette grâce qui prend le cœur, que nous l'éprouvons dans la prière ? Où est-ce qu'on ressent plus l'effet du délaissement, ou de cette secrète inspiration qui donne la volonté de prier persévéramment, malgré même les sécheresses et tant de tentations de laisser tout là? Ainsi la plus grande et la plus efficace, et en même temps la plus gratuite de toutes les grâces, est la grâce de persévérer dans la prière sans se relâcher jamais; et c'est principalement de cette grâce dont il est écrit: Qui a donné à Dieu le premier. Ainsi cette préférence dont nous parlons, qui doit être si gratuite du côté de Dieu, éclate principalement dans l'inspiration de la prière; et l'on doit dire de tous ceux à qui il veut inspirer, pour récompense de leurs prières, la persévérance à bien faire, qu'il leur inspire premièrement par une pure miséricorde, la persévérance à prier.

CHAPITRE XI.

Si l'on satisfait à toute la doctrine de la grâce, en reconnoissant seulement une grâce générale donnée ou offerte à tous: erreur de M. Simon.

M. Simon s'imagine avoir satisfait à tout ce qu'on doit à la gratuité de la grâce, si l'on me permet ce mot, en reconnoissant une grâce généralement of ferte ou donnée à tous les hommes, par une pure et gratuite libéralité; mais c'est en quoi il a montré son ignorance. Je ne nie pas cette grâce, comme on verra dans la suite, ni les grâces dont on abuse et que les hommes rendent si souvent inutiles par leur malice; mais s'il n'en falloit pas reconnoître d'autre, il ne faudroit point reconnoître un certain genre de grâce dont on n'abuse pas, à cause qu'elle est préparée pour empêcher qu'on n'en abuse. On demande pourtant cette grâce, et toutes les fois qu'on la demande, on a reçu auparavant une grâce qu'on n'a pas demandée, qui est la grâce qui nous la fait demander autrement, il faudroit aller jusqu'à l'infini, ce qui ne peut être. Car, comme dit excellemment saint Augustin (1), Dieu nous pouvoit accorder la grâce de faire de bonnes œuvres sans nous obliger à les demander; et s'il veut que nous les demandions, c'est à cause que la demande qu'il nous en fait faire, nous avertit que c'est lui seul qui est la source du bien que nous demandons. Mais en même temps, que nous entendions qu'il n'a pas besoin de nos

afin

(1) De dono pers. c. VII.

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