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et leur permet, en allant jusqu'à la limite de leur droit, non seulement d'empêcher la libre navigation du fleuve qui, dans. notre opinion, appartient à tous les peuples, mais même de le dessécher complètement. En réalité, lorsqu'on détermine la partie du fleuve que les Etats ont le droit d'exploiter ou de faire exploiter, on entend indiquer la partie sur laquelle ils peuvent faire sentir leur action, mais non pas la mesure dans laquelle ils peuvent sur cette partie l'exercer d'une manière effective. A ce dernier égard, comme on l'a dit déjà, le seul principe auquel il faut se référer est que, là où elle peut régulièrement se produire, l'action du riverain ne doit jamais nuire aux droits appartenant à d'autres Etats. Et de ce principe il est permis de tirer les conséquences suivantes : 1° Un riverain ne peut pas enlever au fleuve, le long de ses rives, une quantité d'eau qui gêne son coriverain dans l'exploitation industrielle ou agricole des eaux bordant son propre territoire. 2° Il ne peut non plus déverser dans ses eaux territoriales des matières nuisibles susceptibles, en se propageant dans le fleuve, de contaminer celui-ci. 3° Il ne peut pas davantage y exécuter des travaux qui, en refoulant les eaux sur l'autre rive, doivent entraîner pour elle des détériorations ou des inondations. 4° Il ne peut enfin y accomplir aucun acte capable d'apporter en une partie quelconque du fleuve, pour les non-riverains comme pour les riverains, un obstacle à la liberté de la navigation. Mais quand devra-t-on dire qu'un Etat s'est, en fait, rendu coupable d'un de ces actes dommageables ? Ici, pas plus que pour un fleuve traversant plusieurs Etats, il n'est possible d'établir d'une manière générale un critérium, fixant par exemple la quantité d'eau dont la dérivation est constitutive d'un dommage. On ne peut pas a priori poser des règles précises de nature à s'appliquer aux différentes hypothèses. C'est à propos de chaque cas concret, et en tenant compte des circonstances de fait, qu'il faut examiner si une exploitation industrielle ou agricole doit porter vraiment préjudice à autrui. La légitimité du mode d'usage qu'un riverain veut faire d'un cours d'eau dépendra tout d'abord du consentement des Etats intéressés. A défaut d'une entente sur ce point entre les Etats, c'est à l'appréciation des commissions communes et permanentes que la question sera soumise, et les décisions de ces commissions auront un caractère obligatoire. 5235.

Nous avons jusqu'ici toujours supposé que, sur toute sa longueur, le fleuve-frontière sépare deux pays par son milieu ou son thalweg. Mais deux autres situations sont possibles.

1° Il se peut que le fleuve formant la frontière entre deux Etats appartienne tout entier à l'un d'eux. Alors, c'est du fleuve tout entier et non plus d'une de ses parties seulement, jusqu'à

son milieu ou jusqu'à son thalweg, que ce dernier pourra faire un usage industriel ou agricole. L'autre riverain, qui n'a en réalité sur le fleuve aucun droit de propriété ou de souveraineté puisque sa frontière est constituée par son rivage, ne pourra à ce point de vue exercer sur lui aucune action c'est à tort qu'un auteur, M. Politis (1), a voulu lui reconnaître un droit d'utilisation industrielle ou agricole sur la portion des eaux s'étendant de son côté, car ce droit, n'étant pas comme celui de libre navigation d'un usage inépuisable, implique nécessairement qu'on possède sur les eaux un dominium eminens à cet Etat ne peut appartenir sur le fleuve, comme à tout Etat non riverain, que le droit de naviguer. L'Etat propriétaire et souverain du fleuve aura le droit d'y faire, dans tout son cours, usage de l'eau à son gré, à la double condition que, par ses entreprises, il ne nuise pas d'une façon quelconque à la rive adverse et ne mette pas d'obstacles au droit de navigation, apanage de tous les peuples

2o La seconde situation est celle d'un fleuve dont chacune des rives ou tout au moins l'une d'elles n'appartient pas exclusivement à un seul Etat il n'y a pas uniquement des Etats riverains l'un en face de l'autre, il y a encore des riverains d'amont et des riverains d'aval. Pour la solution des difficultés auxquelles cette situation peut donner lieu, il convient de combiner ce qui a été dit respectivement au sujet des fleuves qui traversent plusieurs Etats et au sujet de ceux qui séparent deux pays.

