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4° A la différence de ce qu'on décide dans la doctrine des servitudes côtières (1), il faut admettre dans la théorie du droit de conservation, comme dans les systèmes de la propriété et de la souveraineté, que le droit de pêche dans les eaux territoriales doit être réservé aux nationaux de l'Etat riverain, à moins qu'un traité ne règle par des dispositions spéciales l'exercice de la pêche par les étrangers. Quoi qu'on en ait dit (2), les intérêts de la propre conservation du riverain sont en effet ici réellement en cause. Un des éléments de la conservation d'un Etat est sa population; or l'existence de cette dernière, le long des rivages, est étroitement liée à l'usage du droit de pêche : celui-ci est indispensable pour assurer la vie du plus grand nombre des habitants des côtes; c'est l'industrie de la pêche qui leur fournit leur principal travail. Une autre raison, qui touche encore à la conservation de l'Etat, est que c'est surtout parmi les pêcheurs de profession que se recrute l'armée navale il importe dès lors de multiplier le plus possible le nombre des marins nationaux en vue de l'armement de la flotte de guerre. Il y a ainsi, en matière de pêche, une véritable nécessité à restreindre le droit de tous à la libre mer. Elle s'impose aussi, nous l'avons dit, dans les conceptions de la propriété et de la souveraineté des eaux territoriales; on a cependant soutenu que, si la propriété permet de monopoliser la pêche, la souveraineté n'autorise qu'à la réglementer (3). C'est peut-être diminuer un peu trop la force de la souveraineté.

5° La sauvegarde des intérêts politiques et économiques qu'exige la conservation de l'Etat doit permettre à l'Etat riverain de réserver à ses nationaux, sauf disposition contraire dans sa législation ou dans ses traités, le cabotage, c'est-à-dire la navigation commerciale d'un port à l'autre du même pays en longeant les côtes. La sécurité des côtes et le ravitaillement des ports d'un Etat pourraient être à un moment donné compromis si des navires étrangers parcouraient en grand nombre et incessamment les eaux qui enserrent son territoire (4). Le droit de réserver

(1) De Lapradelle, op. et loc. cit., p. 313.

(2) De Lapradelle, op. et loc. cit., pp. 326 et s. (3) De Lapradelle, op. et loc. cit., p. 328.

(4) « Indépendamment des considérations d'ordre économique, remarque à ce sujet Despagnet-de Boeck (op. cit., n° 414), le monopole du cabotage pour le pavillon national se justifie mieux encore peut-être par l'intérêt de la sécurité nationale, la présence d'un trop grand nombre de navires étrangers sillonnant les eaux territoriales pouvant être un danger dans certains cas, et leur participation trop grande au ravitaillement des ports entre eux pouvant devenir compromettante, lorsque, leur concours manquant, les caboteurs natio nanx seraient insuffisants pour assurer le ravitaillement ».

l'exercice exclusif du cabotage pour les bâtiments nationaux est également une conséquence logique des systèmes de la propriété et de la souveraineté de la mer littorale; on ne le considère pas au contraire comme imposé par le système des servitudes côtières (1).

6o Le système du droit de conservation n'envisageant la mer territoriale que comme une partie de la mer libre, il faut décider qu'en principe le riverain ne doit avoir sur elle, au point de vue de la police de la navigation, d'autres droits que ceux qui appartiennent à tous les Etats: ce sont les règles afférentes à la police générale de l'océan qu'ici il y a lieu d'appliquer à son endroit (n° 483 et s., 483" et s.). Cependant, comme, d'après ce système, le riverain doit avoir sur la mer côtière tous les pouvoirs nécessaires à sa propre conservation en tant qu'Etat, il nous parait qu'on doit lui reconnaître sur elle certains droits particuliers. La conservation d'un Etat demande qu'il ait avec les autres nations des relations aussi nombreuses que possibles, pour autant bien entendu que ces relations ne doivent pas être un danger pour lui. Or la fréquentation maritime d'un pays sera nécessairement toujours en relation directe des facilités que les navires trouveront à ses abords. Il faut donc reconnaître à chaque Etat maritime le droit de prendre, aux approches de ses côtes, toutes les mesures nécessaires pour assurer aux navires qui se dirigent vers elles une entière sécurité de navigation. De là, pour le riverain, le droit de fixer dans les eaux littorales certaines routes aux navires, de les obliger à prendre pour leur traversée des pilotes locaux, d'y installer des bouées, des balises, des stations flottantes remplissant à la fois le rôle de phares et de sémaphores, de prescrire des feux et des signaux spéciaux en dehors de ceux qu'impose la police générale des mers, d'établir et de faire stationner des bateaux destinés à la remorque des navires. Il y à pour un Etat, au point de vue de ses relations maritimes, un intérêt évident à ce qu'il ne se produise pas trop fréquemment d'échouements et d'abordages dans les eaux qui l'avoisinent. Les Etats devront d'autant plus jouir de droits de police particuliers dans leurs eaux côtières que celles-ci seront davantage parsemées d'écueils et que l'abord de leurs côtes sera plus malaise. Afin que les échouements et les naufrages, qui peuvent toujours se produire, aient les moindres conséquences, il faut encore permettre à l'Etat riverain d'édicter des règlements spéciaux en ce qui concerne le sort des choses et des personnes échouées ou qui touche l'assistance et la protection à leur

