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demandes pour être bon et libéral envers nous, il nous accorde beaucoup de biens que nous n'avons jamais songé à lui demander; et entre autres biens qu'il nous accorde sans que nous l'en ayons prié, il faut mettre dans le premier rang celui de prier, lequel bien certainement n'est pas accordé à la prière. Car encore qu'en commençant de bien prier, on puisse obtenir la grâce de prier mieux, on ne doit le commencement de bien prier qu'à une touche particulière, qui dès ce premier commencement nous fait prier comme il faut; de sorte que la gratuité qu'il faut reconnoître dans la grâce ne consiste pas seulement dans une généralité de grâce offerte, ou donnée à tout le monde, mais dans une grâce de distinction et de préférence qui nous donne actuellement ce premier bon commencement, dans lequel Dieu nous donne tout, parce que tout est, en vertu, dans cette semence. De cette sorte l'homme recevant de Dieu, selon la distinction de saint Augustin (1), deux sortes de biens, dont les uns lui sont donnés sans qu'il les demande, comme la prière et dans la prière le commencement de la foi, les autres ne sont donnés qu'à ceux qui les demandent, comme la persévérance; les uns et les autres sont également gratuits, parce que le second, qui est accordé à la prière, se réduit enfin au premier, qui ne présuppose point la prière, puisque c'est la prière

même.

(1) De dono pers. cap. XVI.

CHAPITRE XII.

Explication par ces principes de cette parole de saint Paul: Si c'est par grâce, ce n'est donc point par les

œuvres.

C'EST donc ainsi qu'il faut entendre ce que dit saint Paul, que la grâce n'est point donnée par les œuvres, autrement la grâce ne seroit plus grâce (1); ce qui est la même chose, en d'autres termes que ce qui a été défini et répété tant de fois contre les pélagiens et les semi - pélagiens (2): que la grâce n'est point donnée selon les mérites. Car les mérites sont les œuvres, et si la grâce étoit donnée selon les œuvres, elle seroit donnée selon les mérites. Il ne faut pas entendre pour cela qu'une certaine suite de la grâce, comme celle qui nous obtient, non-seulement la gloire future, mais encore dans cette vie, l'accroissement de la grâce même, ne puisse pas être un fruit de nos bonnes œuvres; c'està-dire, de nos bons mérites; et quand la grâce nous est donnée, non pas selon nos œuvres, mais selon la foi, comme il arrive dans la justification, saint Augustin demeure d'accord qu'elle est donnée selon les mérites; puisque la foi, dit ce Père, n'est pas sans mérite, NEQUE ENIM NULLUM EST MERITUM FIDEI. Comment donc a-t-on défini si certainement que la grâce n'est pas donnée selon les mérites, si ce n'est à cause que de grâce en grâce, de mérite en mérite, (1) Rom. 11. 6. -(2) Conc. Valent.

par

il en faut venir au moment où la grâce de bien commencer actuellement nous est donnée sans mérite, pour être continuée avec la même miséricorde, celui qui a fait en nous le commencement, conformément à cette parole de saint Paul (1): Celui qui a commencé en vous la bonne œuvre (de votre salut) la perfectionnera jusqu'au jour ( qu'il faudra paroître devant le tribunal) de Jésus-Christ; c'està-dire, vous donnera la persévérance.

On ne peut donc pas s'empêcher de reconnoître, avec saint Augustin un enchaînement de grâces si bien préparées, que tous ceux qui les ont font bien donc tous ceux qui ne font pas bien ne les ont pas; et les autres, c'est-à-dire, ceux qui font bien, leur sont préférés par une prédilection dont ils lui doivent de continuelles actions de grâces.

:

CHAPITRE XIII.

Neuvième proposition, où l'on commence à démontrer que la doctrine de saint Augustin, sur la prédestination gratuite, est très-claire.

