Images de page
PDF
ePub

LEANDRE.

C'est à votre humble Serviteur,

GERONTE.

Quoi ! Léandre, c'est vous! Par quel hazard flat

teur

Reçois-je ce matin de vous une vifite?

LEANDRE.

C'est un devoir dont je m'acquite.

GERONTE.

Depuis long-temps je vous en ai prié.

Et de vous voir chez moi, je fuis extafié.

Je refpire!

ISABELLE à part.

GERONTE.

Je fuis enchanté que ma fille

En mon abfence en ait fait les honneurs. J'estime votre esprit, je fais cas de vos moeurs ; Et dans tous vos difcours le bon goût toujours

brille.

Un ami de Lulli, de Pécour, de Balon,

Ne fauroit trop fouvent venir dans ma maison.

Et c'est un bien pour ma famille.

A vous voir, à vous fréquenter,
Elle ne peut que profiter.

(à Ifabelle.)

Vos foeurs & vous, prenez-le pour modéle;
Il peut vous donner des leçons ;

Et vous inftruira mieux que beaucoup de Barbons.
ISABELLE.

J'en fuis perfuadée, & comptez qu'Isabelle
A remplir vos defirs fera très-ponctuelle.

GERONTE.

Elle fera fort bien.

Vous ferez obéi.

ISABELLE.

LEANDRE.

Je ne puis témoigner trop de reconnoiffance, Monfieur m'oblige, vrai, beaucoup plus qu'il ne

pense.

GERONTE.

Non, je me fais plaifir à moi-même en ceci.

ISABELLE.

Vous m'en faites beaucoup auffi.

GERONTE à Léandre.

Mais, écoutez, mon ame eft doublement charmée, De vous trouver préfentement ici.

La difpute au Caffé s'eft très-fort allumée.

C'est au fujet d'un Choeur d'un Ballet tout récent.

Par un petit Abbé, qui crioit plus qu'un grand,

Il étoit porté jufqu'au nues.

Il mettoit au-deffous le beau Choeur de Roland. Au blafphême de l'infolent,

Mes entrailles fe font émues;

Je me leve, & je dis: Monfieur l'Abbé, tout beau, Par moi qui m'y connois, apprenez, je vous prie,

Que ce Choeur-là que vous trouvez fi beau, N'eft de Roland pillé qu'une foible copie. Notre petit Colet rédoublant son fracas, Veut alors parier, d'une audace effrénée, Tout le revenu d'une année

D'un Benefice qu'il n'a pas. Ennuyé du fauffet de fa voix détestable, Je lui répons: Par la corbleu !

Il faut fe taire, ou mettre argent fur jeu Je jette en même-temps dix louis fur la table. A cet afpect, l'Abbé rappetisséTotalement s'eft éclipfé.

Un petit Maître subalterne,

Dont le ton & l'accent décélent le coufis S'écrie alors, va pour le chant moderne ̧ Contre Monffu, les dix plus beaux louis, Qui foient jamais fortis dé mon païs

Les boilà. Jé fuis fûr dé gagner quand jé gage.
Ce qui m'a de fa part étrangement furpris,

De l'argent à ces mots, il fait un étalage.
Je foutiens le pari, le caffé fe partage.
Pour confondre la Mode, & le parti qu'elle a ;
Pour prouver que j'ai l'avantage,

Je viens prendre chez moi l'un & l'autre Opéra.
LEANDRE.

C'est un pari, que Monfieur gagnera.
GERONTE.

Je veux que vous foyez le témoin de ma gloire,
Vous m'aiderez vous-même à gagner la victoire.
LEANDRE.

Je ferai de moitié. Comptez bien fur cela.

GERONT E.

Vous, ma Fille, rentrez. Et vous, mon cher Léan

dre,

Vous favez mon bon droit,venez pour le défendre; Avec un tel fecond, j'ofe les braver tous.

LEANDRE à part.

Pour mieux me l'affurer, entrons dans fon cour

roux.

(à Géronte.)

Je fuis prêt à vous fuivre, attaquons les profanes;

Faifons-les reculer aux yeux de tout Paris. Allons,des Chants nouveaux, faire un vafte debris. Et fur leurs Sectateurs, courons venger les manes De l'Auteur de Cadmus, de Thefée & d'Atis.

Ils fortent tous deux en chantant ce qui fuit

Pourfuivons jufqu'au trépas

L'ennemi qui nous offense.
Qu'il n'échappe pas

A notre vengeance.

Fin du premier Acte.

« PrécédentContinuer »