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en pure perte et qu'il n'ordonne point de dépenses superflues. Il épargne au moins à un malade le trouble où il pourrait être s'il se voyait abandonné.

CAS VI. Agobard, traitant Anselme en danger de mort, ne s'applique qu'à prescrire les médicaments qu'il lui croit nécessaires, laissant le soin du reste au confesseur et

aux parents d'Anselme. Est-il coupable devant Dieu, si ce malade vient à mourir sans confession?

R. Oui, sans doute, 1° parce qu'il transgresse les lois de l'Eglise, qui lui ordonne par plusieurs constitutions, par ses conciles, et nommément par celui de Paris, tenu en 1429, etc., d'avertir ses malades, ou ceux qui en ont soin, d'avoir recours au médecin spirituel; 2° parce qu'il pèche contre la charité qu'il doit à son prochain, au moins dans des cas si pressants; 3° parce que les maladies étant quelquefois la peine du péché, comme le dit Innocent III, cap. 13, de Pœnit. et Remiss., il peut arriver qu'en ôtant la cause par une bonne confession, on ôte aussi l'effet. Ajoutez que l'extrême-onction peut beaucoup contribuer au rétablissement de la santé.

- Pie V, par sa constitution Super gregem, du 8 mars 1566, § 3, défend aux méde

cins de voir les malades après trois jours s'ils refusent de se confesser. L'auteur qui rapporte ce décret aurait dû remarquer qu'il n'a pas lieu en France, non plus que la peine d'infamie et de dégradation qui y est portée. Et même, si la retraite du médecin ne pouvait être que très funeste au malade, il ne faudrait pas l'abandonner. Tel qui aujourd'hui ne veut pas entendre parler de Dieu, peut dans la suite devenir un modèle de pénitence.

CAS VII. George s'entretient quelquefois avec ses amis de certaines maladies de ceux qu'il traite. Le pourrait-il sans péché?

R. Il le peut, quand ce sont des maladies qui ne peuvent déshonorer, comme la fièvre, la pulmonie, etc. Mais il ne le peut, quand ce sont des maladies capables de diffamer ceux qui les ont gagnées. De là ce juste statut de la faculté de médecine: Egrorum arcana, visa, audita, intellecta, nemo eliminet. Eh! combien de personnes aimeraient mieux périr que de voir leur mal transpirer dans le public? Je crois même, mais sauf meilleur avis, qu'il vaudrait mieux n'avertir point une honnête fille du mal de celui qui la recherche, que de faire, en le manifestant, un scandale public et ôter la confiance à la multitude.

MÉDISANCE.

La médisance est un péché par lequel on noircit la réputation d'autrui en secret et injustement. En secret, c'est-à-dire en l'absence de celui dont on parle; car ce serait contumélie que de le faire face à face. Injustement, car il est permis de découvrir les défauts d'autrui pour de justes raisons; par exemple, d'avertir un prêtre ou tout autre qu'une fille qu'il veut prendre à son service est débauchée ou voleuse.

On peut commettre le péché de médisance ou plutôt de détraction, en cinq manières. 1. En imposant au prochain un mal qu'il n'a pas fait, et alors c'est calomnie. 2° En exagérant celui dont il est coupable. 3° En révélant celui qui n'était pas connu à la personne à qui on parle. 4 En se taisant malignement lorsqu'on le loue, ou en diminuant le bien qu'on en dit, de vive voix ou par signes. 5. En interprétant ses bonnes actions en mauvaise part.

Le péché de médisance est mortel de sa nature et ne peut devenir véniel que par la légèreté de la matière ou par des circonstances qui en diminuent notablement la grièveté. Pour bien connaître cette différence, il faut surtout avoir égard à l'importance de la détraction, à la qualité de la personne dont on a médit, aux effets qu'elle a produits et à l'intention qu'on a eue en médisant. Puisque le larcin oblige à restituer ce qu'on a dérobé, la médisance oblige à plus forte raison à restituer la réputation qu'on a ôtée au prochain.

