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demande du gouvernement britannique d'ajourner ses travaux (1). 531". Après cet échec de la conférence de Paris, des incidents répétés se produisirent qui montrèrent combien était urgent l'établissement d'une règlementation internationale de la navigation aérienne. Pendant les années 1911 et 1913, il ne se passa presque pas de semaine qu'on ne signalât des ballons dirigeables et des aéroplanes allemands, civils et militaires, planant ou atterrissant aux environs des frontières, sur les territoires de la France, de la Belgique, des Pays-Bas et de la Suisse (2). Deux atterrissages causèrent surtout une vive émotion: celui d'un dirigeable allemand, monté par des militaires en uniforme procédant à des essais du ballon avec des civils qui atterrit à Lunéville le 3 avril 1913, et celui d'un aéroplane militaire allemand qui, le 22 du même mois, s'échoua à Arracourt (3). Le gouvernement français décida alors d'inviter son ambassadeur à Berlin, M. Jules Cambon, à appeler l'attention du gouvernement impérial sur la répétition des atterrissages de ballons et d'avions allemands en France près de la frontière et sur les inconvénients qui pouvaient en résulter. Les conversations qui furent la conséquence de cette invitation aboutirent, le 26 juillet 1913, à un accord par échange de lettres entre l'ambassadeur de France et M. von Jagow, secrétaire d'Etat à l'Office des affaires étrangères de Berlin, pour « établir les règles qui, à titre provisoire, seront appliquées sur le territoire de chacun des deux Etats aux aéronefs venant de l'autre pays» (4). Cet accord est le premier arrangement international qui fut signé en matière de navigation aérienne. Distinguant entre les « aéronefs appartenant à l'administration militaire ou dont l'équipage se compose en tout ou en partie de militaires en uniforme » et les « aéronefs n'appartenant pas à l'administration militaire et dont l'équipage ne compte pas de militaire en tenue », il décide que les premiers, « venant du territoire allemand (ou du territoire français), ne peuvent circuler au-dessus du territoire français (ou allemand) ou y atterrir que sur invitation du gouvernement français (allemand) », et que les seconds, « venant du territoire allemand (français), ne sont, en dehors des zones interdites déterminées par la législation française (allemande), autorisés à cirou de la régler comme bon lui semblera dans certaines zones d'une étendue raisonnable.

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(1) V. Rapport de M. Paul Fauchille présenté à la Conférence de la navigation aérienne au nom de la première commission (droit des gens). V. Conférence internationale de navigation aérienne. Procès-verbaux des séances et Annexes, Paris (18 mai-29 juin 1910), Paris, 1910, Impr. nat. (2) V. R D. I. P., t. XVIII, pp. 352 et 363.

(3) V. Rolland, R. D. I. P., t XX, p. 395.

(4) V. Rolland, L'accord franco-allemand du 26 juillet 1913 relatif à la navigation aérienne, R. D. I. P., t. XX, p. 697.

culer au-dessus du territoire français (allemand) et à atterrir sur ce territoire qu'à condition d'être porteurs de marques distinctives apparentes en plein voi, de permis de navigation et de brevets de pilotes délivrés par les autorités allemandes (françaises), de papiers de nationalité et d'identité et de certificats de sortie délivrés par le représentant diplomatique ou consulaire de France (d'Allemagne) ». Ainsi, pour les aéronefs militaires, il ne suffisait pas d'une autorisation, il fallait une « invitation » du gouvernement territorial intéressé ; et, en ce qui concerne les autres aéronefs, des conditions particulières étaient exigées pour qu'ils fussent autorisés à circuler, dès lors qu'ils venaient directement ou indirectement d'Allemagne (ou de France), sans qu'il y eût à s'inquiéter de leur nationalité. Ce n'est qu'en cas de « nécessité », c'est-à-dire lorsqu'ils ne sont plus maîtres de leur direction à raison du vent, du brouillard, de l'obscurité, d'un accident ou d'une avarie, que les uns et les autres pouvaient, en dehors des réserves mentionnées, faire un séjour en territoire étranger. De quelle idée directrice s'inspirait en réalité l'accord du 26 juillet ? Avaitil pour base le principe de la liberté de l'atmosphère sous réserve du droit de conservation ou le principe du droit de souveraineté de l'Etat sous-jacent limité par le droit de passage innocent ? En soumettant à une « autorisation », subordonnée à certaines conditions, toute circulation et tout séjour quelconques sur le territoire d'un Etat étranger des aéronefs non militaires, il nous semble avoir implicitement reconnu que tout Etat a un droit de souveraineté sur l'atmosphère qui le domine sans doute c'est une autorisation générale et non pas une autorisation individuelle qu'il réclame; mais il n'en reste pas moins qu'il parle d'une <«< autorisation », ce qui n'aurait pas été nécessaire si les aéronefs avaient en principe un droit à la libre circulation.

