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MELANIE.

Moi? Je ferois la feule;

Et tout Paris de moi riroit certainement,
Si je danfois, ainfi que mon ayeule.
GERONTE.

Mais tout Paris auroit grand tort vraiment:
Du vieux temps il a beau médire,
On danfoit autrefois, & l'on faute à prefent.
MELANIE...

Vous me permettrez de vous dire

Qu'à peine favoit-on jadis former fes pas.
On marchoit, on couroit; mais on ne danfoit pas.
Ce n'eft que de nos jours qu'on a cette science,
Et qu'un prodige au milieu de la France

A porté ce talent à fon point le plus haut.
C'est le vrai fiécle de la Danfe.

GERONTE.

C'est celui de l'extravagance.

Cette perfection devient même un défaut.
Des femmes, fans garder la moindre bienséance,
Avec des hommes font affaut

D'entrechat & de bond, de gambade & de faut.

O fiécle! O temps! Omoeurs! Quelle indé

cence!

MELANIE.

C'eft où de ce grand art confifte l'excellence.

GERONTE.

Gardez-vous bien d'en imiter le fin,
Je vous en fais une expreffe défense.
MELANIE.

Mon pere, quel ordre inhumain!
GERONTE.

Aux nouveaux pas, je déclare la guerre. Le beau fexe eft formé pour danser terre à terre. MELANIE..

A fauter à vingt ans on a le coeur enclin.

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On peut élégamment & décemment fauter. D'ailleurs, Monfieur, à ne point vous flatter, On n'aime plus la Danfe unie.

La Danfe haute eft la Danfe du jour.

Elle gagne à la Ville, elle prend à la Cour.
GERONTE.

Elle

gagne, elle prend, Danfe du jour; j'enrage.
Tout devient neuf pour moi jufqu'au lan-
gage.

De tant de changemens je demeure furpris.
Je ne connois plus rien à la Langue, à l'usage,
Aux moeurs, au goût, au ton de mon Pays.
J'y redeviens écolier à mon âge,

Et je ferai bientôt étranger dans Paris.

ISABELLE.

A mon tour, je fuis étonnée.

Mon pere, vous aimez l'efprit ;

Votre ame cependant femble être consternée, Quand notre Langue s'enrichit. GERONTE.

Cette richeffe l'appauvrit.

Le jargon ufurpe fa place.

Je vois, pour comble de difgrace,

Je vois mon fang, que l'exemple féduit, Suivre du mauvais goût la dangéreuse trace. il ne fera pas dit,

Non, non, il ne

Que chacune de vous, dans le bel Art qu'elle

aime,

Se laiffant entraîner aux torrens des abus,
Donne dans les appas que la nouveauté féme,
Ni que vos dons naiffans foient ternis ou perdus.
De quelque injufte nom qu'un fot orgueil les

nomme,

J'eftime & chéris les talens ;

Et quoique je fois Gentilhomme,

J'aime à les voir briller dans mes enfans. Mais dans leur pureté je veux qu'ils les confervent, Tels qu'ils étoient du temps de nos ayeux. Les Talens mal conduits nuifent plus qu'ils ne fervent.

C'eft pourquoi j'ai tourné les yeux

Vers trois époux, dignes fur tous les autres,
Parleurs clartés, de diriger les vôtres,
Et d'entretenir fains toujours dans ma maison,
L'Efprit, la Danfe & la Mufique,

Au fort de la contagion,

Qui s'étend malgré la critique.
ISABELLE.

Mon pere, de fes droits mon efprit est jaloux,
Et de briller, fans aide, a la délicatesse.

LUCINDE.

Oh! Des frais d'un mari, pour moi,difpenfez-vous.

L'hymen gâte la voix, & tout maître me bleffe.
GERONTE.

Mes filles, les talens ont des charmes plus doux,
Quand ils font cultivés par la main d'un époux.
MELANIE.

Ces Meffieurs, la plûpart, ont tant de maladresse!
GERONTE.

Quand vous les connoîtrez vous changerez de

ton.

J'ai pris foin à vos goûts d'affortir leur perfonne.
J'ai dans ces divers choix confulté la raifon,
Et chacune aimera l'époux que je lui donne.
Ifabelle, pour vous j'ai fait choix d'un trésor,
D'un Auteur d'un mérite rare,

Qui femble fait exprès pour modérer l'effor
De votre efprit trop jeune, & que la mode égare.
Du langage moderne il eft ennemi né;

Et

par cette raifon je vous l'ai destiné.

Son goût vous guérira,quand vous ferez sa femme,
De la fureur de l'épigramme;

Profcrira le jargon maudit,

Et vous montrera l'art d'écrire fans esprit.

ISABELLE.

Pour apprendre cet art il ne faut point de maître,

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