Non-seulement le médisant pèche, mais encore celui qui l'écoute avec complaisance ou avec curiosité; c'est pourquoi s'il n'est pas en droit d'imposer silence au médisant, il doit au moins lui marquer sur son visage qu'il ne l'écoute que par contrainte. Celui qui omet de reprendre le médisant quand son devoir ou son état l'y oblige ou le lui permet, est encore plus coupable. Celui qui médit de soi-même comme un plus grand péché que quand il médit d'un autre, parce que le précepte de la charité nous oblige à nous aimer plus que le prochain. Au reste le péché de la médisance est si universel, que, comme dit saint Jérôme, ceux mêmes qui sont exempts des autres vices, le commettent fort souvent.

CAS I. Oldrade vit dans une débauche secrète; Simon, qui le sait, le déclare à l'oncle d'Oldrade dans le seul dessein de concerter avec lui le moyen d'y remédier. L'a-til pu sans péché?

R. Oui, s'il a vu qu'il ne pouvait par lui seul procurer l'amendement du coupable; car, en ce cas, il n'a agi que pour son vrai bien, et il a usé du seul moyen qu'il eût d'y réussir. C'est la décision de saint Basile et de saint Thomas, 2-2, q. 73, 0.

CAS II. Némius sait qu'Octavia, fille vertueuse, mais simple, reçoit de fréquentes visites de Gabinius, jeune homme fort libertin. Peut-il, après l'avoir avertie inutilement d'éviter sa compagnie, lui déclarer la débauche secrète où il vit avec une femme, afin de la porter à le fuir?

R. I le peut et il le doit, parce que le salut d'Octavia doit lui être plus cher que la réputation de Gabinius. Car on n'est pas obligé de conserver l'honneur d'un libertin au

préjudice du salut et de la réputation d'une personne innocente. C'est par cette raison que Notre-Seigneur avertit ses disciples de l'hypocrisie des pharisiens dont la réputation était néanmoins fort grande parmi les Juifs, et que saint Paul découvre à Timothée les crimes d'Himénée et d'Alexandre.

On peut encore déclarer les plus grands défauts du prochain lorsqu'ils nous causent un dommage fort notable, et que nous le faisons pour prendre conseil et pour trouver le moyen de nous en garantir, la loi naturelle voulant que l'on commence par soimême à exercer la charité, préférablement à celle qu'on doit au prochain.

CAS III. Paléon, sachant qu'une fille de famille de son voisinage est accouchée secrètement, en a fait confidence à sa femme ou à un intime ami, à qui il a fort recommandé de n'en parler à personne. A-t-il péché en cela?

R. Oui, certainement, car quoiqu'il n'ait pas entièrement ôté la réputation de cette fille, puisqu'il n'a découvert sa faute qu'à une seule personne, il l'a pourtant détruite en partie, ce qui suffit pour le rendre coupable, à moins qu'il n'ait eu une juste raison de le découvrir, comme s'il l'avait déclaré à sa femme, afin qu'en son absence elle empêchât ses propres filles de fréquenter cellelà dont la compagnie leur pourrait être dangereuse ou exposer leur réputation. C'est donc ici qu'on doit se souvenir de cette parole du Saint-Esprit (Eccli., XIX): Audisti verbum adversus proximum tuum, commoriatur in te. On peut lire sur cette matière saint Chrysostome, Homil. 3 ad populum Antioch., où il se moque de ceux qui exigent le secret en commençant à le violer eux-mêmes.

CAS IV. Faustin a déclaré à Paul par légèreté et par une trop grande démangeaison de parler, une chose qui diminue fort la réputation de Fabius, sans néanmoins avoir eu aucune intention de lui nuire. A-til péché mortellement?

R. Pour décider ce cas, il faut se souvenir, 1 que, selon saint Thomas, la médisance est péché mortel de sa nature, et que c'est pour cela que l'Apôtre dit, Rom. 1, que Dieu hait les médisants: Detractores Deo odibiles; 2° que par cette raison on ne doit pas considérer une médisance comme un péché léger, quoique proférée par imprudence, lorsqu'elle cause un dommage notable au prochain; 3 que, si elle ne peut faire qu'un fort léger, et qu'elle soit échappée sans aucune mauvaise intention, on peut l'excuser de péché mortel; 4° que comme le dit Gerson, on peut l'excuser de tout péché, lorsqu'on ne dit du mal d'autrui que pour procurer un bien; pourvu qu'on ne dise rien que de vrai, qu'on n'ajoute point de mauvaises interprétations; qu'on n'ait point de mauvaises intentions, et qu'enfin le rapport qu'on fait du défaut du prochain ne lui soit pas plus nuisible, qu'il ne peut être utile à ceux à qui on parle. Voyez les résolutions de Gerson, tom. I, part. 2, q. 1.

