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fin, il a prévu que cela seroit; c'est-à-dire, qu'il donneroit la persévérance; voilà donc, poursuit-il, ce que c'est que la prédestination; ce qu'il explique dans la suite en d'autres termes qui ne sont pas moins évidens, lorsqu'il dit (1) : « C'est une erreur mani» feste de penser qu'il ne donne pas la persévérance; » or il a prévu qu'il donneroit toutes les grâces qu'il » avoit à faire, afin qu'on persévérât, et il les a pré» parées dans sa prescience: la prédestination n'est » rien autre chose ». Un peu après il réduit cette doctrine à cet argument démonstratif : «< Lorsque >> Dieu nous donne tant de choses, dira-t-on qu'il »> ne les a pas prédestinées? De là il s'ensuivroit de >> deux choses l'une, ou qu'il ne les auroit pas don» nées, ou qu'il n'auroit pas su qu'il les donneroit: » que s'il est certain qu'il les donne, et qu'il ne soit >> pas moins certain qu'il a prévu qu'il les donneroit, » bien certainement il les a prédestinées ». Il conclut par ces paroles : « Si la prédestination que nous » défendons n'est pas véritable, Dieu n'a pas prévu » les dons qu'il feroit aux hommes: or est-il qu'il les » a prévus, donc la prédestination que nous défen» dons est certaine ».

CHAPITRE XIV.

Suite de la méme démonstration: quelle prescience est nécessaire dans la prédestination.

On voit par-là quelle prescience il faut reconnoître dans la prédestination. C'est, comme dit saint (1) Lib. 11. de dono pers. c. XVII.

Augustin (1), une prescience par laquelle Dieu prévoit ce qu'il devoit faire, PREDESTINASSE EST HOC PRESCISSE QUOD FUERAT IPse facturus. Ce n'est donc pas une prescience de ce que l'homme doit faire, mais de ce que Dieu doit faire dans l'homme, non que Dieu ne prévoie aussi ce que l'homme doit faire; mais c'est que ce qu'il doit faire est une suite de ce que Dieu fait en lui, et qu'il voit le consentement futur de l'homme dans la puissance de la grâce qu'il lui prépare.

C'est enfin pour cette raison, que saint Augustin définit la prédestination, la prescience et la préparation de tous les bienfaits de Dieu, par lesquels sont certainement délivrés tous ceux qui le sont. La prédestination des saints, n'est, dit-il (2), autre chose que cela, HEC PRÆDESTINATIO SANCTORUM NIHIL

ALIUD EST QUAM PRESCIENTIA ET PRÆPARATIO BENEFICIORUM DEI QUIBUS CERTISSIME LIBERANTUR QUICUMQUE LIBERANTUR. Toute l'Ecole reçoit cette définition de saint Augustin comme constante. Il est donc constant que Dieu a des moyens certains de délivrer l'homme, c'est-à-dire, de le sauver. S'il les donnoit à tous, tous seroient sauvés; il ne les donne donc pas à tous, ces moyens certains; car c'est de ceuxlà dont il s'agit; et à qui les donne-t-il? à quelquesuns de ceux qui sont sauvés? non; c'est à tous ceux qui le sont : QUIBUS CERTISSIME LIBERANTUR QUICUMQUE LIBERANTUR. Tous donc ont reçu ces bienfaits 'dont l'effet devoit être si certain; et d'où les ont-ils reçus, sinon d'une bonté aussi spéciale que ces bienfaits sont particuliers? Cette bonté est par consé

(1) Lib. 11. de dono pers. c. XVII et XVIII. — (2) Ibid. c. XIV.

quent aussi gratuite que le sont ces bienfaits mêmes, étant impossible et manifestement absurde Dieu que ne prépare gratuitement et de toute éternité ce qu'il accorde gratuitement dans le temps.

CHAPITRE XV.

Dixième proposition, où l'on démontre que la prédestination, comme on vient de l'expliquer par saint Augustin, est de la foi: passage du cardinal Bellarmin.

