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manière générale, des règles sur l'acquisition des territoires par le moyen de l'occupation.

542.

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Quelles sont, rationnellement, et indépendamment de tout texte de droit positif, les règles qu'il convient d'admettre en ce qui concerne l'occupation comme mode d'acquisition du droit public international ?

Quatre conditions doivent être exigées pour que l'occupation puisse être un mode d'acquisition du domaine international : 1° un territoire non actuellement approprié et susceptible d'être l'objet d'une souveraineté ; 2° une prise de possession faite au nom d'un Etat ; 3° une prise de possession réalisée d'une manière effective; 4° une notification de la prise de possession.

543. 1° Territoire non actuellement approprié et suscep tible d'être l'objet d'une souveraineté. Cette première condition se conçoit sans peine si un territoire est déjà sous l'autorité d'un Etat, un autre Etat ne peut légitimement s'en emparer ; il ne faut pas porter atteinte au droit d'autrui. Mais que faut-il entendre exactement par un territoire non actuellement approprié ? On peut d'une manière générale considérer comme tel un territoire vacant et sans maître, une chose qui est une res nullius. Cette définition est toutefois en soi insuffisante : elle exige certaines précisions. Quelques hypothèses ne peuvent engendrer de difficultés. D'autres, au contraire, sont susceptibles de discussion.

544. a) Un territoire inhabité est sans conteste un territoire non actuellement approprié. Cette hypothèse peut se produire dans deux cas distincts. Ces cas se réfèrent généralement à des îles. Il s'agit de territoires déserts ou de territoires nouvellement formés.

1) Territoires déserts. On peut de ce cas citer plusieurs exemples. Le plus ancien est celui de l'île Pontia, dans la mer de Toscane, dont la République romaine prit possession. L'île de la Réunion était inhabitée en 1642, quand M. de Pronis l'occupa, au nom du roi de France. De même les îles Kerguelen découvertes en 1772, dont M. de Rosnovet prit possession sous Louis XV, en 1774, et l'ilot de Clipperton, à l'occupation duquel la France procéda en novembre 1858 (1). De même encore les îles Aldara, Cosmoledo, etc., formant un petit archipel au nord-ouest de Madagascar, dont les Anglais ont pris possession en 1890. Etaient

(1) V. R. D. I. P., t. XV, p. 610.

également désertes, quand la France les occupa en 1892, les iles Glorieuses et Roches vertes dans l'océan Indien, dont la position stratégique comme avant-garde de Diego-Suarez fait toute la valeur, et les îles Saint-Paul et Amsterdam, au sud-est de Madagascar, sur la route de l'Australie.

2) Territoires nouvellement formés. Au cours des siècles, des îles et des îlots sont parfois sortis du fond des mers, généralement à la suite d'une éruption volcanique. La plupart n'ont eu toutefois qu'une existence éphémère. Au XVIIIe siècle, la plus connue de ces apparitions soudaines est celle qui eut lieu aux Açores, entre les îles de San Miguel et Terceira, en décembre 1720: l'île qui se forma alors fut découverte dans la nuit du 31 décembre 1720 au 1er janvier 1721 par un bâtiment portugais qui la nomma île du Bon Jésus; mais, après avoir grandi de une demi-lieue à trois lieues de circonférence, elle disparut un an plus tard. En 1811, comme conséquence d'un tremblement de terre, un îlot naquit encore à deux kilomètres de la pointe ouest de l'île San Miguel, et le capitaine du sloop anglais Sabrina en prit possession le 4 juillet au nom de Sa Majesté Britannique : il s'abîmait à son tour sous les eaux en octobre de la même année. Autre apparition d'une île au mois de juillet 1831 entre la Sicile et la Tunisie, à environ deux lieues dans l'est-nord-est de l'île de Pantellaria, qui disparut six mois plus tard, laissant à sa place le banc Graham, aujourd'hui couvert d'au moins 6 mètres 50 d'eau le 28 septembre 1831, les officiers du brick français La Flèche avaient débarqué sur cette île et l'avaient baptisée île Julia. Tout comme le XIXe siècle, le xx° a vu naître aussi de nouvelles îles. Le 2 mars 1923, un îlot de 400 mètres de diamètre et de 35 mètres de hauteur a surgi, après une éruption volcanique, à environ 60 milles marins de la côte d'Annam (par 10° 10' 10" de latitude nord et 108° 59' 2" de longitude est de Greenwich), au sud de l'île Poulo Cecir de Mer : le gouverneur général de l'Indo-Chine en fit prendre possession officielle le 16 mars par le chalutier-sondeur Astrolabe, de la mission hydrographique des mers de Chine. Au mois d'août suivant, à deux milles de l'îlot qui venait ainsi d'apparaître, une île s'est de même constituée, ayant environ 18 mètres de long et 60 centimètres au-dessus de l'eau ; deux autres îles ont, vers la même époque, surgi au sud, à deux milles de l'île Carlisle elles furent découvertes par l'Iroquois, navire hydrographe britannique (1). Quelques mois plus tard, en novembre 1923, à la suite d'une éruptic sous-marine de naphte,

(1) V. le Temps des 29 mars et 1er août 1923. V. aussi l'Echo de Paris du 31 mars 1923.

