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est une affectation d'affoiblir, principalement sur le mystère de la Trinité, les preuves de l'Ecriture.

Pour découvrir la malignité de ce dangereux auteur, il faut remarquer en peu de mots, qu'Eunome, disciple d'Aece, ayant attaqué ce grand mystère avec de nouvelles subtilités, disons mieux, avec de nouvelles chicanes, toutes les forces de l'Eglise se tournèrent aussitôt contre lui. Saint Basile fut le premier à l'attaquer par cinq livres, auxquels il joignit un peu après celui du Saint-Esprit, pour montrer qu'on le pouvoit glorifier avec le Père, et le Fils, parce qu'il étoit leur égal, et un avec eux.

Eunome fit une réponse à saint Basile, et ce Père étant mort un peu après qu'elle eût paru, saint Grégoire de Nysse entreprit la défense de son frère, qu'il appelle partout son père et son maître. Saint Grégoire de Nazianze ne manqua pas à l'Eglise dans cette occasion, et composa ces cinq oraisons ou discours célèbres contre Eunome, qu'on appelle aussi les Discours sur la théologie, et qui en effet lui ont acquis, plus que tous les autres dans toute l'Eglise, le titre de théologien par excellence, à cause qu'il y défend avec une force invincible, dans sa manière précise et serrée, la théologie des chrétiens sur le mystère de la Trinité.

Les preuves dont se servent ces grands hommes, sont tirées de l'Ecriture et de la tradition. Les preuves de l'Ecriture ne sont ni en petit nombre ni insuffisantes, selon l'idée qu'on va voir qu'en a voulu donner M. Simon. Au contraire, tous leurs discours sont tissus de témoignages de l'Ecriture, que ces grands hommes proposent partout comme invinci

bles

bles et démonstratifs par eux-mêmes. La tradition ne laissoit pas de leur servir en deux manières : l'une pour montrer qu'ils exposoient l'Ecriture, comme on avoit fait de tout temps; l'autre à cause qu'y ayant des dogmes non écrits également recevables avec ceux qui se trouvoient dans l'Ecriture, ce n'étoit pas un argument de dire, comme faisoient les hérétiques, cela n'est pas écrit, donc il n'est pas.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer qu'ils aient jamais rangé le dogme de la divinité de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit, parmi les dogmes non écrits. Au contraire, ils montrent partout que les preuves de l'Ecriture sont claires et suffisantes. Lorsqu'aux chap. xxvii et XXVIII du Traité du Saint-Esprit, saint Basile vient à établir les dogmes non écrits, c'est pour prouver qu'on se peut servir, pour glorifier le Saint-Esprit avec le Père et le Fils, d'une façon de parler qui n'est point dans l'Ecriture. Les hérétiques vouloient bien qu'on unît les trois Personnes divines par la particule et, qui en effet se trouvoit dans les paroles de l'Evangile, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; mais ils ne vouloient pas qu'on pût dire : Gloire soit au Père et au Fils, avec le Saint-Esprit, à cause que ce terme avec ne se trouvoit pas dans l'Ecriture; comme s'il y avoit de la différence entre la conjonction et qu'on lisoit dans l'Evangile, et la préposition avec qu'on n'y lisoit pas. Les Pères, qui n'oublioient rien pour détruire jusqu'aux moindres chicanes des hérétiques, démontroient premièrement, que le fond de cette expression étoit dans l'Evangile; et secondement, que quand même il ne s'y trouveroit pas, il ne fau

BOSSUET. v.

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droit pas moins la recevoir, à cause de la certitude des dogmes non écrits: et ces deux preuves sont le sujet du livre du Saint-Esprit, de saint Basile.

Saint Grégoire de Nysse, son frère, qui le défend contre Eunome, agit dans le même esprit et selon les mêmes principes. Saint Grégoire de Nazianze procède en tout et partout selon cette règle; et parce que les hérétiques vouloient qu'on leur lût dans l'Ecriture certains termes précis et formels, d'où ils faisoient dépendre la dispute, il démontroit à ces chicaneurs, premièrement, qu'il y en avoit d'équivalens; secondement, qu'il falloit croire même ce qui n'étoit nullement écrit, à plus forte raison ce qui l'étoit équivalemment et dans le fond, encore qu'il ne le fût pas de mot à mot.

