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roni qui parle ainsi,ou il est bien prévenu, ou il ne connaissait pas la France comme il connaissait l'Espagne. Il s'attache à décrier en tout le cardinal de Fleuri. Il l'abaisse au-dessous du médiocre. Mais quand on voyage de Saint-Dizier à Moyenvic, on dit: « C'est le cardinal de Fleuri qui a donné toutes >> ces terres à la France; qu'aurait fait de mieux >> alors un grand homme ? » Le cardinal Albéroni est devenu un censeur bien impitoyable depuis sa mort: son testament est une satire.

Il blâme le cardinal de Fleuri d'avoir voulu la guerre de 1741; et on sait qu'il ne la voulait pas, et, qu'il s'y opposa autant qu'il put.

Il blâme l'empereur Charles VI d'avoir fait sa pragmatique-sanction. Sa fille ne sera pas de cet avis. Il veut changer la constitution de l'Allemagne: c'est un homme qui a perdu son bien au jeu, et qui, se plaisant encore à regarder jouer, dit tout haut les fautes qu'il croit apercevoir.

Est-ce donc le cardinal Albéroni qui juge ainsi les vivants et les morts? On connaît dans l'Europe un maréchal de France qui s'est fait un nom célèbre par ses grandes vues, par son esprit d'ordre et de détail, par son génie et par son activité. Le prétendu testateur le traite bien durement. Je ne crois pas qu'il soit permis à l'histoire de parler des vivants: elle doit imiter les jugements de l'Égypte qui ne décidaient du mérite des citoyens que lorsqu'ils n'étaient plus. Les portraits des hommes publics sont toujours dans un faux jour pendant leur vie. Mais si quelqu'un voulait répondre aux reproches amers que fait le cardinal Albéroni à cet illus

tre Français, ne pourrait-il pas lui dire: Cessez de reprocher à ce maréchal lépuisement des trésors de la France, dans la magnifique ambassade de Francfort, où Charles VII fut élu empereur. Cessez de représenter l'Allemagne en défiance de cette profusion prétendue. L'ambassadeur d'Espagne y fesait une aussi grande figure que celui de France. Le duc de Riperda avait paru avec plus d'éclat encore à Vienne; et jamais on n'a vu les nations pren dre l'alarme sur le nombre des domestiques et sur la vaisselle d'un plénipotentiaire. Vous étiez malade apparemment quand vous dictâtes cet article de votre testament; et vous donnez, en mourant, votre malédiction pour bien peu de chose. Votre éminence était de mauvaise humeur quand elle a dicté l'article par lequel elle réprouve en politique le projet de ce général. Ce n'est pas à elle à juger par l'évènement. Des hommes qui auront plus de réputation que vous dans la postérité, parce qu'a vec un génie égal au vôtre ils ont eu plus de bonheur, ont dit que ce plan, qui vous paraît chimérique, était le comble de la vraisemblance. En effet quel était ce plan? c'était d'unir la France, l'Espague, la Prusse, la Saxe, la Bavière, pour juger, les armes à la main, le procès de la succession de l'Autriche. Un jeune roi victorieux avait d'un côté cent mille hommes en armes et les mieux disciplinés de l'Europe; la Saxe en avait près de cinquante mille; deux armées françaises, d'environ quarante mille hommes chacune, étaient toutes deux au milieu de l'Allemagne. On était aux portes de Vienne. L'Espagne allait fondre dans l'Italie; et à peine parais

sait-il alors qu'il y eût un ennemi à combattre. On avait proposé encore de faire agir d'autres ressorts que l'histoire découvrira un jour. On demande après cela si jamais entreprise eut de plus belles apparences? ou demande si ce projet n'était pas cent fois plus plausible que les vôtres ? Ona vu quelquefois de petites armées renverser de grands empires. Ici deux cent cinquante mille hommes attaquent une femme sans défense: et elle se soutient. Avouez-le, monsieur le cardinal, il y a quelque chose là-haut qui confond les desseins des hommes.