-Tout cela est bien imparfait; car, 1° l'inadvertance peut bien excuser a mortali, mais non la démangeaison de parler, laquelle n'exclut pas le volontaire; 2° on peut rapporter tant de défauts du prochain, que, quoique chacun soit léger en soi, la totalité lui fasse un tort considérable, comme on peut faire mourir un homme à force de coups, dont chacun n'eût pu avoir cet effet; 3° ce qui nuit peu à un enfant, à un valet, par exemple qu'il est colère, vain, menteur, etc., peut être très-grave par rapport à un évêque, un magistrat, etc. Voyez sur cette matière mon Traité de Justitia, de la dernière édition.

CAS V. Antoine s'est trouvé dans une compagnie, où on a fait une médisance fort notable contre l'honneur d'une dame, sans qu'il s'y soit opposé. A-t-il péché mortellement?

R. Si Antoine a pris plaisir à la médisance, il a péché grièvement, et son péché a même été mortel, si ce plaisir venait de la haine qu'il avait contre la personne dont on détractait, ou qu'il ait incité à la détraction celui qui parlait mal d'elle; mais il n'a commis aucun péché, si, n'ayant pas droit d'imposer silence au détracteur, il a fait paraître à l'extérieur qu'il n'y donnait aucun consentement. Du reste on ne peut s'opposer à la médisance, en traitant de faux ce qui se dit de mal, puisqu'il est véritable; mais, ou en représentant à la personne qu'elle blesse la charité, ou en faisant connaître par une contenance triste qu'on n'entend ce qui se dit qu'avec peine

-

Il n'y a guère que ceux qui ont autorité sur le médisant, qui puissent lui faire une utile leçon. Tout autre les rend plus fu. rieux et les anime à dire encore plus. II faut, s'il est possible, changer la conversa. tion, ou, après avoir gémi en général sur la misère humaine, témoigner par son extérieur qu'on est affligé de voir déchirer un absent.

CAS VI. Arnaud a fait une noire calomnie contre Eutrope, son curé, en présence de trois personnes, en l'accusant d'un mauvais commerce avec une femme. Eutrope veut souffrir avec patience cette injure, quoiqu'il voie le grand tort que cela fait à sa réputation. Ses amis lui soutiennent qu'il est obligé en conscience de poursuivre Arnaud en réparation d'honneur. Quel parti doit-il prendre.

R. Quoique Jésus-Christ nous recommande de tendre la joue gauche, après avoir reçu un soufflet sur la droite, il y a cependant des occasions où un chrétien doit se justifier, et cela a lieu, surtout quand l'intérêt de la multitude et celui du coupable le demandent; ce qui arrive dans le cas présent, où un curé ne pourra ni reprendre, ni faire aucun bien, tant qu'il passera pour un débauché. De là ce mot de saint Augustin, can. 10, XI, q. 1 • Conscientia necessaria est tibi, fama proximo tuo; qui fidens conscientia sua, negligit famam, crudelis est. C'est pour cette raison que saint Jean, c'est-à-dire l'apôtre de la charité, voulut faire connaître la malignité

des médisances de Diotrephe, qui tâchait de diminuer sa réputation dans l'esprit des fidèles. C'est pour cela aussi que saint Paul, I Cor. x, défend sa réputation contre ceux qui s'efforçaient de la détruire. Mais de plus il y va du bien du calomniateur d'être confondu, parce que souvent c'est presque le seul moyen de le rendre plus sage, et de soustraire l'innocence à ses fureurs. Cependant comme il y a des détractions qui ne déshonorent que celui qui les fait, il vaut mieux alors le vaincre par la douceur et la patience, que d'en poursuivre la punition.

CAS VII. Murius, en arrivant de Lyon à Paris, a conté à dix ou douze Lyonnais une très-mauvaise histoire arrivée à Lucie dans leur ville, et dont ceux-ci n'avaient aucune connaissance. L'a-t-il pu sans péché?