523o. Ainsi que nous l'avons indiqué, l'Institut de droit international, dans son règlement du 20 avril 1911, a statué aussi bien en ce qui concerne les cours d'eau formant frontière entre deux 'Etats qu'en ce qui touche ceux traversant successivement les territoires de deux ou de plusieurs pays. Il a, pour les premiers, disposé comme suit : « Lorsqu'un cours d'eau forme la frontière de deux Etats, aucun de ces Etats ne peut, sans l'assentiment de l'autre, et en l'absence d'un titre juridique spécial et valable, y apporter ou y laisser apporter par des particuliers, des sociétés, etc, des changements préjudiciables à la rive de l'autre Etat. D'autre part, aucun des deux Etats ne peut, sur son territoire, exploiter ou laisser exploiter l'eau d'une manière qui porte une atteinte grave à son exploitation par l'autre Etat ou par les particuliers, sociétés, etc. de l'autre. Les dispositions qui précèdent sont également applicables lorsqu'un lac s'étend entre les territoires de plus de deux Etats

(1) Note de M. Politis à l'Institut de droit international, Annuaire de l'Institut, t. XXIV, p. 175.

524.

III.

DE CERTAINES DISTINCTIONS ENTRE LES COURS
D'EAU NATIONAUX ET LES COURS D'EAU INTERNATIONAUX

C'est, dans notre opinion, aux navires de toutes les nations que tous les fleuves doivent être ouverts au point de vue de la navigation, une même condition juridique doit être reconnue aux différents cours d'eau, qu'ils soient nationaux ou internationaux, qu'ils coulent sur le territoire d'un seul pays ou qu'ils séparent ou traversent deux ou plusieurs Etats. Mais, on l'a dit, cette solution n'est point celle de la majorité des auteurs. - D'après la doctrine dominante, les fleuves nationaux et les fleuves internationaux doivent être respectivement soumis à un régime distinct; seulement, à moins d'un accord spécial entre les pays intéressés, les voies navigables qui appartiennent à l'une ou à l'autre de ces deux catégories doivent avoir toutes une situation identique, qu'on peut indiquer comme suit: 1° sur tous les fleuves nationaux, nul Etat étranger n'a le droit de naviguer ; 2° sur tous les fleuves internationaux, les riverains seuls peuvent circuler; les non-riverains n'ont pas le droit d'y pénétrer. Ne serait-il pas plus rationnel d'établir entre ces fleuves, en ce qui concerne leur règlementation, certaines distinctions suivant leur importance ou leur nature ? On peut effectivement concevoir qu'à ces égards des différences soient instituées entre eux; ęt, dans la réalité des choses, des théoriciens et des praticiens du droit international ont tenté de soutenir une pareille solution.

1. Distinction entre les cours d'eau d'après leur importance

5241. Tous les fleuves n'ont pas en fait la même importance économique. Il en est qui, en tant que voies de communication et artères commerciales, sont d'un intérêt vraiment universel; mais il en est d'autres qui, n'étant ni des voies de communication faciles, ni des artères commerciales de premier ordre, n'intéressent, dans la réalité, qu'un nombre limité d'Etats. S'inspirant de cette situation, un jurisconsulte chilien, M. Alvarez, a proposé une classification en trois catégories des fleuves internationaux séparant ou traversant deux ou plusieurs Etats et une distribution en deux classes des fleuves nationaux arrosant le territoire d'un seul pays: 1 Fleuves internationaux possédant un caractère tout particulièrement international par les intérêts multiples qu'ils mettent en jeu. Sur ces fleuves, qu'on peut appeler d'intérêt universel, la libre navigation doit être proclamée comme un droit à la fois au profit des riverains et au profit des non-riverains,

