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cinquante mille lieues carrées, et qui est plus grand que ne fut jamais l'empire romain, n'a pas besoin de terrains nouveaux, mais d'hommes, de lois, d'arts, et d'industrie.

Catherine II lui donnait déjà des hommes en établissant chez elle trente mille familles qui venaient cultiver les arts nécessaires. Elle lui donnait des lois en formant un code universel pour ses provinces qui touchent à la Suède et à la Chine. La première de ces lois était la tolérance.

On voyait avec admiration cet empire immense se peupler, s'enrichir, en ouvrant son sein à des citoyens nouveaux, tandis que de petits états se pri vaient de leurs sujets par l'aveuglement d'un faux zèle; tandis que, sans citer d'autres provinces, les seuls émigrants de Saltzbourg avaient laissé leur patrie déserte.

Le système de la tolérance a fait des progrès rapides dans le nord, depuis le Rhin jusqu'à la mer Glaciale, parce que la raison y a été écoutée, parce qu'il est permis de penser et de lire. On a connu dans cette vaste partie du monde que toutes les manières de servir Dieu peuvent s'accorder avec le service de l'état. C'était la maxime de l'empire romain dès le temps des Scipions jusqu'à celui des Trajans. Aucun potentat n'a plus suivi cette maxime que Catherine II. Non-seulement elle établit la tolérance chez elle, mais elle a recherché la gloire de la faire renaître chez ses voisins. Cette gloire est unique. Les fastes du monde entier n'ont point d'exemple d'une armée envoyée chez des peuples. considérables pour leur dire: Vivez justes et paisi bles.

Si l'impératrice avait voulu fortifier son empire des dépouilles de la Pologne, il ne tenait qu'à elle. I suffisait de fomenter les troubles au lieu de les apaiser. Elle n'avait qu'à laisser opprimer les Grecs, les évangéliques et les réformés; ils seraient venus en foule dans ses états. C'est tout ce que la Pologue avait à craindre. Le climat ne differe pas beaucoup; et les beaux-arts, l'esprit, les plaisirs, les spectacles, les fêtes, qui rendaient la cour de Catherine II la plus brillante de l'Europe, invitaient tous les étrangers. Elle formait un empire et un siècle nouveau, et l'on eût été chez elle de plus loin pour l'admirer.

Tandis que l'impératrice de Russie fesait naître chez elle les lois et les plaisirs, la discorde, sous le masque de la religion, bouleversa la Pologne; les plus ardents catholiques, ayant le nonce du pape à leur tête, implorèrent l'Église des Turcs contre la grecque et la protestante. L'Église turque marcha sur la frontière avec l'étendard de Mahomet; mais Mahomet fut battu pendant quatre années de suite par saint Nicolas, patron des Russes, sur terre et sur mer. L'Europe vit avec étonnement des flottes pénétrer du fond de la mer Baltique auprès des Dardanelles, et brûler les flottes turques vers Smyrne. Il y eut sans doute plus de héros russes dans cette guerre qu'on n'en supposa dans celle de Troie. L'histoire l'emporta sur la fable. Ce fut un beau spectacle que ce peuple naissant, qui seul écrasait partout la grandeur ottomane si long-temps victorieuse de l'Europe réunie, et qui fesait revivre les vertus des Miltiades, lorsque tant d'autres nations dégénéraient.

La faction polonaise opposée à son roi n'eut d'autre ressource que l'intrigue; et comme la religion était mêlée dans ces troubles, on eut bientôt recours aux assassinats.

A quelques lieues de Varsovie est une NotreDame, aussi en vogue dans le nord que celle de Lorette en Italie. Ce fut dans la chapelle de cette statue que les conjurés s'engagèrent par serment de prendre le roi, mort ou vif, au nom de Jésus et de sa Mère. Après ce serment, ils allèrent se cacher dans Varsovie chez des moines, et n'en sortirent que pour accomplir leur promesse à la Vierge. Le carrosse du roi fut entouré, plusieurs domestiques tués aux portières, le roi blessé de coups de sabre, et effleuré de coups de fusil. Il ne dut la vie qu'aux remords d'un des assassins. Ce crime, qu'on avait voulu rendre sacré, ne fut que lâche et inutile.