On voit par-là combien on s'oppose aux avantages de l'Eglise et à l'autorité des Pères, lorsqu'on affoiblit les preuves de l'Ecriture, qu'ils ont toujours regardées comme un principal fondement de leur créance, et qu'il n'y a rien de plus pernicieux que d'abuser de la tradition pour un dessein si malin. Cela posé, voyons maintenant les démarches de M. Simon.

CHAPITRE XII.

Combien de mépris affecte l'auteur pour les écrits et les preuves de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze, principalement pour ceux où ils défendent la Trinité contre Eunome.

Er d'abord on ne peut voir sans douleur, qu'il ne trouve que de la foiblesse dans tous les écrits par

où ces grands hommes ont établi la divinité de Jésus-Christ. Un des plus forts, quoique des plus courts sur cette matière, est celui de saint Basile sur ces paroles de saint Jean: Au commencement étoit le Verbe. Mais M. Simon le méprise, et commence sa critique sur ce Père par ces paroles (1) Il paroit plus d'esprit et plus d'éloquence dans Thomélie que saint Basile nous a laissée sur ces premiers mots de saint Jean : AU COMMENCEMENT ÉTOIT LE VERBE, que d'application à expliquer les paroles de son texte.

C'étoit pourtant un texte assez important pour mériter qu'on s'y attachât. Mais saint Basile, poursuit notre auteur(2), a presque toujours recours aux règles de l'art; c'est pourquoi il s'arrête plus dans ce petit discours aux lieux communs, selon la coutume des rhéteurs, qu'à sa matière.

Que veut-il qu'on pense d'un auteur qui, traitant une matière si capitale, et le texte fondamental pour en décider, ne s'applique à rien moins qu'à l'expliquer; et qui, quoique son discours soit petit, se perd encore dans des lieux communs? C'est un homme qui manque de sens, ce qu'on ne peut penser de saint Basile; ou qui sentant la foiblesse de sa cause, se jette sur des digressions et des lieux communs. Mais le contraire paroît par la lecture de cette homélie, et il faut être bien prévenu pour ne pas sentir avec quelle force les ariens y sont poussés par saint Basile. Cependant on le traite de simple rhéteur; et si l'on veut savoir quelle idée notre critique attache à ce mot, il n'y a qu'à lire (1) P. 101. — (2) Ibid.

ce qu'il dit de saint Grégoire de Nazianze (1), Qu'il raisonne quelquefois plutôt en rhéteur qu'en théologien, lui à qui tout l'Orient a donné le titre de théologien par excellence; et comme si le critique ne s'étoit pas encore expliqué d'une manière assez méprisante: Les grands orateurs, continue-t-il (2), se contentent souvent de raisons qui ont quelque foible apparence. Ce terme, les grands orateurs, fait assez sentir le style moqueur de notre critique. On n'est point, à parler juste, un grand orateur, mais un rhéteur impertinent, quand on se contente des apparences de la raison, et non pas de la raison même.

Voilà comme on traite les deux plus sublimes théologiens de leur temps, et en particulier saint Grégoire de Nazianze, quoique l'Orient l'ait tellement révéré, qu'il en a fait, comme on a vu, son théologien : il n'est pourtant qu'un rhéteur, c'est-àdire un vain discoureur, qui prend l'apparence, c'est-à-dire, l'illusion pour la vérité, aussi bien que son ami saint Basile, dans le discours le plus sérieux qu'il ait jamais prononcé.

Philostorge, l'historien des ariens et l'ennemi de l'Eglise, parle plus honorablement de ces grands hommes, puisqu'il admire en eux la sagesse, l'érudition, la science des Ecritures, jusqu'à dire qu'on les préféroit à saint Athanase; et pour ce qui est du discours, il attribue en particulier la noblesse et la force, aussi bien que la beauté, à saint Basile; et la solidité avec la grandeur, à saint Grégoire de Nazianze. Voilà quels ils étoient dans la bouche des ariens leurs ennemis, et on a vu quels ils sont

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