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une île a également apparu à la surface de la mer Caspienne, près de Bouzoff (1).

545. b) Sans discussion est encore une res nullius le territoire abandonné, derelictus.- La derelictio implique l'abandon du corpus et celui de l'animus. Le premier consiste en un fait matériel assez facile à constater. Le second suscite une interprétation de volonté, difficulté dont la solution varie nécessairement dans chaque cas particulier, selon les circonstances. Il va de soi évidemment que l'abandon doit être volontaire l'abandon ne sera pas volontaire, si l'Etat a été n.omentanément mis dans l'impossibilité d'affirmer son autorité par suite d'une insurrection, ou d'une guerre étrangère, exigeant la concentration de ses forces sur certains autres points. Mais, pour qu'un territoire soit réputé abandonné, faut-il que nécessairement disparaissent à la fois le corpus et l'animus ? On l'a soutenu : Pradier-Fodéré (op. cit., t. II, no 851) prétend qu'après avoir quitté un pays, une nation peut en conserver la propriété et la domination par la seule déclaration de le vouloir, par exemple en y laissant des écriteaux de souveraineté. Nous ne saurions souscrire à cette opinion. L'adopter, ce serait, en effet, admettre qu'une occupation peut être régulière quoique étant simplement fictive or une des conditions essentielles de validité de l'occupation est l'existence d'une possession territoriale réelle et effective. « L'occupation n'étant sérieuse qu'autant que l'occupant exerce une possession effective, on doit, dit très justement M. Jèze (op. cit., p. 69), considérer comme territorium derelictum les contrées abandonnées en réalité par un Etat, bien que celui-ci déclare conserver l'animus domini ». C'est l'obligation d' «assurer » l'existence d'une autorité suffisante dans le territoire que l'acte de Berlin de 1885 impose à tout nouvel ocupant.

L'histoire fournit plusieurs exemples de territoires abandonnés acquis par occupation. Au premier siècle avant J.-C., l'île de Corse, abandonnée par ses habitants, fut prise en possession par Marius et Sylla. En 1648, les Espagnols délaissèrent l'île SaintMartin, au nord-ouest de la Guadeloupe, et, dès leur départ, des Français et des Hollandais l'occupèrent au nom de leurs gouvernements à la suite d'un partage à l'amiable, un tiers de l'ile fut attribué à la France et les deux autres tiers à la Hollande. Duranguet Le Toullec prit solennellement possession au nom du roi de France, en 1721, de l'île Maurice, abandonnée par les Hollandais en 1712. Le territoire d'Angra Pequana, que le gouvernement britannique avait fait occuper en 1876, fut quelques années plus tard délaissé par lui et, en 1884, l'Allemagne s'y établit.

(1) V. l'Echo de Paris du 8 novembre 1923.

La question de l'acquisition par occupation d'un territoire con : sidéré comme abandonné par défaut d'exercice de la souveraineté précédemment acquise a engendré plusieurs conflits. L'Angleterre s'est emparée définitivement en 1833 des îles Falkland ou Malouines, qui appartenaient à la République Argentine, comme ayant succédé aux droits de l'Espagne, ancienne métropole. La Grande-Bretagne les avait déjà antérieurement occupées, mais elle les avait abandonnées en 1774 et les Espagnols en avaient alors repris possession : comme le lieutenant Clayton, délaissant le fort Egmont, y avait laissé une inscription affirmant la souveraineté britannique, l'Angleterre a soutenu qu'il y avait là une manifestation de l'animus dominandi qui empêchait la derelictio (1). Un conflit du même genre s'est élevé entre la Grande-Bretagne et le Portugal sur la côte orientale d'Afrique, au sujet de la baie de Delagoa il a été tranché au profit du Portugal par un arbitrage du maréchal Mac-Mahon, le 24 juillet 1875. Pour prétendre à la souveraineté de certains territoires dans la baie de Delagoa, la Grande-Bretagne invoquait des actes qu'un de ses officiers avait conclus en 1823 avec les indigènes, qu'en raison de l'affaiblissement alors subi par l'autorité portugaise il avait cru pouvoir considérer comme devenus réellement indépendants; mais il a été reconnu que cet affaiblissement était purement accidentel et ne pouvait équivaloir à une derelictio. Dans la question des îles Carolines, qu en 1885 mit aux prises l'Allemagne et l'Espagne, le cabinet de Berlin a prétendu que l'Espagne n'avait jamais effectué une prise de possession réelle et effective ou avait tout au moins renoncé à posséder ces îles, qui devaient être considérées comme derelictae. L'Espagne protesta énergiquement. Le pape Léon XIII, dans sa médiation, ratifiée par les deux Etats le 17 décembre 1885, a reconnu la souveraineté de l'Espagne sur les Carolines en tenant compte de ses droits historiques, mais en l'invitant à rendre son occupation plus effective pour l'avenir et à laisser trafiquer les négociants allemands (2). Dans le con