La suite de tant d'horreurs fut le démembrement de la Pologne, que Stanislas Leczinski avait prédit. L'impératrice reine de Hongrie, Marie-Thérèse, F'impératrice Catherine II, Frédéric-le-Grand, roi de Prusse, firent valoir les droits qu'ils réclamaient sur trois provinces polonaises ; ils s'en emparèrent; on n'osa s'y opposer. Tel fut le débrouillement du chaos polonais.

DES MENSONGES IMPRIMÉS,

ET DU TESTAMENT POLITIQUE DU CARDINAL DE RICHIELIEU, etc.

O'N

N peut aujourd'hui diviser les habitants de l'Europe en lecteurs et en auteurs, comme ils ont été divisés pendant sept ou huit siècles en petits tyrans barbares qui portaient un oiseau sur le poing, et en esclaves qui manquaient de tout.

ou pour

fortifier

I. Il y a environ deux cent cinquante ans que les hommes se sont ressouvenus petit à petit qu'ils avaient une ame; chacun veut lire, cette âme, ou pour l'orner, ou pour se vanter d'avoir lu. Lorsque les Hollandais s'aperçurent de ce nouveau besoin de l'espèce humaine, ils devinrent les facteurs de nos pensées, comme ils l'étaient de nos vins et de nos sels; et tel libraire d'Amsterdam, qui ne savait pas lire, gagna un million, parce qu'il y avait quelques Français qui se mêlaient d'écrire. Ces marchands s'informaient par leurs correspondants, des denrées qui avaient le plus de cours; et selon le besoin, ils commandaient à leurs ouvriers des histoires ou des romans, mais principalement des histoires; parce qu'après tout on ne laisse pas de croire qu'il y a toujours un peu plus de vérité dans ce qu'on appelle histoire nouvelle, mémoires historiques, anecdotes, que dans ce qui est intitulé roman. C'est ainsi que, sur des ordres de marchands

de papier et d'encre, leurs metteurs en œuvre composèrent les Mémoires d'Artagnan, de Pontis, de Vordac, de Rochefort, et tant d'autres, dans lesquels on trouve au long tout ce qu'ont pensé les rois ou les ministres quand ils étaient seuls, et cent mille actions publiques dont on n'avait jamais entendu parler. Les jeunes barons allemands, les palatins polonais, les dames de Stockholm et de Copenhague, lisent ces livres, et croient y apprendre ce qui s'est passé de plus secret à la cour de France. II. Varillas était fort au-dessus des nobles auteurs dont je parle; mais il se donnait d'assez grandes libertés. Il dit un jour à un homme qui le voyait embarrassé: « J'ai trois rois à faire parler ensemble; >> ils ne se sont jamais vus, et je ne sais comment » m'y prendre. — Quoi donc ! lui dit l'autre, est-ce >> que vous faites une tragédie? »

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HII. Tout le monde n'a pas le don de l'invention. On fait imprimer in-12 les fables de l'histoire ancienne, qui étaient ci devant in-folio. Je crois que l'on peut retrouver dans plus de deux cents auteurs les mêmes prodiges opérés, et les mêmes prédictions faites du temps que l'astrologie était une science. On nous redira peut-être encore que deux Juifs, qui sans doute ne savaient que vendre de vieux habits, et rogner de vieilles espèces, promirent l'empire à Léon l'Isaurien, et exigèrent de lui qu'il abattît les images des chrétiens quand il serait sur le trône;comme si un Juif se souciait beaucoup que nous eussions ou non des images.

IV. Je ne désespère pas qu'on ne réimprime que Mahoniet II, surnommé le Grand, le prince le plus

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