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Je fais les amufer toutes en même-temps.
Je me retourne & me replie,

Et felon leur goût je les fers.

Isabelle l'aînée, aime la Poëfie,
Avec elle je fais des vers.

Avec Lucinde je folfie

;

Et je bas l'entrechat auprès de Mélanie.
L'EPINE.

Vous étes un Acteur parfait,'
Et ce commerce eft plaisant tout-à-fait
L'une, par fon charmant génic,
Enchante votre esprit coquet.

L'autre,

tient par fes fons votre oreille ravie;

Et la troisième enfin par sa jambe jolie,
Et les pas brillans qu'elle fait,

Charme votre oeil qui s'extafie.

Ah! c'est dommage, il faudroit entre nous, Que vous puffiez des trois être l'heureux époux. Pour bien faire, Monfieur, menons les en Turquie. LEANDRE.

Mon embarras dans des plaifirs fi doux, Eft de bien ménager mes divers rendez-vous, Comme de ces trois foeurs j'ai fait la connoiffance, Séparément, en differens endroits,

Et ne leur ai parlé feulement que deux fois, L'Epine, je les veux laiffer dans l'ignorance, Et les voir en particulier.

L'EPINE.

Votre efprit a befoin d'un art bien fingulier.
Par ma peur je conçois la vôtre.

L'une, pourra fort bien vous furprendre au mo

ment

Que vous parlerez avec l'autre.

Un père, elles en ont un

elles en ont un vraisemblablement,

Peut encor vous troubler plus incivilement.
LEANDRE.

Je me fuis embarqué, je dois braver l'orage.
Ifabelle paroît, elle rêve.

L'EPINE.

Courage.

Devant l'ennemi point d'effroi,
Et courez vite à l'abordage,

LEANDRE.

Laiffe-nous feuls, retire toi.

L'EPINE.

Au revoir, Monfieur, bon voyage.

SCENE X.

LEANDRE, ISABELLE.

LEANDRE à part.

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Lle regarde fans me voir,

Dans fa profonde rêverie.

ISABELLE déclame.

Eft-ce l'effet de la magie?

Ou de l'art des mortels eft-ce l'heureux pouvoir?

LEANDRE.

Bon, la voilà qui verfifie.

Joüiffons un moment du fpectacle enchanteur De voir un fi charmant rimeur,

Dans les accès de fa douce manie.

ISABELLE.

Il me faut une rime en je,

Pour le coup je la tiens. Non, je fuis dans l'erreut;
Et je la vois qui fuit cette rime ennemie.
Mais la plume pourra fervir mieux mon ardeur.

Commençons toujours par écrire

Les vers que m'a dictés la premiere chaleur.

(Elle écrit dans un fauteuil.)

LEANDRE à part.

Qu'elle a de grace en fon délire!

Le fexe embellit tout jusqu'aux transports d'Au

teur.

ISABELLE.

J'ai beau me tourmenter, je ne puis rien produire. Cela me met au desespoir.

(elle lit les vers qu'elle a faits. Y

Eft-ce l'effet de la magie?

Ou de l'art des mortels eft-ce l'heureux pouvoir ?

Des clartés de la nuit la vue eft éblouie....

Des clartés de la nuit la vûe eft éblouie.

( en s'interrompant.)

Ma féchereffe excite mon courroux.

Marchons

pour

réchauffer ma veine refroidies
(elle s'éloigne.)

LEANDRE.

De ce moment faififfons-nous

Pour marier mes vers avec fa Poĕfie:

(il écrit fur le même papier qu'Ifabelle a laiffe fier

la table.)

Je l'entens qui revient, mettons-nous à l'écart.

(il fe cache en un cain.)

ISABELLE revenant fur fes pas.

Undémon envieux vient de tarir ma veine Que je demeure affife, ou que je me proméne, De mon cerveau maudit rien ne fort, rien ne part Sur ce papier, il faut que je me vange. Que vois-je! Jufte Ciel! Par quel prodige étran

ge,

'A la fuite des miens, ces vers font-ils écrits? Mon cœur en eft émû, mes yeux en font furpris (elle lit.)

Et des globes des Cieux, je vois l'onde embellie.
Un fpectacle plus beau jamais ne fe fit voir.
Dieux! qu'il eft doux pour moi!

J'y fuis près de Silvie.

(après avoir lû.)

Ce que je lis ne peut fe concevoir! Ma furprise redouble, & je fuis bien fervie.

On ne peut mieux me feconder,

Eft-ce un efprit, eft-ce un génie,

Qui, fenfible à ma peine, & qui prompt à m'aider,
M'a fait cette galanterie?

Léandre que j'attens eft le feul aujourd'hui,
Que d'un pareil trait je foupçonne.

Mais je ne vois, ni je n'entens perfonne.

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