naufragées, en ce

(1) M. de Lapradelle (op. et loc. cit.,) n'indique pas la réserve du cabotage parmi les conséquences de son système.

donner.

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Si on pense que les eaux qui longent un Etat sont sous sa propriété ou sa souveraineté, et ainsi font partie de son territoire, on doit aussi incontestablement admettre qu'il a le droit d'y régler la police de la navigation. Mais doit-on lui reconnaître ce même pouvoir dans les systèmes d'un droit de souveraineté et dans la doctrine des servitudes ? L'Institut de droit international qui, tout en déniant aux eaux littorales le caractère de territoire, attribue à l'Etat riverain un droit de souveraineté sur ces eaux, estime que cet Etat peut y édicter des règlements dans l'intérêt et pour la sécurité de la navigation et pour la police maritime (art. 5 et 7, règlement de 1894). M. de Lapradelle, qui a proposé la théorie des servitudes côtières, par laquelle se trouve restreint vis-à-vis des tiers le libre usage de la mer dans les seules limites de la nécessité, déclare au contraire d'une manière absolue que l'Etat riverain ne peut pas faire la police dans des eaux situées hors de ses frontières (1).

7° En ce qui touche le cérémonial maritime, l'Etat riverain doit pouvoir réclamer, en vertu de son droit de conservation, le premier salut des navires qui passent sous les forts et les batteries de ses côtes. Il y a là un hommage rendu au territoire. Et cet hommage est un symbole : en admettant aux abords de ses rades et de ses ports des navires de guerre qui, nombreux parfois, pourraient mettre l'indépendance du pays en danger, l'autorité locale est en droit d'exiger que, par des démonstrations de courtoisie faites au moyen du salut du canon et des pavillons, les navires admis marquent qu'ils sont venus sans arrière-pensée, qu'ils s'inclinent devant la souveraineté de l'Etat et qu'ils s'engagent à respecter l'hospitalité qu'on veut bien leur accorder. Mais, en dehors du salut à la terre, les règles du cérémonial dans les eaux territoriales doivent être, dans le système du droit de conservation, les mêmes que dans les autres portions de la mer libre, puisque dans ce système les eaux littorales ont le caractère du reste de l'océan et que la conservation de l'Etat ne se trouve pas réellement en cause. La doctrine des servitudes côtières ne semble pas imposer de règles spéciales en ce qui concerne le cérémonial. Dans le système du droit de propriété ou du droit de souveraineté qui considère la mer territoriale comme le propre territoire du riverain, c'est dès la pénétration des navires dans cette mer que le riverain doit avoir droit au salut, et il doit pouvoir en revendiquer la priorité non seulement pour son territoire mais aussi pour son pavillon.

8° Les eaux adjacentes au territoire d'un Etat, n'étant pas, dans le système du droit de conservation, une portion de ce

