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ils fendirent le ventre aux hommes, aux femmes, aux enfants de la nation juive qui tombèrent entre leurs mains, et cherchèrent dans leurs entrailles, For qu'on supposait que ces malheureux avaient avalé.

Cette action des croisés ressemblait parfaitement àcelle des Juifs de Chypre et de Cyrène, etfut peutêtre encore plus affreuse, parce que l'avarice se joignait au fanatisme. Les Juifs alors furent traités comme ils se vantent d'avoir traité autrefois des nations entières; mais selon la remarque de Suarez: « Ils avaient égorgé leurs voisins par une piété bien >> entendue, et les croisés les massacrèrent » piété mal entendue. » Il y a au moins de la piété dans ces meurtres, et cela est bien consolant..

par une

CELLE DES CROISADES CONTRE LES ALBIGEOIS.

La conspiration contre les Albigeois fut de la même espèce, et eut une atrocité de plus; c'est qu'elle fut contre des compatriotes, et qu'elle dura plus long-temps. Suarez aurait dû regarder cette proscription comme la plus édifiante de toutes, puisque de saints inquisiteurs condamnèrent aux flammes tous les habitants de Béziers, de Carcassone, de Lavaur, et de cent bourgs considérables; presque tous les citoyens furent brûlés en effet, ou pendus ou égorgés.

LES VEPRES SICILIENNES.

S'IL est quelque nuance entre les grands crimes, peut-être la journée des Vêpres siciliennes est la

moins exécrable de toutes, quoiqu'elle le soit excessivement. L'opinion la plus probable est que ce massacre ne fut point prémédité. Il est vrai que Jean de Procida, émissaire du roi d'Arragon, préparait dès lors une révolution à Naples et en Sicile; mais il paraît que ce fut un mouvement subit dans le peuple animé contre les Provençaux, qui le déchaîna tout d'un coup, et qui fit couler tant de sang. Le roi Charles d'Anjou, frère de Saint-Louis, s'était rendu odieux par le meurtre de Conradin et du duc d'Autriche, deux jeunes héros et deux grands princes dignes de son estime, qu'il fit condamner à mort comme des voleurs. Les Provençaux qui vexaient la Sicile étaient détestés. L'un deux fit violence à une femme le lendemain de Pâques, on s'attroupa, on s'émut, on sonna le tocsin, on cria meurent les tyrans : tout ce qu'on rencontra de Provençaux fut massacré, les innocents périrent avec les coupables.

LES TEMPLIERS.

Je mets sans difficulté au rang des conjurations contre une société entière, le supplice des templiers. Cette barbarie fut d'autant plus atroce, qu'elle fut cominise avec l'appareil de la justice. Ce n'était point une de ces fureurs que la ven. geance soudaine ou la nécessité de se défendre semble justifier: c'était un projet réfléchi d'exterminer tout un ordre trop fier et trop riche. Je pense hien que dans cet ordre il y avait de jeunes débauchés qui méritaient quelque correction; mais je ne croirai jamais qu'un grand maître et tant de cheva

liers, parmi lesquels on comptait des princes, tous vénérables par leur âge et par leurs services, fussent coupables des bassesses absurdes et inutiles dont on les accusait. Je ne croirai jamais qu'un ordre entier de religieux ait renoncé en Europe à la religion chrétienne, pour laquelle il combattait en Asie, en Afrique, et pour laquelle même encore plusieurs d'entre eux gémissaient dans les fers des Turcs et des Arabes, aimant mieux mourir dans les cachots que de renier leur religion.

Enfin, je crois sans difficulté à plus de quatrevingts chevaliers qui, en mourant, prennent Dieu à témoin de leur innocence. N'hésitons point à mettre leur proscription au rang des funestes effets d'un temps d'ignorance et de barbarie.

MASSACRE DANS LE NOUVEAU-MONDE.

