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CHAPITRE XXIII.

Prière de saint Ephrem.

APRÈS les prières des martyrs, on n'en trouve point de plus saintes parmi les Orientaux, que celles de saint Ephrem le Syrien, dont les Pères du quatrième siècle ont célébré les louanges. Ce qui fait le plus à notre sujet, c'est que demandant à Dieu en cent manières différentes, qu'il mette des bornes dans son cœur à ses désirs, afin que sans jamais se détourner ni à droite, ni à gauche (1), il marche persévéramment dans ses voies; il reconnoît encore que cette prière lui est donnée comme tout le reste par la grâce: Votre gráce, Seigneur, m'a donné la confiance de vous parler (2). Voilà un aveu bien clair que la prière est un don de Dieu : donnez-moi la componction et les larmes, afin que je pleure nuit et jour mes péchés avec humilité et charité, et pureté de cœur. Donner la componction, c'est donner l'esprit de prière, et ouvrir la source des larmes. Il ne faut donc pas s'étonner s'il dit ailleurs Que Dieu donne la grâce gratuitement, encore qu'il l'accorde aux larmes; c'est, comme on voit, qu'il donne les larmes mêmes, et qu'il croit donner gratuitement ce qu'on achète avec ses dons. Un peu après : «< Que ma prière, ô Seigneur, approche de vous; faites fructifier en moi votre cé» leste semence, qui me fasse offrir à votre bonté

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(1) Conf. T. 1. pag, 266, 267. — (2) P. 63. col. 2.

» des gerbes pleines de confession et de componc» tion faites que je crie avec actions de grâces, >> gloire soit donnée à celui qui m'a donné de quoi » lui offrir ». Par où l'on voit que Dieu a donné la prière même et l'action de grâces; et c'est pourquoi il dit encore (1): « Je ne cesserai, mon Sei» gneur, de célébrer les louanges de votre grâce: >> je ne cesserai de vous chanter des cantiques spiri»tuels je suis attiré à vous, mon Sauveur, par » le désir de vous posséder : votre grâce pousse mon » esprit à vous suivre par une secrète et merveil» leuse douceur: que mon cœur soit une terre fer» tile, qui recevant votre bonne semence et arrosée » de votre grâce, comme d'une céleste rosée, mois» sonne comme un très bon fruit la componc» tion, l'adoration, la sanctification (de votre saint » nom), dons qui vous sont toujours agréables ». La componction, la prière, l'adoration, les saints cantiques viennent à l'ame par l'infusion de la grâce et de la douceur admirable dont elle prévient les cœurs. C'est ce qui lui fait ajouter (2): Quand votre gráce a voulu, elle a dissipé mes ténèbres pour faire retentir mon ame de douces louanges. Il ne faut donc pas s'étonner, s'il demande avec tant de foi les bonnes œuvres, comme un don particulier de la grâce, puisqu'il reconnoît qu'il tient de Dieu la grâce de la prière, qui les lui fait demander: il attribue à Dieu jusqu'au premier commencement de la conversion, lorsqu'il dit (3): « Convertissez» moi, Seigneur, avec la brebis perdue et trouvée;

(1) Beatitud. 1. 1. p. 187. — (1) De comp. Serm. 1. p. 142. — (3) Beatitud. p. 187.

» et comme vous l'avez portée sur vos épaules, tirez » mon ame avec votre main, et offrez-la à votre » Père ». L'ame n'a donc rien d'elle-même que son égarement et sa perte : « Qui pourroit, Seigneur,

supporter les conseils et les efforts de notre en» nemi, qui ne cesse d'affliger mon ame de pensées et » d'actes pour la faire succomber, si elle étoit des>>tituée de votre secours (1) ». Mais pour montrer quel est le secours qu'il se croit obligé de demander, il ajoute : « Et parce que le temps de ma vie s'est » passé en vanité et en mauvaises pensées, donnez» moi un remède efficace, par lequel je sois pleine» ment guéri de mes plaies cachées, et fortifiez» moi, afin que du moins à la dernière heure où » ma vie très-inutile est parvenue sans rien faire, » je travaille soigneusement dans votre vigne; car, » ô mon Sauveur, dit-il ailleurs (2), si vous ne donnez » durant cette vie à ce misérable pécheur un esprit » saint et des larmes, pour effacer ses péchés par » les lumières que vous ferez luire dans son cœur, » il ne pourra soutenir votre présence ».