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territoire, mais constituant une zone de la mer libre, doivent demeurer entièrement ouvertes au passage des navires. Ce n'est que si ce passage peut devenir pour lui une cause de dangers que l'Etat riverain doit être admis à l'interdire. Mais un pareil résultat est-il concevable ? Des navires de commerce qui, en temps de paix, passent en vue des côtes d'un Etat ne sauraient être évidemment une menace pour sa propre conservation. On ne voit pas davantage que des navires de guerre transitant pendant la paix puissent compromettre la sécurité du riverain. Le seul danger que celui-ci peut redouter de ces navires est le danger d'espionnage; et ce danger n'est pas vraiment à craindre, car ces navires ne sauraient rien apprendre qui ne soit déjà pleinement connu. La situation n'est pas différente en temps de guerre lorsque l'Etat côtier est neutre les navires de commerce et aussi les navires de guerre des étrangers, même belligérants, peuvent alors encore, sans péril pour lui, traverser les eaux qui lui sont contiguës. Des auteurs (1) toutefois le contestent en ce qui concerne les vaisseaux de guerre ; mais leur opinion n'a d'autre base que le fait que le passage, en leur facilitant l'accès vers le territoire ou la force ennemie, est contraire aux devoirs de neutralité de l'Etat riverain, et strictement une semblable base ne peut se concevoir que si on considère qu'avec la mer territoriale commence déjà le domaine du neutre, ce qui, on le sait, n'est pas le cas dans le système du droit de conservation. En guerre comme en paix, là où ne s'exerce la souveraineté d'aucun Etat, la liberté des routes et des communications maritimes doit être respectée. Que décider maintenant si l'Etat riverain est un belligérant ? Pourra-t-il empêcher dans ses eaux adjacentes le passage des bâtiments de commerce ou de guerre des pays non engagés dans la guerre ? Nous croyons que, dans ce cas, le droit de conservation de cet Etat doit lui permettre de s'y opposer des bâtiments, fussent-ils de commerce, sont à même de surprendre des préparatifs belliqueux, et, par la divulgation qu'ils en feront, peut-être sans intention mauvaise, d'exposer son existence au bénéfice de son adversaire. Ce que nous venons de dire pour le simple passage est également vrai en règle générale pour le séjour des navires étrangers. Cependant ici il faut dans certains cas reconnaitre des droits plus étendus au riverain. Celui-ci pourra, même en temps de paix, et, en temps de guerre s'il est neutre, imposer certaines prescriptions aux navires de guerre des Etats étrangers, par exemple restreindre à un temps déterminé leur séjour aux abords de ses côtes ou limiter le nombre des bâtiments d'un même Etat qui peuvent y jeter l'ancre il doit en effet pouvoir se

(1) V. notamment Kleen, Lois de la neutralité, t. I,

P. 508.

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garantir contre toutes surprises fâcheuses pour son existence. C'est, on l'a vu (n°* 492 et 4923), à des conséquences autrement restrictives de l'usage de la mer qu'on est conduit avec les systèmes du droit de propriété et du droit de souveraineté, tout au moins lorsqu'on les entend dans un sens absolu les eaux territoriales étant alors le territoire de l'Etat côtier, celui-ci est rigoureusement en droit d'y soumettre arbitrairement tous les bâtiments étrangers aux limitations qu'il juge convenables. Le système des servitudes ne doit pas au contraire permettre d'interdire aux navires l'accès de la mer territoriale. L'Institut de droit international, dans son règlement de 1894 (art. 5), a admis la liberté du passage inoffensif en tout temps pour tous les navires dans les eaux côtières, mais sous la double restriction que les belligérants peuvent dans un but de défense et dans l'intérêt même des neutres interdire ce passage d'une façon absolue et que les neutres peuvent dans l'état de guerre le réglementer pour tous les navires de guerre.

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De même qu'il ne peut interdire le passage inoffensif des navires dans les eaux côtières, l'Etat riverain ne peut, dans le système du droit de conversation, soumettre ces navires au paiement de péages.

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9° La règle à laquelle conduit en matière de juridiction la théorie du droit de conservation est que l'Etat riverain ne peut avoir une compétence judiciaire dans la mer territoriale à l'égard des actes accomplis à bord des navires qui s'y trouvent que si ces actes sont de nature à porter atteinte à ses intérêts essentiels, à troubler l'ordre général de son territoire. Et il en doit être ainsi aussi bien au civil qu'au criminel. Telle est également la mesure dans laquelle l'Etat côtier peut avoir le droit de justice au point de vue de l'application de ses propres lois. Dans le système de la propriété comme dans celui de l'entière souveraineté, c'est, au contraire, la pleine justice que, logiquement, il faut reconnaître au pays riverain. Du fait que les eaux territoriales sont situées en réalité hors des frontières, la doctrine des servitudes côtières en déduit, en sens inverse, que la juridiction n'y doit pas appartenir à l'Etat riverain, sauf peut-être dans le cas d'atteinte à ses droits fiscaux ou aux intérêts de ses ressortissants non passagers des navires étrangers (1). L'Institut de droit international, dans son règlement de 1894 (art. 6 et 8), distingue entre les navires qui séjournent et ceux qui sont seulement de passage dans la mer territoriale: les premiers sont soumis à la juridiction de l'Etat riverain, mais les seconds doivent y échapper à moins

(1) V. de Lapradelle, op. et loc. cit., pp. 316 et 318.

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