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CHAPITRE XXXVII.

En quel sens saint Augustin a condamné la proposition de Pélage: la grâce est donnée aux dignes.

Il est vrai que saint Augustin blâme dans la bouche de Pélage cette façon de parler : La grdce est donnée à ceux qui en sont dignes, comme contraire à la prévention gratuite de la grâce; mais cet hérésiarque avançoit indistinctement la proposition de toutes les grâces: DONARE DEUM EI QUI FUERIT DIGNUS OMNES GRATIAS: Dieu donne toutes les grâces à celui qui en est digne (1). Ce n'étoit pas ainsi qu'il falloit parler. Le mérite de la volonté précède, dit saint Augustin (2), quelques dons de Dieu, mais non pas tous. Ainsi il falloit user de distinction, et non pas insinuer, comme Pélage, qu'on pouvoit se rendre digne de toutes les grâces. Quand saint Paul dit : J'ai bien combattu, etc., et la couronne de justice m'est réservée, que Dieu, ce juste juge me rendra. Sans doute, dit saint Augustin (3), cette couronne est donnée à un homme qui en étoit digne, et ne pouvoit être donnée (par ce juste juge) à quelqu'un qui ne le fût pas; et encore après (4) : La récompense étoit due à un apôtre qui en étoit digne, ce qu'il répète cent fois; mais pour cela il ne s'ensuit pas que, comme disoit Pélage, toutes les graces, ou que la grâce indéfiniment et absolument ne fût donnée qu'à ceux

(1) De Gestis Pelag. c. xiv. n. 33.—(2) Enchirid. n. 32. — (3) Ibid. n. 35. — (4) Ibid. n. 36.

qui en étoient dignes; puisque s'il y en avoit qui fussent données à ceux qui en étoient dignes, comme la couronne de justice à saint Paul, la grâce lui avoit été donnée auparavant, encore qu'il en fút indigne, lui ayant été donnée pendant qu'il étoit encore persécuteur.

CHAPITRE XXXVIII.

En quel sens on prévient Dieu, et on en est prévenu.

SELON cette règle, il est constant qu'on prévient Dieu par rapport à certaines grâces; et ce n'est pas là une question; puisque même le Psalmiste a dit : Prévenons sa face par une humble confession (1) de nos péchés ou de ses louanges. Quand on demande, quand on frappe, quand on cherche, selon la parole de Jésus-Christ (2), afin qu'il nous soit donné, qu'il nous soit ouvert, que nous trouvions, il est sans doute qu'on prévient Dieu; mais il n'en est pas moins assuré qu'on en est aussi prévenu. Car premièrement, il ne faut pas croire que Dieu ne donne ses grâces qu'à ceux qui l'en prient. Il est libéral par lui-même, dit saint Clément d'Alexandrie (3), et il prévient les prières. Or le cas où il les prévient le plus clairement, c'est sans doute lorsqu'il les inspire. La prière est un bien de l'ame, c'est-à-dire, un de ces vrais biens dont Dieu est l'auteur, selon ce Père, comme on a vu. La foi même est celle qui prie, dit-il encore; or c'est Dieu qui donne la foi,

(1) Ps. XCIV. 2.- – (2) Matth. vII. 7.

(3) Pag. 520, 521.

et c'est à lui qu'il nous a dit que nous devions la demander. Saint Augustin ne parle pas autrement. C'est Dieu, dit encore saint Clément (1), qui envoie du ciel l'intelligence, que David aussi lui demande, en lui disant: JE SUIS VOTRE SERVITEUR, FAITES QUE J'ENTENDE; d'où ce Père conclut aussi, que l'intelligence vient de Dieu (2) La foi en vient donc, puisque c'est de la foi que vient toute l'intelligence du chrétien. Enfin, nous avons vu dans le même Père, qu'on demande à Dieu la justice; or nul ne la demande ni ne la désire, que celui qui en a déjà un commencement; mais ce commencement ne lui peut venir que de celui à qui il demande le reste. Ainsi la prière est une preuve que Dieu est auteur de tout bien, et de la prière même, dont aussi nous avons vu qu'on attribue à la grâce l'effet actuel.