et c'est à des commissions internationales que doivent être confiées leur administration et leur règlementation la liberté de la navigation est pour eux un principe du droit public international. 2° Fleuves internationaux dont l'importance n'est pas universelle, en ce sens que la navigation y est moins facile et moins utile au point de vue commercial et qui n'intéressent en réalité que les pays riverains. La libre navigation de ces fleuves doit être reconnue aux riverains, mais elle ne peut être accordée aux nonriverains qu'en vertu de conventions consenties par les premiers : elle constitue pour les nations non riveraines une concession gracieuse et non un droit reconnu à tous les Etats. L'administration et la règlementation des fleuves de cette catégorie sont exclusivement du ressort des riverains qui, à cet égard, passent entre eux des accords. 3° Fleuves internationaux qui ne traversent que le territoire de deux Etats et qui sont encore dans une large mesure inexplorés. L'usage de ces fleuves ne peut appartenir qu'aux riverains, qui se le réservent par des conventions ou des modus vivendi ; ils peuvent leur appliquer les règles qu'ils jugent nécessaires à condition de ne point supprimer le principe de la libre navigation. 4° Fleuves nationaux ayant une importance commerciale. L'Etat territorial doit y appliquer autant que possible le principe général de la libre navigation. 5° Fleuves nationaux n'ayant pas une importance commerciale. L'Etat qui en est propriétaire et souverain est maître d'y faire ce qui lui plaît (1).— C'est dans un ordre d'idées analogue que s'est prononcé en 1921 un praticien français, M. Charguéraud. En dehors des fleuves. nationaux dont l'Etat territorial est le maître absolu, il divise les fleuves internationaux, c'est-à-dire ceux qui dans leur cours naturellement navigable séparent ou traversent différents Etats, en deux catégories: 1° les fleuves d'intérêt général, sur lesquels ont des droits même les nations non riveraines; 2° les fleuves d'intérêt commun, qui sont légalement ouverts aux riverains et sur lesquels les non riverains ne peuvent circuler que par le consentement des premiers (2). La distinction de l'intérêt international, général ou universel, et de l'intérêt commun ou limité forme également la base de propositions faites par des praticiens roumain, néerlandais, polonais, brésilien et norvégien MM. Po

(1) Alvarez, La conférence de Barcelone sur le transit et nouveau droit international, Compte-rendu des séances et travaux de l'Académie des scienAlvarez, Discours à ces morales et politiques, juillet-août 1921, p. 141. la conférence de Barcelone sur le régime des voies navigables d'intérêt international, Comptes-rendus de la conférence, pp. 22, 46 et 63.

(2) V. Discours de MM. Loiseau et Deteuf à la conférence de Barcelone, Comptes-rendus, pp. 50 et 90. Comp. p. 89, note.

pesco (1), Lely (2), Winiarski (3), Montarroyos (4) et Maseng (5). Tout en ayant une même base, ces propositions ne sont cependant pas toutes identiques; plusieurs d'entre elles diffèrent aussi de celles de M. Alvarez et de M. Charguéraud. Alors que certaines, comme celles de MM. Montarroyos et Lely, admettent que des fleuves nationaux peuvent être ou non d'intérêt international et des fleuves séparant ou traversant des Etats différents d'intérêt général ou d'intérêt commun, selon qu'ils sont de réelle ou de minime importance, d'autres, comme celles de M. Popesco, considèrent que ne sont jamais d'intérêt international les fleuves nationaux, mais que sont toujours d'intérêt général les fleuves traversant plusieurs Etats et d'intérêt commun les fleuves séparant ou traversant deux Etats. Les auteurs des propositions ne s'entendent pas davantage sur les conséquences que peuvent entraîner l'intérêt général et l'intérêt commun : si tous estiment que l'institution de commissions internationales n'est un effet que d'un intérêt général, quelques-uns, comme M. Popesco, n'admettent une entière liberté de navigation que sur les cours d'eau d'intérêt universel, tandis que d'autres, tel M. Lely, reconnaissent à l'intérêt commun aussi bien qu'à l'intérêt général le pouvoir de conférer aux non riverains le droit de circulation; à la différence de M. Montarroyos qui ne donne la liberté de navigation que sur les fleuves nationaux d'un caractère international, M. Lely va même jusqu'à l'attribuer sur tous les fleuves nationaux.

Que faut-il penser du système qui veut ainsi traiter différemment les fleuves, non pas simplement parce qu'ils séparent ou traversent les territoires d'un seul ou de plusieurs Etats, mais parce qu'ils présentent un intérêt général ou un intérêt commun, parce qu'ils ont ou non un caractère international ? Ce système est théoriquement acceptable. Il est en soi parfaitement rationnel. Il se peut fort bien en effet qu'un fleuve intéresse tous les pays quoiqu'il n'arrose que deux ou même un seul Etat et qu'au contraire un fleuve dont le cours baigne de nombreux pays n'ait qu'une minime importance économique. Et dès lors on comprend qu'on ouvre le premier à la navigation de toutes les nations tandis qu'on n'autorise sur le second que la navigation de ses riverains.

(1) Popesco, Discours à la conférence de Barcelone, Comptes-rendus, pp. 53-54.

(2) Lely, Discours à la conférence de Barcelone, Comptes-rendus, p. 44. (3) Winiarsky, Discours à la conférence de Barcelone, Comptes-rendus, pp. 49-50.

(4) Montarroyos, Discours à la Conférence de Barcelone, Comptes-rendus, pp. 56-57. (5) Maseng, Discours à la conférence de Barcelone, Comptes-rendus,

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