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L'auteur de l'Essai sur les Moeurs, etc., a rappor. té d'une manière impartiale les établissements introduits ou remis en vigueur par la prudence des pasteurs. Si ces pasteurs ont essuyé des schismes, si le sang a coulé pour des opinions, si le genre hu main a été troublé, rendons grâce à Dieu de n'être pas nés dans ces temps horribles. Nous sommes assez heureux pour qu'il n'y ait aujourd'hui que des libelles.

XVIIIe SOTTISE DE NONOTTE, sur Jeanne d'Arc.

QUE cet homme charitable insulte encore aux cendres de Jean Hus et de Jérôme de Prague, cela est digne de lui; qu'il veuille nous persuader que Jeanne d'Arc était inspirée, et que Dieu envoyait une petite fille au secours de Charles VII contre Henri VI, on pourra rire: mais il faut au moins relever la mauvaise foi avec laquelle il falsifie le procèsverbal de Jeanne d'Arc, que nous avons dans les actes de Rymer.

Interrogée en 1431, elle dit qu'elle est âgée de vingt-neuf ans; donc, quand elle alla trouver le roi en 1429, elle avait vingt-sept ans; donc le libelliste est un assez mauvais calculateur, quand il assure qu'elle n'en avait que dix-neuf. Il fallait douter.

Il convient de mettre le lecteur au fait de la véritable histoire de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle. Les particularités de son aventure sont très peu connues, et pourront faire plaisir aux lecteurs.

Paul Jove dit que le courage des Français fut anipar cette fille, et se garda bien de la croire inspirée. Ni Robert Gagain, ni Paul Émile, ni Polidore

Virgile, ni Genebrar, ni Philippe de Bergame, ni Papire Massons, ni même Mariana, ne disent qu'elle était envoyée de Dieu; et quand Mariana le jésuite l'aurait dit, en vérité cela ne m'en imposerait pas.

Mézerai conte «< que le prince de la milice céles>> te lui apparut; » j'en suis fâché pour Mézerai, et j'en demande pardon au prince de la milice céleste.

La plupart de tous nos historiens, qui se copient tous les uns les autres, supposent que la Pucelle fit des prédictions et qu'elles s'accomplirent. On lui fait dire qu'elle chassera les Anglais hors du royaume; et ils y étaient encore cinq ans après sa mort. On lui fait écrire une longue lettre au roi d'Angleterre; et assurément elle ne savait ni lire ni écrire; on ne donnait pas cette éducation à une servante d'hôtellerie dans le Barois; et son procès porte qu'elle ne savait pas signer son nom.

Mais, dit-on, elle a trouvé une épée rouillée dont la lame portait cinq fleurs de lis d'or gravées, et cette épée était cachée dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois à Tours. Voilà certes un grand miracle!

La pauvre Jeanne d'Arc, ayant été prise par les Anglais, en dépit de ses prédictions et de ses miracles, soutint d'abord dans son interrogatoire que sainte Catherine et sainte Marguerite l'avaient honorée de beaucoup de révélations. Je m'étonne qu'elle n'ait rien dit, de ses conversations avec le prince de la milice céleste. Apparemment que ces deux saintes aimaient plus à parler que saint Michel. Ses juges la crurent sorcière, et elle se crut ¡nspirée. Ce serait là le cas de dire:

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier,

si l'on pouvait se permettre la plaisanterie sur de telles horreurs.

Une grande preuve que les capitaines de Charles VII employaient le merveilleux pour encourager les soldats dans l'état déplorable où la France était réduite, c'est que Saintrailles avait son berger, comme le comte de Dunois avait sa bergère. Ce berger fesait ses prédictions d'un côté, tandis que la bergère les fesait de l'autre..

Mais malheureusement la prophétesse du comte de Dunois fut prise au siége de Compiègne par un bâtard de Vendôme, et le prophète de Saintrailles fut pris par Talbot. Le brave Talbot n'eut garde de faire brûler le berger. Ce Talbot était un de ces vrais Anglais quidédaignent les superstitions, et qui n'ont pas le fanatisme de punir les fanatiques.