DANS CE recensement de tant d'horreurs, mettons surtout les douze millions d'hommes détruits dans le vaste continent du Nouveau Monde. Cette proscription est, à l'égard de toutes les autres, ce que serait l'incendie de la moitié de la terre à celui de quelques villages.

Jamais ce malheureux globe n'éprouva une dévastation plus horrible et plus générale, et jamais crime ne fut mieux prouvé. Las Casas, évêque de Chiapa dans la Nouvelle Espagne, ayant parcouru pendant plus de trente années les îles et la terre ferme découvertes avant qu'il fût évêque, et depuis qu'il eut cette dignité, témoin oculaire de ces trente années de destruction, vint enfin en Espague dans sa vicillesse, se jeter aux pieds de Char

les-Quint et du prince Philippe son fils, et fit enten. dre ses plaintes qu'on n'avait pas écoutées jusque alors. Il présenta sa requête au nom d'un hémisphère entier: elle fut imprimée à Valladolid. La cause de plus de cinquante nations proscrites, dont il ne subsistait que de faibles restes, fut solennellement plaidée devant l'empereur. Las Casas dit que ces peuples détruits étaient d'une espèce douce, faible et innocente, incapable de nuire et de résister, et que la plupart ne connaissaient pas plus les vêtements et les armes que nos animaux domestiques. J'ai parcouru, dit-il, toutes les petites îles Lucaies, et je n'y ai trouvé que onze habitants, reste de plus de cinq cent mille.

Il compte ensuite plus de deux millions d'hommes détruits dans Cuba et dans Hispaniola, et enfin plus de dix millions dans le continent. Il nedit pas. J'ai ouï dire qu'on a exercé ces énormités incroya bles; il dit : « Je les ai vues: j'ai vu cinq caciques brû >> lés pour s'être enfuis avec leurs sujets; j'ai vu ces >> créatures innocentes massacrées par milliers; en» fin, de mon temps, on a détruit plus de douze >> millions d'hommes dans l'Amérique. »

On ne lui contesta pas cette étrange dépopulation, quelque incroyable qu'elle paraisse. Le docteur Sépulveda, qui plaidait contre lui, s'attacha seulement à prouver que tous ces Indiens méritaient la mort, parce qu'ils étaient coupables du péché contre nature, et qu'ils étaient anthropophages.

« Je prends Dieu à témoin, répond le digne évêque Las Casas, que vous calomniez ces innocents

après les avoir égorgés. Non, ce n'était point parmi eux que régnait la pédérastie, et que l'horreur de manger de la chair humaine s'était introduite; il se peut que dans quelques contrées de l'Amérique que je ne connais pas, comme au Brésil ou dans quelques îles, on ait pratiqué ces abominations de l'Europe; mais ni à Cuba, ni à la Jamaïque, ni dans Hispaniola, ni dans aucune île que j'aie parcourue, ni au Pérou, ni au Mexique où est mon évêché, je n'ai entendu jamais parler de ces crimes, et j'en ai fait les enquêtes les plus exactes. C'est vous qui êtes plus cruels que les anthropophages; car je vous ai vu dresser des chiens énormes pour aller à la chasse des hommes, comme on va à celle des bêtes fauves. Je vous ai vu donner vos semblables à dévorer à vos chiens. J'ai entendu des Espagnols dire à leurs camarades: : « Prête-moi une longe d'indien pour le dé» jeûner de mes dogues, je t'en rendrai demain un » quartier. >> C'est enfin chez vous seuls que j'ai vu de la chair humaine étalée dans vos boucheries, soit pour vos dogues, soit pour vous-mêmes. Tout cela, continue-t-il, est prouvé au procès; et je jure par le grand Dieu qui m'écoute, que rien n'est plus véritable.

Enfin, Las Casas obtint de Charles Quint des lois qui arrêtèrent le carnage réputé jusqu'alors légitime, attendu que c'étaient des chrétiens qui massacraient des infidèles.

CONSPIRATION CONTRE MÉRINDOL.

La proscription juridique des habitants de Mérindol et de Cabrière, sous François Ier, en 1546,

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