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CHAPITRE XXI.

Prières des particuliers, conformes et de méme esprit que les prières communes de l'Eglise : exemples tirés de l'Eglise orientale premier exemple: prière des quarante martyrs.

:

Pour confirmer ce qu'on vient de voir touchant l'esprit d'oraison qui paroît dans les prières de l'Eglise, il sera bon d'ajouter ici quelques prières des particuliers, par où l'on verra que chaque fidèle prie dans le même esprit que tout le corps; c'est-àdire, qu'il croit devoir demander à Dieu, non un simple pouvoir, mais l'effet même.

Et afin de nous attacher principalement aux saints de l'Eglise orientale, qui sont ceux qu'on voudroit pouvoir nous opposer; nous produirons, avant toutes choses, la prière des saints quarante martyrs de Sébaste, en Arménie, qui est ainsi rapportée par saint Basile. Ils faisoient, dit ce saint docteur (1), d'une même voix cette prière : Nous sommes entrés quarante dans ce combat: qu'il y en ait quarante qui soient couronnés : qu'il n'en manque pas un seul à ce nombre (que vous avez consacré par tant de mystères). On sait la suite de l'histoire, et qu'un des quarante, ne pouvant souffrir la rigueur du froid, alla expirer dans un bain d'eau chaude que l'on avoit préparé pour ceux qui renonceroient à la foi; mais les vœux de ces saints, dit saint Basile, ne furent pas inutiles pour cela; puisque la place de

(1) Tom. 1. Hom. xx. de XL. Mart.

BOSSUET. v.

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ce malheureux fut incontinent remplie par un ministre de la justice, préposé à garder ces saints, qui touché d'une céleste vision, s'écria: Je suis chrétien, remplit le nombre désiré, et consola les martyrs de la triste défection d'un des compagnons de leur martyre.

On voit ici trois vérités : la première, que c'est de Dieu que ces saints attendent leur persévérance actuelle, et qu'ils lui en demandent l'effet.

La seconde est, dans la défection de ce malheureux, quoiqu'arrivée bien certainement par sa faute, un secret jugement de Dieu, qu'il n'est pas permis d'approfondir, mais seulement de considérer què Dieu avoit des moyens pour le faire persévérer comme les autres: c'est ce qu'on ne peut s'empêcher de reconnoître. Pourquoi il ne les a pas employés, c'est sur quoi personne n'a rien à lui demander?

La troisième vérité est, que Dieu qui donne la persévérance par une grâce toute-puissante, donne par une grâce semblable le premier commencement de la conversion. C'est ce qui paroît dans cet officier, qui fut tout à coup converti par un effet manifeste de la prière des saints martyrs. Dieu ne la pouvoit exaucer sans exciter le cœur de cet infidèle par une grâce choisie et préparée, pour lui mettre en un instant la foi dans le cœur. Ainsi par la même grâce qui rend les uns persévérans, l'autre est rendu chrétien ces grâces sont préparées, c'est-à-dire, prédestinées de toute éternité : elles ne le sont point par les mérites, puisque ce converti n'en avoit aucun. C'est pourquoi saint Basile dit qu'il est converti

comme un saint Paul, devenu comme lui prédicateur de l'Evangile, dont il étoit un moment auparavant le persécuteur : appelé d'en-haut comme lui, non par les hommes, ni par leur moyen et leur entremise. Dieu qui lui a donné, sans aucun mérite, la grâce de se convertir, auroit pu donner sans mérite à celui qui perdit la foi, la grâce de ne la pas perdre; car il sut bien la donner au jeune Méliton qui, par la vigueur de son âge, ayant survécu aux autres martyrs, fut laissé, pendant qu'on enlevoit les corps, sur le lieu de leur martyre avec un reste de vie, qui faisoit espérer aux tyrans que la tentation de la conserver le porteroit à se rendre. Mais Dieu qui, pour accomplir les désirs de ses serviteurs, lui avoit destiné la grâce de persévérer, suscita l'esprit de sa mère pour l'encourager jusqu'à la mort; en sorte qu'ayant reçu avec son dernier soupir les derniers témoignages de sa foi, elle le jeta sur le chariot où étoient entassés les autres corps des saints. Tous ces actes du libre arbitre, et de la mère et du fils, furent inspirés par la grâce que les martyrs avoient demandée; et Dieu montra par cet exemple, qu'encore que le malheur de ceux qui tombent ne doive être imputé qu'à leur faute, il. n'en faut pas moins attribuer à la grâce tout le bien des persévérans, aussi bien que des commençans'; parce qu'encore que ce bien soit un effet de leur libre arbitre, c'est une grâce particulière qui leur en inspire le bon usage.

CHAPITRE XXII.

Prière de plusieurs autres martyrs.

C'EST ce qui paroît partout dans les actes des martyrs. Sans cesse au milieu de leurs tourmens, on leur entend dire: O Jésus-Christ, aidez-nous : c'est vous qui nous donnerez la patience; ne nous abandonnez pas (1). Ils sentoient que leurs forces auroient défailli parmi tant d'insupportables dou-' leurs, pour peu que Dieu les eût laissés à euxmêmes. C'est pourquoi ils lui demandent l'effet et l'actuelle persévérance; et pour montrer, s'ils persévéroient, qu'ils croyoient l'avoir reçu par la grâce qu'ils demandoient, ils en rendoient continuellement de particulières actions de grâces. En entrant dans la prison, ils offroient à Dieu leur louange avec actions de grâces de ce qu'ils avoient persévéré jusqu'alors dans la foi et la religion catholique (2). Un autre disoit: Je vous rends grâces, mon Seigneur Jésus, de ce que vous m'avez donné cette patience. C'est de l'effet et de la patience actuelle qu'ils rendent grâces. Un autre disoit (3): J'ai Jésus-Christ en moi, je te méprise. Reconnois, disoit un autre (4), que Jésus-Christ m'aide, et que c'est par-là que je te méprise comme un vil esclave. Taraque disoit et répétoit (5): Je résiste aux inventions de ta

(2) Acta Pio

(1) Act. Mart. edit. D. Ruin. Act. Tarach. p. 423, nii, p. 140. (3) Act. Tarach. jam cit. (4) Act. Theod. p. 397. (5) Act. Tar. jam cit.

cruauté je te surmonte par Jésus-Christ qui me rend fort; et encore: Je ne respire que la mort; mais dans cette patience, ma gloire est en Dieu. Ainsi ils reconnoissoient en deux manières la grâce qui les faisoit vaincre; l'une en la demandant, et l'autre en rendant grâces de l'avoir reçue. Euplius joignoit l'un et l'autre (1). Je vous rends grâces, Seigneur, conservez-moi, puisque c'est pour vous que je souffre aidez-nous, Seigneur, jusqu'à la fin, et ne délaissez pas vos serviteurs, afin qu'ils vous glorifient aux siècles des siècles. Voilà d'où ils attendoient la persévérance, parce qu'ils savoient que c'étoit de là qu'ils avoient reçu le commencement. Lorsque pour tirer de leur bouche le nom de leurs docteurs, qu'ils ne vouloient pas découvrir pour ne leur point attirer de semblables peines, on leur demandoit qui les avoient induits à cette doctrine, ils répondoient (2): Celui-là nous l'a donnée qui l'a aussi donnée à saint Paul, lorsque de persécuteur des Eglises, par sa grâce il en est devenu le docteur. Par quelle grâce, sinon par celle dont l'effet étoit infaillible? Ainsi la grâce efficace, que M. Simon ne peut souffrir dans saint Augustin, étoit celle que demandoient les martyrs, et dans laquelle ils mettoient leur confiance.

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