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(1) V. Calvo, op. cit., t. I, § 287. Pradier-Fodéré, La République Argentine et le droit international, R. D. I., t. XX, p. 163. Groussac, Les iles Malouines, 1910, p. 152. Moore, op. cit., t. VI, § 944, p. 415. Westlake, op. cit., t. I, p. 185.

(2) Sur l'affaire des îles Carolines, V. Bartoli, Las Carolinas, 1885. Coello, La conferencia de Berlin y la cuestion de las Carolinas, 1885. Costa, El conflicto hispano-aleman sobre la Micronesia, 1886. De Gracia y Paredo, Consideraciones sobre el derecho de Espana sobre las islas Carolinas, 1885. Lefebvre de Béhaine, Léon XIII et le prince de Bismarck; l'arbitrage des Carolines, Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1897. Montero y Vidal, El archipelago Filipino y las islas Marianas, Carolinas y Palaos, 1886. Palma, La médiation du pape dans la question des îles

flit qui s'est produit, en 1888, entre l'Italie d'une part et la Turquie d'autre part, à propos de l'occupation de Massaouah par les Italiens, toute la querelle a porté sur le point de savoir si le sultan, par lui-même ou par le khédive d'Egypte, avait maintenu, une occupation suffisamment effective, pour mettre obstacle à la prise de possession par une puissance tierce. Le ministre italien, M. Crispi, soutenait que Massaouah était un territorium derelictum (notes italiennes des 25 juillet et 13 août 1888). En fait, une garnison égyptienne occupait Massaouah quand l'Italie en a pris possession, et, bien mieux, le drapeau khédivial a continué de flotter, pendant près d'une année, à côté du drapeau italien. Cette occupation de Massaouah a suscité de continuelles protestations de la part de la Porte Ottomane (notes des 10 février et décembre 1885, d'août 1888). Les Italiens se sont maintenus à Massaouah ; mais leurs procédés et leurs arguments à l'appui ne sauraient être approuvés (1). Des difficultés ont eu lieu en 1895 entre le Brésil et la Grande-Bretagne au sujet de la possession de l'île de la Trinité (Trinidad ou Trindade); chacune des deux puissances prétendait l'avoir acquise par occupation. Découverte par les Portugais, elle fut occupée en 1700 par l'Angleterre, mais celleci l'abandonna en 1782, sans esprit de retour, semble-t-il ; cependant elle fit en janvier 1895 procéder à son occupation. Le Brésil, qui avait succédé aux droits du Portugal, ayant protesté, les difficultés furent tranchées à la fin de 1896 par les bons offices du gouvernement portugais (2).

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On ne saurait évidemment traiter comme une res nullius le territoire abandonné par l'Etat qui l'occupait, lorsqu'une souveraineté quelconque est venue s'y constituer après abandon, cette souveraineté ne fut-elle point celle d'une puissance civilisée, par exemple lorsque les peuplades barbares du territoire, s'organisant politiquement, y ont établi un gouvernement régulier. Ce fut le cas, notamment, de l'île de Madagascar après qu'en 1674 la France eût

Carolines, Rassegna di scienze sociali e polit., n° 71. Romeno y Giron,
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Selosse, L'affaire des Carolines, 1886. Sodorini, La mediazione de Leone
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L'organisation internationale du monde contemporain et la Papauté souve-
raine, 1924, pp. 235 et s.

1886.

(1) V. Daniel, L'année politique, 1888, pp. 195, 216 et s., 302 et s. Archives diplomatiques, 1889, t. IV, p. 82. Circulaire du gouvernement français du 3 août 1888. Catellani, La politique coloniale de l'Italie, R. D. I., t. XVII, p. 218.

(2) V. R. D. I. P., t. II, p. 617 et t. IV, p. 146.

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