R. Si la faute de Lucie était secrète à Lyon, ou si, quoique connue d'un nombre de personnes, elle deva t naturellement demeurer inconnue à ceux que Murius en a instruits, on ne peut l'excuser de péché; mais s'il était moralement impossible qu'ils ne la sussent quelque temps après, on ne croit pas que la publication anticipée qu'il en a faite, puisse ordinairement être regardée comme un mal, si ce n'est à raison de la haine qui l'a fait parler, ou du tort qu'il a fait ou voulu faire à cette personne. En général on ne se repent guère de s'être tu, et on se repent souvent d'avoir parlé. Il est même quelquefois contre la charité de découvrir dans un lieu éloigné un crime qui est notoire de droit dans un autre. Faut-il qu'un malheureux, parce qu'il a été flétri dans une ville, ne puisse, quoique bien converti, traîner, quelque part qu'il aille, que la douleur et l'infamie?

CAS VIII. Lucien ne se fait aucune peine de dire que Marti Is est dix fois battu en duel, parce que Martial s'en fait gloire. Cette raison suffit-elle pour disculper Lucien?

R. De bons théologiens ne trouvent là que peu ou point de péché, parce que ces sortes de gens cèdent en ce point le droit qu'ils auraient à leur réputation. J'avoue que j'y trouve de la difficulté, 1° parce qu'il sera permis par la même raison de raconter les criminelles galanteries d'un jeune homme; ce qui, quoique permis par B., parait peu conforme à la piété, et peut faire grand tort à la fortune de celui dont on parle, comme je l'ai vu ; 2° parce que les gens de bien regardent les duellistes et les gens à prétendues bonnes fortunes, comme des esclaves du démon; 3° parce que ces désordres sont Souvent applaudis, au moins secrètement, par ceux qui en entend nt le récit, et que cela les engage, contre l'intention du récitateur, à en faire autant. Il est vrai que la piété a quelquefois fait raconter bien des misères, comme on le voit par les Confessions de l'ancien et du nouvel Augus in. Mais pour en venir là, il faut être conduit par des voies peu communes. En général je puis plus sur ma réputation qu'un étranger. Voyez, sur cette matière deux Traités, l'un de la flatterie, et l'autre de la médisance, et

ce que j'en ai dit dans le Traité de la justice.

CAS IX. Ne vous êtes-vous point rendu coupable de médisance en révélant les mauvaises actions ou les défauts cachés de votre prochain sans raison suffisante? Péché mortel, si c'est en matière grave et avec délibération, parce qu'elle blesse grièvement la grande loi de l'amour du prochain; elle lui enlève ce qu'il a le plus à cœur de conserver, cet honneur dont il est pour lui-même le plus jaloux, ce bien dont rien ne peut le dédommager.

Pour juger de la grièveté de votre médisance, examinez: 1° si le mal que vous aveż dit est bien grave, bien secret, bien diffamant, comme un vol ou un autre grand péché, un défaut de naissance, un crime d'un père ou d'une mère, une maladie humiliante, quoique naturelle. 2° Quelles ont été les suites de votre coup de langue? A-t-il nui notablement à votre prochain? lui a-t-il ôté le crédit dont il avait besoin pour son commerce, la confiance qui lui était nécessaire pour exercer son état? 3 Quelle passion vous animait lorsque vous avez médit. Etait-ce la haine ou la jalousie? Aviez-vous l'intention de nuire, par exemple, d'empêcher un établissement avantageux, une succession qu'on espérait ? N'eussiczvous pas réussi dans vos désirs, vous ne laissez pas que d'être coup ble devant Dieu, qui sait tout. 4° Quelle était la qualité de la personne dont vous avez médit. Etait-ce un prêtre, un supérieur, un père, une personne religieuse? Une médisance légère envers un laïque peut être grave à l'égard d'une personne religieuse ou dévote. 5° Quel était le nombre des personnes devant qui vous avez médit. Plps il y en a, plus le déshonneur se multiplie, se répand: il y a autant de médisances distinctes que de personnes présentes à la médisance. Toutes ces circonstances peuvent être plus ou moins aggravantes, et doivent être déclarées en confession.