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Cependant cet accord franco-allemand, qui était d'ail leurs provisoire », n'était encore que l'embryon d'une législation internationale. Il fallut attendre six années avant que d'autres dispositions intervinssent avec un caractère un peu plus général. Et encore celles-ci furent loin d'être universelles. Elles ne régirent que les rapports d'un certain nombre de puissances, dans des conditions tout-à-fait exceptionnelles et seulement pour un temps déterminé. C'est à la suite de la guerre mondiale de 19141919 qu'elles furent édictées et dans les traités de paix que les puissances victorieuses alliées et associées imposèrent aux Etats vaincus l'Allemagne, l'Autriche, la Bulgarie, la Hongrie et la Turquie. Le traité de paix de Versailles du 28 juin 1919 avec l'Allemagne, dans ses articles 313 et 314, reconnut en effet, sans obligation de réciprocité, et au plus tard jusqu'au 1er janvier 1923,

aux puissances alliées et associées, c'est-à-dire aux Etats-Unis d'Amérique, à l'Empire Britannique, à la France, à l'Italie, au Japon, à la Belgique, à la Bolivie, au Brésil, à la Chine, à Cuba, à l'Equateur, à la Grèce, au Guatemala, à Haïti, au Hedjaz, au Honduras, au Liberia, au Nicaragua, au Panama, au Pérou, à la Pologne, au Portugal, à la Roumanie, à l'Etat Serbe-Croate-Slovène, au Siam, à la Tchéco-Slovaquie et à l'Uruguay: 1° « la pleine liberté pour leurs aéronefs civils de survol et d'atterrissage sur le territoire et les eaux territoriales de l'Allemagne » (art. 313); 2° « le droit pour leurs aéronefs civils, en transit pour un pays étranger quelconque, de survoler, sans atterrir, le territoire et les eaux territoriales de l'Allemagne » (art. 314). C'était, ici encore, comme dans l'accord de 1913, considérer implicitement que le régime de l'atmosphère au-dessus des Etats est un régime de souveraineté et non pas un régime de liberté. Si cette atmosphère avait été, en principe, regardée comme libre et ouverte à tous, il n'aurait pas été en effet nécessaire de proclamer expressément le droit, pour les appareils alliés et associés, d'y passer en pleine liberté pareille stipulation s'imposait tout au contraire du moment que l'espace était réputé territoire de l'Allemagne, soumis à son exclusive souveraineté. Avec l'idée de liberté, c'est autrement qu'on aurait dû procéder afin d'assurer une situation privilégiée aux aéronefs alliés et associés, on aurait stipulé l'interdiction aux aéronefs de l'Allemagne de pénétrer sans autorisation dans l'atmosphère des puissances alliées et associées. L'existence dans le traité de l'article 314 à la suite de l'article 313 montre encore que telle est bien l'interprétation qu'il faut donner au traitė. Il semble à première lecture que l'article 313 rende inutile l'article 314, le premier posant le principe général de survol et d'atterrissage, le second posant simplement le principe de liberté de survol en voyage de transit; si cette disposition a été jugée nécessaire, c'est qu'on a voulu empêcher que l'Allemagne ne puisse se prévaloir de la souveraineté de l'air sur son territoire et ses eaux territoriales dans le cas de simple passage aérien (1). Le même traité de Versailles a, d'autre part, déclaré, dans son article 200, que, jusqu'à la complète évacuation du territoire allemand par les troupes alliées et associées, les appareils aériens militaires et navals des puissances alliées et associées auront en Allemagne liberté de passage à travers les airs, liberté de transit et d'atterrissage. Des stipulations en tous points semblables à celles du traité de Versailles figurent aussi dans les articles 146, 276 et s

(1) V. le rapport de M. Daniel Vincent, député, sur le projet de loi portant approbation du traité de paix de Versailles, partie XI. Chambre des députés, session de 1919, séance du 6 août 1919, annexe n° 6671.

du traité de Saint-Germain avec l'Autriche, 91, 204 et s. du traité de Neuilly avec la Bulgarie, 130, 260 et s. du traité de Trianon avec la Hongrie, 193, 318 et s. du traité de Sèvres avec la Turquie mais le traité de paix de Lausanne du 24 juillet 1923, substitué au traité de Sèvres, ne les a point reproduites.

