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roi de Macédoine, et que les curés prêchèrent dans Paris contre le roi de France.

Il est vrai que ce parallèle est relevé par les louanges de Salomon, du roi d'Angleterre d'aujour. d'hui, du roi de Danemarck, et de l'impératricereine de Hongrie; ce qui fera sans doute débiter son livre dans toute l'Europe. Une telle sagesse manqua au président de Thou.

Finissons par les prétendus bons mots dont la tradition populaire défigure le caractère de Henri IV.

Qu'un paysan qui avait les cheveux blancs et la barbe noire, ait répondu au roi que ses cheveux étaient de vingt ans plus vieux que sa barbe, c'est un bon mot de paysan, et non pas du roi. Ce conte est imprimé dans des facéties italiennes plus de diz ans avant la naissance de Henri IV; et la plupart de ces facéties ont fait le tour de l'Europe.

Qu'un autre paysan ait apporté au roi du fromage de lait de bœuf, c'est une insipidité bien indigne de l'histoire, et ce n'est pas Henri IV qui l'a dite.

Mais qu'il eût fait battre de verges sept ou huit praticiens assemblés dans un cabaret pour leurs affaires, et que Henri ait exercé sur eux cette indigne vengeance, parce que ces bourgeois n'avaient pas voulu partager leur dîner avec un homme qu'ils ne connaissaient pas; c'eût été une action tyrannique,i ,infâme, non seulement indigne d'un grand roi, mais d'un homme bien élevé. C'est L'Étoile quirapporte cette sottise sur un ouï-dire. L'Étoile ramassait mille contes frivoles débités par la popu

lace de Paris. Mais si une pareille action avait la moindre lueur de vraisemblance, elle déshonorerait la mémoire de Henri IV à jamais; et cette mémoire si chère deviendrait odieuse. Le bon sens et le bon goût consistent à choisir dans les anecdotes de la vie des grands hommes ce qui est vraisemblable, et ce qui est digne de la postérité.

Le grave et judicieux de Thou ne s'est jamais écarté de ce devoir d'un historien.

Si M. de Buri a cru rendre son ouvrage recommandable en décriant un homme tel que de Thou, il s'est bien trompé. Il n'a pas su qu'il y avait encore dans Paris des hommes alliés à cette illustre famille, qui prendraient la défense du meilleur de nos historiens, et qui ne souffriraient pas qu'on attaquât, en mauvais français, une histoire chère à la nation, et écrite dans le latin le plus pur.

ART. XVI. Sur la révocation de l'édit de Nantes.

LA fameuse révocation de l'édit de Nantes est regardée comme une grande plaie de l'état. Lorsque nous fûmes obligés d'en parler dans le Siècle de Louis XIV, nous fûmes bien loin de vouloir dégrader un monument que nous élevions à la gloire de ce siècle mémorable; mais (1) madame de Caylus, nièce de madame de Maintenon, dit quele roi avait été trompé. La reine Christine (2) écrit que Louis XIV s'était coupé le bras gauche avec le bras droit. Nous dûmes plaindre la France d'avoir porté chez les étrangers, et même chez ses ennemis, ses

(1) Souvenirs de madame de Caylus. (3) Lettres de la reine Christine.

citoyens, ses trésors, ses arts, son industrie, ses guerriers. Nous avouâmes que l'indulgence, la tolérance, dont les hommes ont tant de besoin les uns envers les autres, était le seul appareil qu'on pût mettre sur une blessure si profonde.

Ce divin esprit de tolérance, qui au fond n'est que la charité, charitas humani generis, comme dit Cicéron, a depuis quelques années tellement animé les âmes nobles et sensibles, que M. de Fitz-James, évêque de Soissons, a dit dans son dernier mandement: « Nous devons regarder les Turcs comme >> nos frères. »

Aujourd'hui nous voyons en France des protestants, autrefois plus odieux que les Turcs, occuper publiquement des places qui, si elles ne sont pas les plus considérables de l'état, sont du moins les plus avantageuses. Personne n'en a murmuré. On n'a pas été plus surpris de voir des fermiers-généraux calvinistes que s'ils avaient été jansénistes.