CAS X. Avez-vous médit par rélicence? Ecoutez cet envieux, cet orgueilleux; comment s'y prend-il pour médire? Un tel est un honnête homme, dit-il, mais..... Un_tel fait bien ses affaires, mais cependant..... Et cette langue de vipère, écoutez-la : Une telle a de la vertu, dit-elle, une telle conduit bien son ménage, mais.... Mais cru 1, plus meurtrier qu'un coup d'épée! Celui-ci a l'air de ne méd re que malgré lui; il soupire, il affecte un air compatissant, un visage triste: J'ai bien regret, dit-il, de ce qu'a fait un tel, je l'aimais beaucoup. Je ne m'explique pas da vantage, dit celui-là, en voilà assez. Il vaut mieux se taire que de médire. Médisant! dites donc tout ce que vous pensez, déchirez de toutes vos forces la réputation que vous altaquez. La fureur dont on vous verra animé fera peut-être qu'on ne vous croira pas, tandis que, par votre espèce de retenue, vous donnez à croire tout ce que l'on voudra.

CAS XI. Peu content de vous faire écouter, ne vous êtes-vous point fait en quelque sorte prier de médire? Si vous saviez, dit adroitement ce médisant, si je pouvais vous instruire. si je ne craignais d'offenser Dieu, si je ne crai

gnais pas qu'on répétát mes paroles. Ainsi, le médisant voulait paraître moins coupable, et il le devient davantage en excitant la curiosité, en faisant partager à autrui sa fureur. On lui rend confidence pour confidence. Voilà donc, répond-on alors, voilà ce que signifiaient certains discours; voilà la raison de certaines démarches, voilà le motif de tels entretiens; on répète ce qu'on a ouï dire, on réveille le souvenir de quelques aventures, de quelques anecdotes oubliées. Ainsi se forme un enchaînement de médisances, ainsi se fait le honteux trafic des réputations; on en livre une pour le prix d'une autre,

CAS XII. N'avez-vous point médit en vous taisant lorsque vous deviez parler? Devant vous, on louait une personne de ses bonnes qualités, vous avez gardé un silence qui a paru une désapprobation. On révélait les défauts de votre prochain, vous deviez parler, on s'y attendait; vous avez gardé le silence, Vous êtes un médisant. Si c'est en matière grave, vous avez péché mortellement.

CAS XIII. Avez-vous médit des morts? Même péché que si c'était des vivants. Les morts ont droit à la réputation qu'ils s'étaient acquise pendant leur vie. Le mal que l'on dit d'eux peut nuire à leurs parents vivants. - Mais je n'ai dit que la vérité. C'est pour cela que vous êtes un médisant; si vous aviez inventé ce que vous dites, vous seriez un calomniateur, et la calomnie est un péché plus grand encore que la médisance. Voyez CALOMNIE. Vous n'avez dit que la vérité, mais toute vérité n'est pas bonne à dire. Et seriezvous bien réjoui, vous, si l'on vous

sait

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tout ce qu'il y a de vrai sur votre compte? — Mais je n'ai dit que ce que tout le monde dit. - Je conviens qu'il y a une différence à faire si ce qu'on dit est connu ou s'il ne l'est pas ; mais, quelque connu qu'il soit, ne croyez pas être toujours innocent, lorsque vous vous en entretenez. Combien de faux bruits dans le monde! Est-il rare de voir tout un public trompé? Vous vous exposez donc à l'erreur en croyant au public et à la calomnie, en parlant comme lui. Vous allez même augmenter le mal: on n'osait pas encore ajouter foi à ces bruits qui se débitaient sans auteur, mais, après que vous aurez parlé, on n'aura plus de doute, votre nom servira de preuve contre l'innocence de votre frère; on citera Votre témoignage pour justifier les discours publics, tandis que, si vous vous y fussiez opposé, vous les eussiez peut-être arrêtés. Mais le bruit public n'est que trop bien fondé, je le suppose; plus il est fondé, plus vous devez en etre touché et affligé, plus vous devez souhaiter que le souvenir en périsse, et contribuer, par votre silence, à l'assoupir. Plus la faute est publique, plus la situation du coupable est triste, et elle devrait exciter volrecompassion bien plus que vos censures. Et faut-il accabler un malheureux et lui jeter la pierre, parce que les autres la lui jettent? Auriez-vous bonne grâce de venir ensuite vous glorifier de ce que vous n'avez pas été dupe, et que vous avez toujours bien dit que tôt ou tard il en viendrait là. Prophète si

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juste sur la destinée des autres, soyez prophète sur vous-même, et soyez sûr que le Seigneur vous traitera avec la même sévérité dont vous aurez usé à l'égard du prochain. - Mais la personne à qui j'ai révélé cette chose est prudente. Je le veux, et je veux même que cette personne, ayant plus de charité que vous, garde mieux le secret que vous; n'est-ce rien de diffamer quelqu'un dans l'esprit d'une seule personne prudente? Plus elle est prudente, plus on doit faire cas de son estime, plus par conséquent yous nuisez en la faisant perdre.