TOUTE la doctrine de saint Augustin, sur la prédestination gratuite, est enfermée dans la doctrine précédente. C'est une neuvième proposition qui ne souffre aucune difficulté. Pour l'établir, il ne faut que ce seul principe rapporté à cette occasion par saint Augustin, que tout ce que Dieu donne, il a résolu de toute éternité de le donner tout ce qu'il

(1) Philip. x. 6.

exécute dans la dispensation temporelle de sa grâce, il l'a prévu et prédestiné avant tous les temps. Dans cette dispensation et distribution temporelle de la grâce, les prières de l'Eglise nous ont fait voir une préférence gratuite pour tous les saints; c'est-àdire, pour tous ceux qui vivent et qui agissent saintement ou pour un temps, ou pour toujours. Cette préférence est donc prévue, voulue, ordonnée de toute éternité, et cela même, dit saint Augustin, c'est la prédestination.

Nous avons donc eu raison de dire que la doctrine de la prédestination est entièrement renfermée dans celle de la gratuite dispensation de la grâce; puisque, comme dit saint Augustin (1), toute la différence qu'il y a entre la grâce et la prédestination, c'est que la prédestination est la préparation de la gráce, et la grdce, le don même que Dieu nous en fait: INTER GRATIAM ET PRÆDESTINATIONEM HOC INTEREST (pesez ces mots HOC TANTUM) QUOD PRÆDESTINATIO EST GRATIÆ PRÆPARATIO, GRATIA VERO JAM IPSA DONATIO; d'où ce saint docteur conclut que ces deux choses, la prédestination et la donation actuelle de la grâce, ne diffèrent que comme la cause et l'effet; puisque, dit-il, la prédestination est, comme on a vu, la préparation de la grâce, et la grâce donnée dans le temps est l'effet de la prédestination.

TANTUM

Ce Père montre cette vérité par cet autre excellent principe, que Dieu prédestine, non pas les œuvres d'autrui, mais les siennes propres, FACTA NON ALIENA SED SUA (2); car il prévoit beaucoup (1) Lib. de præd. SS. c. x. (2) Ibid.

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de

de choses qu'il ne fait pas, comme les péchés, mais il ne prédestine rien qu'il ne fasse; puisqu'il ne prédestine et ne préordonne que les bonnes œuvres qu'il fait, par cette grâce que nous avons vu, qu'on ne cesse de lui demander. Lors donc qu'il fait en nous ces bonnes œuvres il dispense cette grâce; et lorsqu'il la prépare, il prévoit et il prédestine ce qu'il devoit faire : PREDESTINATIONE PRÆSCIVIT QUE FUERAT IPSE FACTURUS (1).

C'est là, en termes formels, le raisonnement du prophète Amos, et de l'apôtre saint Jacques (2), dans le concile de Jérusalem. Ce prophète prédit et promet la conversion des gentils, et il ajoute : Voilà ce que dit le Seigneur qui fait ces choses: c'est Dieu qui convertira les gentils, par ce secours qui change les cœurs : il ne lui est pas plus malaisé de prédire que de promettre ce qu'il doit faire; et c'est pourquoi saint Jacques conclut : L'ouvrage de Dieu est connu de lui de toute éternité. Saint Augustin ne fait pas un autre raisonnement, et ne suppose pas un autre principe. Accordez-lui que c'est Dieu qui tourne les cœurs où il lui plaît (c'est ce que vous ne sauriez lui nier après les prières de l'Eglise): accordez-lui encore qu'il a connu et qu'il a voulu son propre ouvrage, ce Père n'en veut pas davantage sur la prédestination.

Il n'y a rien de si clair, et saint Augustin présuppose aussi partout, que ce qu'il enseigne de la prédestination, est la chose du monde la plus évidente. Dieu donne, dit-il (3), la persévérance jusqu'à la - (2) Act. xv. 15, 17, 18. Amos. ix. 12,

(1) Lib. de præd. SS. c. x. —
. (3) Lib. 11. de dono pers. c. VII.

BOSSUET. V.

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