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une augmentation de leur territoire et les Etats peu peuplés en subir une diminution; une revision des frontières aura lieu à cet effet à époques fixes, par exemple tous les cinquante ans. C'est la thèse qu'a présentée en 1919 un écrivain néerlandais, M. Montijn (n° 198) (1). Pour le moins singulière, elle est d'une application aussi peu pratique que dangereuse quel est l'Etat qui consentirait sans résistance à se voir enlever une partie de son domaine? Il ne faut donc pas hésiter, pour les motifs indiqués, å rejeter toutes ces doctrines. Celles-ci, à l'exception de la doctrine des frontières naturelles, ont d'ailleurs un double défaut commun. Elles rendent le territoire des Etats essentiellement instable. Elles relient, en outre, d'une façon exagérée, le sort du territoire à celui des populations pour faire droit au principe des nationalités ou à la règle du droit des peuples à disposer d'eux mêmes, il n'est nullement indispensable que les régions où demeurent ceux qui invoquent ce principe ou cette règle deviennent le territoire d'un autre Etat; à moins qu'il ne s'agisse pour une nation de constituer un Etat tout nouveau, il suffit aux habitants d'un Etat dont ils veulent se séparer de pouvoir le quitter librement pour s'annexer à un Etat voisin. En définitive, il n'existe aucun principe rationnel auquel il y ait lieu de faire appel en ce qui concerne la constitution du territoire d'un Etat. Celui-ci a sa source dans les circonstances les plus diverses. Simple conséquence des faits, il ne saurait avoir vraiment une base juridique.

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482. S'il convient que le territoire d'un Etat ne soit pas constamment instable, il ne faut cependant pas dire qu'il doive être absolument immuable. L'immutabilité du territoire est une chose pratiquement impossible. On n'arrête pas le cours des événements: l'état du monde ne peut être à un moment donné définitivement cristallisé. Tout ce qu'on peut faire c'est de chercher à empêcher que la force et la violence ne viennent brusquement modifier la constitution territoriale des peuples. Tel est l'objet que, dans les temps modernes, s'est proposé d'atteindre la communauté internationale. Le pacte de la Société des Nations de 1919, soucieux, conformément à l'un des 14 points du président Wilson, de donner des garanties mutuelles d'indépendance politique et des garanties territoriales à tous les Etats grands et petits », a posé dans son article 10 la règle suivante : « Les membres de la Société s'engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l'intégrité territoriale et l'indépendance politique présente de tous les membres de la Société. En cas d'agression, de menace ou de danger d'agression, le Conseil avise

(1) Montijn, Un principe nouveau de droit international public, 1919.

aux moyens d'assurer l'exécution de cette obligation » (1). On a tout d'abord interprété ce texte en ce sens qu'il entendait perpétuer l'organisation territoriale et politique telle qu'elle existait à l'époque où il avait été rendu, et c'est à raison de la signification qui lui était ainsi reconnue qu'à la première Assemblée de la Société, le 4 décembre 1920, le Canada en demanda la suppression. Mais on s'est bientôt rendu compte que l'article 10 n'avait nullement voulu légitimer sans réserves le statu quo territorial tel que les derniers traités de paix l'avaient créé et tel que les traités futurs l'établiraient peut-être ; la thèse qu'il proclamait était en réalité simplement celle-ci qu'un Etat ne doit pas pouvoir chercher, en dehors de toutes procédures pacifiques et des moyens légitimes indiqués par le pacte, à faire valoir par la violence des titres à un changement territorial quelconque, si justifiés qu'ils puissent paraître ainsi le décidèrent, par une déclaration interprétative de la disposition, en 1921, une Commission des juristes instituée par le Conseil de la Société des Nations, la Commission des amendements au pacte et la première commis