CAS XIV. Avez-vous écouté le médisant, l'avez-vous interrogé, applaudi? Vous êtesvous réjoui de ce qu'il médisait? Celui qui écoute la médisance est, à celui qui la fait, ce que les recéleurs sont aux voleurs. Bien plus, quand il n'y aurait plus de recéleurs il pourrait y avoir des voleurs; au lieu que, si personne n'écoutait la médisance, personne ne médirait. Si vous avez pu prévoir que la médisance que vous encouragicz serait grave, vous êtes coupable de scandale à l'égard du médisant que vous avez fait pécher, et vous avez manqué de charité à l'é¬ gard de celui de qui l'on médit.

Mais est-il possible de ne pas entendre ceux qui parlent? Oui, souvent. Qui vous oblige de rester dans ces cercles, de rechercher ces sociétés où l'on n'a d'autre occupation que de médire? Qui vous oblige de recevoir chez yous cette personne qui n'y va jamais sans porter quelque histoire sur le compte et au désavantage du prochain? Mais, si vous ne pouvez éviter ceux qui médisent, vous pou vez du moins ne prendre aucune part à leur médisance. Voici la règle que vous devez suivre à cet égard: si vous êtes supérieur à celui qui médit, vous devez user de votre autorité pour interrompre son discours et lui fermer la bouche. Si vous êtes seulement égal ou même inférieur, vous n'avez pas le même droit de résister en face, mais vous pouvez, par un air grave et sérieux, faire connaître que vous n'approuvez point ce qu'on dit, couper la conversation et la détourner peu à peu sur d'autres sujets; vous pouvez excuser et justifier la personne dont on parle, adoucir le mal qu'on en dit ; vous pouvez au moins vous faire et désapprouver intérieurement. Quand on parle sur votre compte ou sur le comple d'une personne à qui vous êtes attaché, vous prenez feu d'abord, sans bien examiner si celui qui parle est inférieur ou non; vous lui dites hardiment qu'il s'est trompé, qu'il est mal informé. Si vous ne pouvez nier le fait, les adoucissements sortent de votre bouche comme par torrent; vous trouvez mille détours pour éluder la chose. Pourquoi êtes-vous moins ingénieux quand il s'agit des autres? C'est que vous êtes moins charitable.

Médire, c'est ternir la réputation du prochain injustement; si donc vous aviez des raisons légitimes de dire le mal que vous savez du prochain, vous pourriez le dire sans péché. Ces raisons sont le bien public, le bien de celui dont on dit le mal, de celui à qui on le dit, ou de celui qui le dit

1. Vous n'avez pas péché si vous avez fait connaître un homme qui tâche de pervertir les autres, un incendiaire; souvent même il est du devoir de faire connaître des personnes aussi dangereuses.

2 Avez-vous appris à un père, à une mère les vices de leurs enfants, aux maîtres ceux de leurs domestiques, afin qu'ils les corrigent et qu'ils y apportent remède ? Vous n'avez pas péché.

3. Vous n'avez pas péché en avertissant un ami que tel ne lui convient pas pour domestique, que tel autre est une compagnie dangereuse. Un père, une mère ne pèchent pas en parlant entre eux des vices de leurs enfants ou de leurs domestiques, en vue du bien et de l'ordre de la famille. Par la même raison, vous ne pécheriez pas non plus en découvrant à un ami l'incapacité d'un avocat, d'un médecin qu'il se proposait d'employer.

4 Injustement accusé, vous pouviez, sans pécher, dévoiler les mauvaises intentions de vos accusateurs, si cela était nécessaire pour votre justification, pour prévenir un dommage considérable, ou pour demander un avis ou du secours. Mais, dans tous ces cas, il faut avoir grande attention: 1o de ne pas donner des conjectures ni des soupçons pour des choses incontestables, 2° de ne dire que ce qu'il faut, 3° à qui il faut, 4 dans une bonne intention.