Vous êtes bien mal instruit pour un grand ministre, quand vous dites que ce général que vous condamnez, demanda cent mille hommes au cardinal de Fleuri. Je peux assurer votre éminence qu'il n'en demanda que cinquante mille pour aller à Vienne; et dans cette armée il voulait vingt mille hommes de cavalerie. On ne lui donna que trentedeux mille hommes complets, parmi lesquels il n'y avait que huit mille cavaliers: mais cela composait, avec les troupes des alliés, une force à laquelle il paraissait que rien ne devait résister, puisque ceux qu'on attaquait n'avaient pas encore une armée rassemblée. Je pourrais, sur ce point d'histoire, apprendre à feu votre éminence bien des choses qu'elle ignore, et qui lui feraient connaître que celui qu'elle feint de mépriser est très digne de son estime.

Comme je suis encore en vie, il ne m'est pas permis d'être aussi libre que vous, qui êtes mort, et qui pouvez tout direimpunément : mais je pourrais vous donner au moins des lumières sur le siége de

Prague, qui vous feraient changer de pensée. Vous ne pourriez nier que les sorties n'aient été de véritables batailles, et que la retraite n'ait été glo

rieuse.

Je ne sais pas ce que le cardinal de Fleuri, et le général dont vous parlez, vous ont fait: mais il me semble, monseigneur, qu'un bon chrétien comme vous, qu'un cardinal devait, en mourant, se réconcilier avec ses ennemis, il semble que votre testament ait été fait ab irato; cela seul suffirait l'invalider.

pour

Ce testament sera plus utile aux politiques qu'aux historiens. Le testateur est loin de tomber dans la faute absurde du faussaire qui prit le nom du cardinal de Richelieu. Ce faussaire malhabile, en fesant parler le plus grand ministre de l'Europe, dans la crise de la guerre avec l'empereur et le roi d'Espagne, ne dit pas un mot de la manière dont la France devait se conduire avec ses alliés et avec ses ennemis. C'était un étrange contraste de voir le cardinal de Richelieu passer sous silence les négociations, les intérêts de tous les princes, pour parler de l'université et de la gabelle. C'est ici tout le contraire. L'auteur entre dans les intérêts de tous

les potentats ; il fait à chacun leur part; il arrange le monde à son gré, et se met à la place de la Providence. Il parle de tout ce qu'on aurait pufaire, de tout ce qui pourrait arriver, c'est le recueil des futurs contingents.

On ne voit dans cet écrit aucune notion simple et commune. Il y est dit que lorsque l'empereur Charles VII était sans états et sans armée, il aurait MÉLANGES HIST. TOME II.

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dû mettre la reine de Hongrie au ban de l'Empire. Il paraît cependant que quand on rend un pareil arrêt, il faut avoir cent mille huissiers aguerris pour le signifier.

Au reste, jamais testament ne contint des legs plus considérables. Le cardinal donne et lègue la Bohême à l'électeur de Saxe, le duché de Zell au duc de Cumberland, le Tirolet la Carinthie à l'électeur de Bavière, le Brisgau avec les villes forestières au duc des Deux-Ponts, et le duché des Deux-Ponts à l'électeur palatin. Cela ressemble au testament Cérisantes le Gascon fit à Naples du temps du duc de Guise. Il légua à ce prince ses pierreries et sa vaisselle d'or, cent mille écus aux jésuites, autant à un hôpital; il fonda un collége et une bibliothèque publique. Il n'avait pas de quoi se faire enterrer.

que

DES CONSPIRATIONS

CONTRE LES PEUPLES.

CONSPIRATIONS OU PROSCRIPTIONS JUIVES.

L'HISTOIRE est pleine de conspirations contre les tyrans; mais nous ne parlerons ici que des conspirations des tyrans contre les peuples. Sil'on remonte à la plus haute antiquité parmi nous; si l'on ose chercher les premiers exemples des proscriptions dans l'histoire des Juifs; si nous séparons ce qui

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