LA dixième proposition est que cette doctrine de saint Augustin sur la prédestination est de foi. D'abord saint Augustin l'enseigne ainsi très-expressément par les prières de l'Eglise, lorsqu'après les avoir remarquées, et après avoir aussi remarqué que prier est un don de Dieu, il poursuit ainsi (1) : « Ces choses donc que l'Eglise demande à Dieu, et » qu'elle n'a jamais cessé de lui demander depuis » qu'elle est établie, sont prévues de Dieu comme >> des choses qu'il devoit donner, et qu'il avoit même » déjà données dans la prédestination, comme

l'apôtre le déclare », d'où il tire cette conséquence: «< Celui-là donc pourra croire que la vé» rité de cette prédestination et de cette grâce n'a » pas toujours fait partie de la foi de l'Eglise, qui »osera dire que l'Eglise n'a pas toujours prié, ou » n'a pas toujours prié avec vérité, soit afin que les >> infidèles crussent, soit afin que les fidèles persé» vérassent; mais si elle a toujours demandé ces » biens comme étant des dons de Dieu, elle n'a ja(1) Lib. 1. de dono pers. e. xxIII.

>> mais pu croire que Dieu les ait pu donner sans » les connoître, et par-là l'Eglise n'a jamais cessé » d'avoir la foi de cette prédestination, qu'il faut >> maintenant défendre avec une application parti» culière contre les nouveaux hérétiques ».

Il est donc clair comme le soleil, que la prédestination que saint Augustin défendoit dans les livres d'où sont tirés tous ces passages, c'est-à-dire, dans ceux de la prédestination des saints et du don de la persévérance, appartient à la foi, selon ce Père, et que c'étoit cette foi qu'il falloit défendre contre les hérétiques; et la raison en est premièrement, qu'on ne peut nier sans erreur, que les prières où l'Eglise demande les dons qu'on vient d'entendre, ne soient dictées par la foi, en laquelle seule elle prie; et secondement, qu'il n'est pas moins contre la foi de dire que Dieu n'ait pas prévu et les dons qu'il devoit accorder, et ceux à qui il en devoit faire la distribution (1); ce qui fait dire à saint Augustin aussi affirmativement qu'on le peut faire (2) : Ce que je sais, c'est que personne n'a pu sans errer disputer contre la prédestination que nous avons entrepris de défendre.

Le cardinal Bellarmin, après avoir rapporté ces passages de saint Augustin, et en même temps remarqué les définitions du saint Siége, qui ont déclaré entre autres choses que saint Augustin n'a excédé en rien, conclut que la doctrine de ce saint sur la prédestination n'est pas une doctrine particulière, mais la foi de toute l'Eglise autrement saint Augustin, et après lui les papes qui le sou(1) Lib. 1. de dono pers. c. XXIV. (2) Ibid. c. xvIII.

tiennent, seroient coupables de l'excès le plus outré, puisque ce Père avoit donné son sentiment pour un dogme certain de la foi.

CHAPITRE XVI.

Différence de la question dont on dispute dans les Ecoles entre les docteurs catholiques sur la prédestination à la gloire, d'avec celle qu'on vient de traiter.

PAR-LA il faut remarquer la différence entre la question de la prédestination, comme elle s'agite dans les Ecoles parmi les docteurs orthodoxes, et comme elle est établie par saint Augustin contre les ennemis de la grâce. Car ce qu'on dispute dans l'Ecole, c'est à savoir si le décret de donner la gloire à un élu précède ou suit d'un instant, qu'on appelle de nature ou de raison, la connoissance de leurs bonnes œuvres futures, et des grâces qui les leur font opérer; ce qui n'est qu'une précision peu nécessaire à la piété, au lieu que saint Augustin, sans s'arrêter à ces abstractions, dans le fond assez inutiles, entreprend seulement de démontrer, qu'étant de la foi par les prières de toute l'Eglise, qu'il y a une distribution des bienfaits de Dieu, par où sont menés infailliblement au salut ceux qui les reçoivent, cette distribution ne peut être aussi purement gratuite qu'elle l'est dans l'exécution, qu'elle ne le soit autant et aussi certainement dans la prescience et la prédestination divine; de sorte que l'un et l'autre est également de la foi.

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