531". Si, par les traités de paix qu'elle prépara, la Conférence de la Paix n'a donné naissance qu'à quelques règles exceptionnelles et insuffisantes pour la règlementation de la navigation aérienne, c'est néanmoins à elle que revient en définitive le mérite d'avoir établi en cette matière une législation internationale. En effet, au cours des délibérations de cette conférence, en 1919, le Conseil suprême décida d'instituer une commission de dix-sept membres qui serait chargée d'étudier toutes les questions aériennes qui pourraient lui être soumises et de « rédiger une convention relative à la navigation aérienne ». Et ce sont les travaux de cette commission qui aboutirent à la signature, le 13 octobre 1919, par 21 Etats Etats-Unis d'Amérique, Belgique, Bolivia, Brésil, Empire Britannique, Chine, Cuba, Equateur, France, Grèce, Guatemala, Italie, Japon, Panama, Pologne, Portugal, Roumanie, Etat Serbe-Croate-Slovène, Siam, Tchéco-Slovaquie et Uruguay — d'une convention en 43 articles portant d'une manière générale règlementation de la navigation aérienne pour le temps de paix. Toutes les puissances qui l'ont signée ne l'ont pas toutefois ratifiée. Jusqu'à présent, douze Etats signataires seulement lui ont donné leur ratification: la Belgique, la Bolivie, l'Empire Britannique, la France, la Grèce, l'Italie, le Japon, le Portugal, la Roumanie, l'Etat Serbe-Croate-Slovène, la Tchéco-Slovaquie et le Siam; cinq Etats non signataires y ont adhéré : la Bulgarie, le Pérou, le Nicaragua, la Perse et le Liberia.

La convention du 13 octobre 1919 constitue le statut actuel de l'aéronautique. Complétée par huit annexes, elle règle tout ensemble des questions ayant un caractère légal ou politique et des questions ayant un caractère technique. Après des principes généraux sur la circulation aérienne, elle traite effectivement, dans des chapitres distincts, de la nationalité des aéronefs, des certificats de navigabilité et des brevets d'aptitude, de l'admission à la navigation au-dessus d'un territoire étranger, des règles à observer au départ, en cours de route et à l'atterrissage, des transports interdits, des aéronefs d'Etat et de la commission internationale de navigation aérienne. A la différence des textes qui l'ont précédée, elle a statué expressément, et non plus seulement d'une manière implicite, sur le problème de la nature aussi bien que sur celui de l'usage de l'espace aérien il fallait, comme elle le déclarait dans son préambule, qu'en raison des progrès de la navigation

aérienne et de l'intérêt universel d'une réglementation commune, elle posât certains principes et certaines règles propres à éviter désormais toutes les controverses.

La règle que la convention consacre en ce qui touche la nature de l'espace aérien est que l'atmosphère, à quelque hauteur qu'elle s'élève au-dessus du sol, est sous la pleine souveraineté de l'Etat sous-jacent. Elle admet donc qu'à côté du domaine terrestre et du domaine d'eau il existe encore un « domaine aérien ». Son article 1er déclare en effet d'une manière explicite que « chaque puissance a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace atmosphérique au-dessus de son territoire » Et, d'après cet article, « au sens de la convention, le territoire d'un Etat doit être entendu comme comprenant le territoire national métropolitain et colonial, ensemble les eaux territoriales adjacentes audit territoire ».

Mais la souveraineté ainsi reconnue sur l'atmosphère à l'Etat sous-jacent est-elle une souveraineté absolue, de telle sorte que cet Etat puisse y faire à son gré tout ce qu'il veut, c'est-à-dire y admettre ou en écarter à sa seule volonté tel ou tel appareil aérien ? Quoique la convention parle d'une souveraineté « complète et exclusive », on ne doit pas admettre qu'elle soit absolue, car il résulte des termes mêmes du traité que les Etats sont obligés de recevoir en certains cas dans leur atmosphère certains aéronefs déterminés :

1° Une première concession est faite par la convention an principe de la liberté de la navigation aérienne. L'article 15 du traité, combiné avec son article 30, reconnaît « le droit de traverser l'atmosphère d'un autre Etat sans atterrir » à tous aéronefs privés et aéronefs d'Etat autres que les aéronefs militaires, de douane ou de police ressortissant à un Etat contractant.

2o En second lieu, aux termes de l'article 2 de la convention complété par l'article 30, « chaque Etat contractant s'engage à accorder en temps de paix aux aéronefs des autres Etats contractants -- aéronefs privés ou réputés tels la liberté de passage

inoffensif au-dessus de son territoire pourvu que les condi➜ tions établies dans la convention soient observées ». Il en résulte qu'un Etat ne saurait, par l'exercice de son droit de souveraineté, interdire à son gré la navigation innocente de ces aéronefs d'un autre pays contractant. C'est ainsi proclamer, dans les rapports des Etats contractants, la liberté de l'usage inoffensif du territoire aérien. Mais cette libre circulation dans l'atmosphère d'un Etat des aéronefs d'un autre Etat constitue-t-elle à proprement parler un droit pour ces aéronefs ? On l'a nié. M. Garner fait remarquer que ce que les Etats s'engagent à accorder, c'est

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