Ainsi à divers égards nous prévenons Dieu, et nous en sommes prévenus. Selon ce que nous sentons, c'est nous qui prévenons Dieu; selon ce que nous enseigne la foi, Dieu nous prévient par ces occultes dispositions qu'il met dans les cœurs. C'est pourquoi les anciens, qui ont précédé saint Augus tin, ont raison de dire, tantôt que Dieu nous prévient, et tantôt que nous le prévenons; et tout cela n'est autre chose que ce que le même saint Augustin a développé plus distinctement par ces paroles (3): « Il faut tout donner à Dieu, parce que c'est » lui qui prépare la volonté pour lui donner son » secours, et qui continue à l'aider encore après l'avoir préparée: ET PRÆPARAT ADJUVANDAM, ET

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(1) Lib. v1. p. 465. — (2) Ibid. p. 499

(3) Enrichid. c. xxxii.

» ADJUVAT PRÆPARATAM; car la bonne volonté de » l'homme précède plusieurs dons de Dieu, mais » non pas tous : et il la faut mettre elle-même parmi » les dons qu'elle ne précède pas; car nous lisons » l'un et l'autre : Sa miséricorde nous prévient (1), » et sa miséricorde me suit (2). Il prévient celui qui » ne veut pas encore le bien, afin qu'il le veuille, et » quand il le veut, Dieu le suit, afin qu'il ne le >> veuille pas inutilement. Car pourquoi est-ce qu'on >> nous avertit de prier pour nos ennemis, qui sans >> doute n'ont pas encore la bonne volonté (puisqu'ils »> nous haïssent), si ce n'est afin que Dieu commence » à l'opérer en eux? Et pourquoi nous avertit-on » de demander, afin de recevoir, si ce n'est afin qu'en effet Dieu nous donne ce que nous voulons, >> après nous avoir donné un bon vouloir? Nous prions donc pour nos ennemis, afin que la misé» ricorde de Dieu les prévienne, comme elle nous » a prévenus, et nous prions pour nous-mêmes, » qui avons déjà été prévenus, que la miséricorde » de Dieu nous suive sans nous abandonner ja» mais >>.

>>

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(1) Ps. LVIII. II. — (2) Ps. xx11. 6.

CHAPITRE XXXIX.

Que par les solutions qu'on vient de voir, saint Augustin démontre la parfaite conformité de la doctrine des anciens avec la sienne, qui étoit celle de l'Eglise.

PAR ces solides dénouemens de saint Augustin aux passages qu'on lui objectoit des anciens Pères, il concilioit leurs sentimens avec les siens, qui étoient ceux de l'Eglise, et il faisoit voir qu'ils enseignoient la prédestination comme lui (1). Saint Cyprien l'enseignoit, lorsqu'il disoit, que Dieu donnoit le commencement de la foi, qu'il donnoit la persévérance, qu'il lui falloit tout donner, et ne nous glorifier de rien du tout, parce que nous n'avions rien à nous (2), à cause que tout le bien, et celui même que nous faisons, nous venoit de Dieu. Saint Ambroise l'enseignoit, lorsqu'il disoit, que nous n'avions pas notre cœur ni nos pensées en notre puissance (5) : que s'il vouloit il feroit dévots les indévots, parce qu'il appelle qui il veut, et qu'il fait religieux qui il lui plaît (4). Le même saint Ambroise n'enseignoit pas moins clairement cette vérité sur ces paroles de saint Luc: Il m'a semblé bon (d'écrire l'Evangile), lorsqu'il disoit (5) : « Ce n'étoit point par la volonté humaine qu'il parloit ainsi, mais comme il plaisoit à Jésus

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(3) Ambr. de fug, sæc. c. 1.

(1) De dono pers. c. XIX. — (2) Ibid.
- (4) Id. in Luc. cap. v11. n. 27. — (5) In proœm. Aug. ibid.

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