CAS XV. Vous étant rendu coupable de médisance, avez-vous réparé le tort qu'elle a fait au prochain? Si c'est dans ses biens,

vous devez tirer de votre bourse et dédom mager votre prochain. En sorte qu'il ne faut qu'un seul coup de langue pour ruiner un médisant.

Avez-vous réparé le tort que votre médi sance a fait à la réputation de votre pro chain? Il n'est pas en notre pouvoir de rappeler une parole échappée. Si c'est une calomnie, vous devez vous dédire auprès de tous ceux dont vous avez dit du mal et de tous ceux qui l'ont appris. Mais le mal seraitil entièrement réparé? Mentez, calomniez, disait l'impia Voltaire, mentez, calomniez contre la religion, il en reste toujours quelque chose; si le mal que vous avez dit est vrai, vous ne pouvez pas vous dédire; vous mentiriez, et le mensonge est toujours défendu. Quand vous avez médit, on a regardé vos discours comme le langage de la vérité; la réparation, on l'attribuera à un sentiment de charité, elle ne détruira pas l'effet de la médisance; on lui a donné cours, il ne dépend pas de vous de l'arrêter. Plus elle est griève, plus constamment elle se retient et devient plus irréparable à mesure qu'il est plus nécessaire de la réparer. Ce que nous pouvons dire en général, c'est que vous devez publier le bien que vous savez de la personne dont vous avez mal parlé, lui donner des marques d'estime, lui faire des excuses, si elle sait que vous avez mal parlé d'elle, la prier de vous pardonner l'injure que vous lui avez faite, et de vous exempter de la réparer.

MÉLANGE.

On distingue deux sortes de mélanges: la commixtion et la confusion. La commixtion est le mélange des choses sèches; la confusion, le mélange des choses liquides. S'il arrive que des troupeaux se mêlent, que des grains appartenant à différents propriétaires se confondent, chacun des éléments du mélange conservant son existence concrète, il n'y a pas de communauté; chacun peut reprendre son bétail ou retirer du mélange une quantité de grains de même nature et bonté que celle qu'il a versée dans la réunion volontaire ou fortuite. S'il s'agit de la fusion de deux matières liquides, et que la matière appartenant à l'un des propriétaires soit de beaucoup supérieure à l'autre par la quantité et le prix, en ce cas le propriétaire de la matière supérieure pourra réclamer la chose provenue du mélange en remboursant à l'autre la valeur de sa matière.

Si aucune des matières qui sont entrées dans le mélange ne peut être considérée comme principale dans le sens que nous venons de dire, il faut distinguer: ou les matières peuvent ètre séparées, ou elles ne peuvent plus l'être, du moins sans inconvénient. Dans le premier cas, celui à l'insu duquel les matières ont été mélangées peut en demander la division. Dans le cas contraire, le composé est acquis en commun aux propriétaires des matières constitutives, dans la proportion de la quantité et de la valeur des matières appartenant à chacun d'eux : « Lorsque la chose reste en commun entre les propriétaires des matières dont elle a été formée, elle doit, selon le code, être licitée au profit commun. »

On comprend que, dans tous les cas où le propriétaire de l'une des deux matières employées peut réclamer la propriété de cette matière, il doit avoir le choix de demander la restitution de la matière en même nature, quantité, poids, mesure et bonté, ou sa valeur. Il est encore évident que ceux qui auront employé des matières appartenant à d'autres, et à leur insu, pourront aussi être condamnés à des dommages et intérêts, s'il y a lieu, sans préjudice des poursuites par voies extraordinaires, s'il y échet. Voyez ACCESSION.

MENSONGE.

Le mensonge est une fausse signification de quelque chose, accompagnée du dessein de tromper. Ainsi le menteur affirme une chose contraire à sa pensée, soit de paroles, par écrit ou par quelque signe extérieur. Il s'ensuit de là que mentir et dire faux sont deux choses différentes car on ne peut mentir sans dire une chose fausse, ou sans la croire telle; au lieu qu'on peut dire une chose fausse sans mentir, lorsqu'on la croit vraie. Nemo, dit saint Augustin, can. 4, XXII, q. 2, mentiens judicandus est qui dicit falsum, quod pulat verum, quoniam quantum in ipso est, non fallit ipse, sed fallitur. Il y a trois principales espèces de

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