(1) L'origine directe de l'article 10 du pacte de la Société des Nations, qui s'inspirait du 140 point que le président Wilson avait formulé dans son message du 8 janvier 1918 (n° 1464), se trouve dans un projet qu'en 1915 le même président Wilson avait soumis à la considération des gouvernements d'Amérique et dont l'article 1" déclarait que les Hautes Parties contractantes conviennent de s'unir pour la garantie commune et réciproque de l'intégrité territoriale sous la forme républicaine de gouvernement (V. le texte de ce projet dans Alvarez, Le droit international de l'avenir, 1916, p. 87). Mais il faut remarquer que tandis que dans le 14 point et dans le pacte de la Société des Nations la garantie de l'intégrité territoriale doit être une garantie mondiale, générale, celle dont parlait en 1915 M. Wilson devait être simplement une garantie continentale: les Etats de l'Amérique devaient se garantir seulement l'intégrité de leurs territoires respectifs, ils n'avaient pas à garantir les limites territoriales de tous les Etats du monde. Cette dernière idée était, d'ailleurs, en germe dans la doctrine de Monroe de 1823 (n° 312 et s.), et elle avait reçu son expression plus complètement encore dans les conventions et pactes que les princi. paux Etats de l'Amérique latine signèrent à Panama en 1826, à Lima en 1848, à Santiago en 1856, à Lima en 1864-1865: ces actes stipulaient en effet la défense réciproque de leur indépendance et de leur intégrité territoriale par les républiques hispano-américaines (n° 241) (V. Alvarez, Le droit international américain, pp. 49, 51, 52, 56 et 59). Dans l'opinion de l'Amérique actuelle, la garantie de l'intégrité territoriale doit être, au surplus, simplement une garantie continentale, entre Etats du même hémisphère, et non pas une garantie générale, entre tous les Etats du monde, et elle ne doit pas être une garantie perpétuelle, impliquant l'immutabilité absolue des territoires: ce que l'Amérique souhaite, c'est uniquement l'assurance que les changements de territoire s'effectueront, non par un abus de la force, mais par des moyens pacifiques. Tel est le sentiment qu'a manifesté en 1916 l'Institut américain de droit international par l'intermédiaire de son secrétaire général M. Alvarez (Alvarez, Le droit international de l'avenir, pp. 75 et 77). Pour l'Amérique, le respect et la garantie de l'intégrité terri

sion de la deuxième Assemblée (1). C'est également cette interprétation qu'il faut donner à tous les traités de respect et de garantie de l'intégrité territoriale que, avant comme après la rédaction du pacte, signèrent ou proposèrent de signer entre eux de nombreux Etats on peut citer notamment, parmi ces traités ou ces projets de traités, les accords de 1907 entre l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne (possessions en Asie) et entre l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, la Norvège et la Russie (intégrité de la Norvège)(2); les déclarations de 1908 entre l'Allemagne, le Danemark, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Russie et la Suède (mer du Nord et mer Baltique) (n° 267°); les projets de traités et de pactes de garantie offerts le 28 juin 1919 par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne à la France et en 1922 par la Grande-Bretagne à la France et à la Belgique (n° 146°); l'accord du 13 décembre 1921 entre les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et le Japon (n° 267). — Déjà, en Amérique, dès le début du XIX siècle, xix les républiques hispano-américaines avaient conclu entre elles, à Panama en 1826, à Lima en 1848, à Santiago en 1856, à Lima en 1864-1865, des pactes pour la garantie de leur intégrité territoriale (n° 241). L'un des pactes, le traité de Santiago du 15 septembre 1856, allait même très loin dans cette voie, en ce sens qu'il proclamait le territoire des républiques vraiment immuable, n'autorisant entre elles que des rectifications de frontières; son article 13 déclarait en effet : « Chacune des parties contractantes

toriale qu'assure la doctrine de Monroe sont, en outre, de beaucoup supérieurs à ceux que peut donner aux Etats l'article 10 du pacte de la Société des Nations (V. sur ce point le discours de M. Alvarez à la quatrième Assemblée de la Société des Nations en septembre 1923, Actes de la quatrième Assemblée).