Voilà, ce me semble, ce que les historiens auraient dû observer, et ce qu'ils ont négligé.

La Pucelle fut amenée à Jean de Luxembourg, comte de Ligni. On l'enferma dans la forteresse de Beaulieu, ensuite dans celle de Beaurevoir, et de là dans celle de Grotoy en Picardie.

D'abord Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui était du parti du roi d'Angleterre contre son roi légitime, revendique la Pucelle comme une sorcière arrêtée sur les limites de sa métropole. Il veut la juger en qualité de sorcière. Il appuyait son prétendu droit d'un insigne mensonge. Jeanne avait été prise sur le territoire de l'évêché de Noyon; et ni l'évêque de Beauvais, ni l'évêque de Noyon n'avaient assu

rément le droit de condamner personne, et encore moins de livrer à la mort une sujette du duc de Lorraine, et une guerrière à la solde du roi de France.

Il y avait alors (qui le croirait?) un vicaire général de l'inquisition de France, nommé frère Martin. C'était bien là un des plus horribles effets de la subversion totale de ce malheureux pays. Frère Martin réclama la prisonnière comme «sentant » l'hérésie, » odorantem hæresim. Il somma le duc de Bourgogne et le comte de Ligni, « par le droit de » son office, et de l'autorité à lui commise par le saintsiége, de livrer Jeanne à la sainte inquisition.

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La Sorbonne se hâta de seconder frère Martin: elle écrivit au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg: « Vous avez employé votre noble puissance » à appréhender icelle femme, qui se dit la Pucelle, » au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a été » sans mesure offensé, la foi excessivement blessée, » et l'Église trop fort déshonorée; car par son occa>>sion, idolâtrie, erreurs, mauvaise doctrine et au>> tres maux inestimables se sont ensuivis en ce » royaume....mais peu de chose serait avoir fait telle » prinse, si ne s'ensuivait ce qu'il appartient pour » satisfaire l'offense par elle perpétrée contre notre » doux Créateur et sa foi, et sa sainte Église, avec » ses autres méfaits innumérables.... et si, serait in» tolérable offense contre la majesté divine, s'il arri>> vait qu'icelle femme fût délivrée. »

Enfin la Pucelle fut adjugée à Pierre Cauchon, qu'on appelait l'indigne évêque, l'indigne Français et l'indigne homme. Jean de Luxembourg vendit la

Pucelle à Cauchon et aux Anglais pour dix mille livres, et le duc de Bedfort les paya. La Sorbonne, l'évêque et frère Martin présentèrent alors une nouvelle requête à ce duc de Bedfort, régent de France, « en l'honneur de Notre-Seigneur et Sauveur » Jésus-Christ, pour qu'icelle Jeanne fût briève» ment mise ès mains de la justice de l'Église. Jeanne fut conduite à Rouen. L'archevêché était alors vacant, et le chapitre permit à l'évêque de Beauvais de besogner dans la ville (c'est le terme dont on se servit. ) Il choisit, pour ses assesseurs, neuf docteurs de Sorbonne avec trente-cinq autres assistants, abbés ou moines. Le vicaire de l'inquisition, Martin, présidait avec Cauchon; et comme il n'était que vicaire, il n'eut que la seconde place.

Il y eut quatorze interrogatoires; ils sont singuliers. Elle dit qu'elle a vu sainte Catherine et sainte Marguerite à Poitiers. Le docteur Beaupère lui demanda à quoi elle a reconnu les deux saintes: elle répond que c'est à leur manière de faire la révéren. ce. Beaupère lui demanda si elles sont bien jaseuses: « Allez, dit-elle, le voir sur le registre. » Beaupère lui demanda si, quand elle a vu saint Michel, il était tout nu; elle répond: « Pensez-vous que » Notre-Seigneur n'eût de quoi le vêtir? »

Voilà le ridicule, voici l'horrible.

Un de ses juges, docteur en théologie et prêtre, nommé Nicolas-l'Oiseleur, vient la confesser dans la prison. Il abuse du sacrement jusqu'au point de cacher derrière un morceau de serge deux prêtres qui transcrivent la confession de Jeanne d'Arc. Ainsi les juges employèrent le sacrilére pour être

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