Le ministère ayant écrit, en 1751, une lettre de recommandation en faveur d'un négociant protestant, nommé Frontin, homme utile à l'état; un évêque d'Agen, plus zélé que charitable, écrivit et fit imprimer une lettre assez violente contre le ministère. Il remontrait, dans cette lettre, qu'on ne doit jamais recommander un négociant huguenot, attendu qu'ils sont tous ennemis de Dieu et des hommes. On écrivit contre cette lettre; et soit qu'elle fût de l'évêque d'Agen, soit de l'abbé de Caveirac, cet abbé la soutint dans son apologie de la révocation de l'édit de Nantes. Il voulut persuader qu'il n'y avait eu aucune persécution dans la dragonade;

que les réformés méritaient d'être beaucoup plus maltraités; qu'il n'en sortit pas du royaume cinquante mille; qu'ils emportèrent très peu d'argent; qu'ils n'établirent point ailleurs des manufactures dont aucun pays n'avait besoin, etc.... etc.

Autrefois un tel livre eût occupé toute l'Europe: les temps sont si changés qu'on n'en parla point. Nous fûmes les seuls qui prîmes la peine d'observer que M. de Caveirac n'avait pas eu des Mémoires exacts sur plusieurs faits.

par

Par exemple, il disait qu'il n'y a pas cinquante familles françaises à Genève. Nous qui demeurons à deux pas de cette ville, nous pouvons affirmer qu'il y en a plus de mille, sans compter celle que la mort a éteintes, ou qui sont passées dans d'autres familles les femmes. Et nous ajoutons ici que ce sont ces familles qui ont porté dans Genève une industrie et une opulence inconnue jusqu'alors. Genève, qui n'était autrefois qu'une ville de théolcgie, est aujourd'hui célèbre par ses richesses et par ses connaissances solides: elle les doit aux réfugiés français; ils l'ont mise en état de prêter au roi de France des fonds dont elle retire cinq millions de rente, au temps où nous écrivons.

Monsieur l'abbé donna un démenti au roi de Prusse, qui, dans l'histoire de sa patrie, a prononcé que son grand-père reçut dans ses états plus de vingt mille réfugiés: et pour décréditer le témoigna ge du roi de Prusse, il prétend que son histoire du Brandebourg n'est point de lui, et que c'est nous qui l'avons faite sous son nom. Ce fut donc pour mous un devoir indispensable de rendre gloire à la

gram

vérité, de ne nous point parer de ce qui ne nous appartient pas; d'avouer que nous ne servîmes au roi de Prusse que de grammairien, et même de mairien fort inutile. Il n'avait pas besoin de nous pour être historien et le législateur de son royaume, comme il en a été le héros (1).

Monsieur l'abbé récusait de même le témoignage de tous les intendants des provinces de France et de nos ambassadeurs,qui, témoins de la décaden

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(1)« Il arriva depuis un évènement favorable, qui avança » considérablement les projets du grand-électeur. Louis XIV révoqua l'édit de Nantes, et quatre cent mille Français » sortirent pour le moins de ce royaume; les plus riches pas» sèrent en Angleterre et en Hollande; les plus pauvres, » mais les plus industrieux, se réfugièrent dans le Brande>>bourg, au nombre de vingt mille ou environ; ils aidèrent à repeupler nos villes désertes, et nous donnèrent toutes les >> manufactures qui nous manquaient.

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>> A l'avénement de Frédéric-Guillaume à la régence, on > ne fesait dans ce pays ni chapeaux, ni bas, ni serges, ni >> aucune étoffe de laine; l'industrie des Français nous enri>> chit de toutes ces manufactures ; ils établirent des fabriques » de draps, de serges, d'étamines, de petites étoffes, de dro» guets, de grisettes, de crépon, de bonnets, et de bas tissus » sur des métiers ; des chapeaux de castor, de lapin et de poil de » lièvre; des teintures de toutes les espèces. Quelques-uns de >> ces réfugiés se firent marchands, et débitèrent en détaill’in-` »dustrie des autres. Berlin eut des orfèvres, des bijoutiers, » des horlogers, des sculpteurs ; et les Français qui s'établi» rent dans le plat pays y cultivèrent le tabac, et firent venir » des fruits et des légumes excellents dans les contrées sablon. » neuses, qui, par leurs soins, devinrent des potagers admi>>rables. Le grand-électeur, pour encourager une colonie » aussi utile, lui assigna une pension annuelle de quarante >> mille écus dont ellejouit encore. » Histoire de Brandebourg, par le roi de Prusse, édition de Jean Neaulme, 1751, tome II, pages 311, 312 et 314.

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