(1) V. à ce sujet un remarquable article de M. Struycken sur la Société des Nations et l'intégrité territoriale, auquel sont annexés tous les documents officiels de la Société des Nations relatifs à l'acticle 10 du pacte, dans le tome I de la Bibliotheca Visseriana dissertationum jus internationale illustrantium, pp. 93 et s. Comp. aussi Sibert, R. D. I. P., 2o série, t. V, pp. 293 et s. L'interprétation de l'article 10 du pacte a fait l'objet, au mois d'août 1923, dans sa session de Bruxelles, sur de savants rapports de MM. Adatci et Charles de Visscher, d'importantes discussions au sein de l'Institut de droit international. V. Annuaire de l'Institut, t. XXX. A la quatrième Assemblée de la Société des Nations à Genève, au mois de septembre 1923, on a de nouveau essayé, sans y réussir, de donner une interprétation de l'article 10. V. Résumé mensuel des travaux de la Société des Nations, 15 octobre 1923, t. III, n° 9, p. 198. V. encore Komarnicki, La question de l'intégrité territoriale dans le pacte de la Société des Nations,

1923.

(2) Le gouvernement norvégien, à la date du 8 janvier 1924, a dénoncé le traité signé le 2 novembre 1907 entre la France, la Russie, l'Angleterre, l'Allemagne et la Norvège, en vue d'assurer l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Norvège.

s'oblige à ne céder ni aliéner, sous aucune forme, à un autre Etat ou gouvernement, aucune part de son territoire, ni à permettre, dans les limites de ce dernier, l'établissement d'une puissance étrangère; les autres parties promettent de ne pas reconnaître cet établissement, quel qu'en soit le motif. Cette stipulation n'empêche pas les cessions que les Etats contractants se feraient les uns aux autres pour régulariser leur démarcation géographique, ou pour fixer des limites naturelles à leur territoire, ou pour déterminer à leur avantage réciproque leurs frontières ». A la suite du mouvement séparatiste qui éclata le 21 octobre 1923 en Rhénanie allemande, la Grande-Bretagne a, le 31 du même mois, fait remettre aux gouvernements de France et de Belgique une note dans laquelle elle soutint que la constitution d'Etats indépendants du Reich allait à l'encontre du traité de Versailles du 28 juin 1919, dont l'article 27 a déterminé les frontières de l'Allemagne, et en conséquence invita ses alliés à ne pas appuyer et à ne pas reconnaître le mouvement séparatiste rhénan. La France et la Belgique firent observer à la Grande-Bretagne que le territoire de l'Allemagne n'était pas nécessairement immuable; que l'article 27 du traité de Versailles n'avait pas pour objet de garantir les frontières du Reich mais simplement de fixer l'ensemble des territoires allemands soumis aux obligations du traité; que, la question du séparatisme rhénan étant une affaire ne regardant que les Prussiens et les Rhénans, elles entendaient observer en la circonstance une stricte neutralité (1). C'est une attitude analogue que semble avoir prise la Grande-Bretagne au mois de janvier 1924, à l'occasion du mouvement séparatiste qui s'était produit à la fin de l'année 1923 dans le Palatinat bavarois elle soutint la thèse que les Alliés dans les régions occupées sont dans la situation de fideicommissaires et doivent rendre intacts à l'Allemagne les territoires qu'elle leur a remis, avec le régime qui était le leur en 1919 (2).

(1) V. le Temps des 2 et 4 novembre 1923. (2) V. le Temps du 13 janvier 1924.

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483. La haute ou pleine mer ne fait partie du territoire d'aucun Etat. Nul Etat ne peut avoir sur elle, ni droit de propriété, ni droit d'empire, ni droit de juridiction. Nul ne peut légitimement prétendre y dicter des lois. L'océan est la grande route commune de toutes les nations. Tous les navires y doivent être sur un pied de complète égalité.

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