Dans toutes ces grâces qu'il demandoit, il se fondoit toujours sur la toute-puissance de Dieu : Prions, disoit-il (3) " parce que Dieu peut ce qui est impossible à l'homme. Ainsi il reconnoissoit que tout ce qu'il demandoit à Dieu pour le faire marcher dans ses voies, étoit l'effet de la toute-puissance de Dieu, et d'une grâce à qui rien ne résiste.

Il ne laissoit pas, avec tout cela, de dire souvent que Dieu gratifioit ceux qui en sont dignes, et il

(1) Beatitud. p. 187.- (2) De comp. Serm. 1. p. 142. P. 255.

(3) Medit.

ne croyoit pas, en parlant ainsi, déroger à la pureté de la grâce; parce qu'il savoit qu'on ne pouvoit plaire à la grâce que par la puissance de la gráce (1); loin de croire qu'un autre que Dieu nous pût faire dignes de lui, il disoit (2): Si vous désiréz quelque chose, demandez-le à Dieu, et lorsque vous trouverez quelque bien en vous, rendezlui-en grâces, parce que c'est lui qui vous l'a donné.

Voilà dans un homme, dont la sainteté a été l'admiration du quatrième siècle, une image de la piété de l'Eglise orientale, tant d'années avant que saint Augustin eût écrit sur cette matière. Qui sera le présomptueux qui, considérant cette suite de bienfaits divins que les serviteurs de Jésus-Christ se croient obligés de lui demander pour être conduits efficacement à leur salut, pourra croire qu'on peut mériter cet enchaînement de grâces, pendant qu'on voit au contraire parmi ces grâces, la première conversion du cœur, et l'instinct des saintes prières par lesquelles on peut mériter quelque chose? Saint Ephrem connoissoit donc cette grâce qui fait la séparation gratuite des élus d'avec les réprouvés. Sans doute il n'ignoroit pas qu'elle n'eût été prévue et préordonnée : il ne pouvoit donc pas ne pas reconnoître la prédestination gratuite que saint Augustin a prêchée; et c'est en ce sens qu'il reconnoît devant Dieu qu'il est introduit dans son royaume par sa seule grâce et par sa seule miséricorde (3), parce que c'est aussi à elle seule qu'il

(1) Médit. 131. comp. Serm. 11. p. 143.

(2) Tom. 11. paræn. c. xv. p. 280.

(3) De

doit la préparation de tous les secours par lesquels il devoit être conduit heureusement et infailliblement à cette fin.

Ce n'est pas que ce saint ne reconnoisse, comme fait aussi saint Augustin, qu'on rejette souvent la grâce; et c'est aussi ce qui lui fait demander une grâce qui empêche de la rejeter. « Seigneur, dit» il (1), si j'ai quelquefois rejeté et si je rejette en» core votre grâce comme un homme terrestre, » vous toutefois qui avez rempli de votre bénédic» tion les cruches (de Cana), assouvissez la soif » que j'ai de votre grâce: faites, malgré mon indi» gnité et mes résistances, que j'en sois effectivement >> rempli ».

CHAPITRE XXIV.

Prière de Barlaam et de Josaphat dans saint Jean de Damas.

CETTE doctrine, dans laquelle consistoit le fond de la piété, passoit d'âge en âge. Au septième siècle, saint Jean de Damas faisoit prier ainsi son Barlaam, lorsqu'il donna la communion à son Josaphat (2): « Regardez cette brebis raisonnable qui

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approche de vos saints autels par mon ministère : » convertissez cette vigne plantée par votre Esprit »saint, et faites-la fructifier en fruits de justice : » fortifiez ce jeune homme, arrachez-le au démon » par votre bon esprit : apprenez -lui à faire votre

(1) Conf. Eph. p. 266. (4) Joan. Damas. hist. 613.

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