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LEANDRE.

L'Epine, en es-tu bien certain?
L'EPINE.

Oui, je fuis fûr, Monfieur, qu'elle eft fortie,
Car elle-même me l'a dit ;

Et qui plus eft, elle vous prie
De l'aller trouver.

LEANDRE.

Je fuis content.

Il fuffit,

L'EPINE.

Mais, Ifabelle?.. :

LEANDRE.

Elle eft à l'Opera. J'ai pour garant fidelle,

J'ai ce billet qu'elle m'écrit.

Pour comble de fortune,

Geronte y doit aller auffi,

Comme je crains fa préfence importune,
J'attens qu'il ne foit plus ici,

Pour voir en liberté l'aimable Mélanie.

L'EPINE.

Par elle vous voulez couronner la partie:
Mais Lucinde, Monfieur, vous parle par ma voix.
De l'aller joindre elle vous preffe.
LEANDRE.

Sa foeur en fait autant par une lettre expreffe;

Mais je ne puis pas, à la fois;
Les contenter toutes les trois.
J'ai, d'une exactitude extrême,
Satisfait Ifabelle, à qui j'avois promis.
A Lucinde au moment précis,

L'Epine, j'ai tenu ma parole, de même.
J'ai trop d'honneur pour tromper la troifiéme.
Rien n'égale en ce point ma ponctualité;
Elle tient même de l'auftere.

Un principe que j'ai de tout tems adopté,
Eft qu'en Amour comme en affaire,
Il faut de l'ordre, & de la probité.
L'EPINE.

Oh! felon moi, la vôtre eft des plus admirables!
En même tems à trois filles aimables
Vous gardez la fidelité.

Un véritable amant differemment la prouve.

LEANDRE.

Mais, tu me mets à tort au nombre des amans:
Songe que je ne fuis qu'amateur des Talens
Que j'aime à cultiver par tout où je les trouve.
L'EPINE.

Ce commerce pour vous eft des plus amufans:
Mais fatisfera-t-il ces trois objets charmans?
Et croyez vous, Monfieur, que leur pere l'ap
prouve ?

LEANDRE.

S'il l'approuve, l'Epine? Oh! vraiment je le croi. Il fait plus, il m'en preffe, il me le recommande, Et des mêmes Talens il eft plus fou que moi. Il veut qu'en fa maison ils donnent feuls la loi, Tant dans fon coeur cette fureur eft grande. L'EPINE.

Mais le pouvoir de ces Talens maudits, Fera tourner la tête aux trois quarts de Paris. A chaque inftant, dans toutes les familles, Dans tous les rangs, & dans tous les états, Quels ravages ne font-ils past

Que de femmes, Monfieur, & que de pauvres filles
Selaiffent prendre à leurs traîtres appas !
Que d'Epoux pervertis! La force enchantereffe,
D'un gofier brillant & flateur

Fait préferer le fard au teint de la jeunesse,
Et l'artifice à la candeur ;

Négliger la beauté, dédaigner la fagesse:
Fait triompher le vice, & même la laideur.

LEANDRE.

Onfait des plus beaux donslesplus mauvais usages; Et des Talens tu cites les abus.

Mais ces mêmes abus prouvent leurs avantages, Puifqu'ils ont fur nos fens des charmes abfolus, Même dans des fujets les moins dignes d'eftime.

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Juge fur nos efprits justement prévenus, Jufqu'où va leur pouvoir, & leur droit légitime Quand ils fe trouvent répandus

Sur des objets qu'un vrai mérite anime? Négliger leur fecours, ou bien le dédaigner, Eft le défaut des plus honnêtes femmes,

Quand ce n'est que par eux qu'elles peuvent régner.

Pour fixer leurs maris, pour captiver leurs ames, C'est le feul art, s'il en est un.

Le plus bel œil, fans eux, eft bientôr importun: D'une conduite réguliere

Sans eux, l'Ennui devient le fruit le plus commun.
Dans leur étude néceffaire

Est renfermé le don d'amufer & de plaire :
On leur doit l'agrément de la focieté;

Et pour se rendre aimable, il faut fuivre leurs tra

ces.

Les moeurs font la vertu, les traits font la beauté, Et les Talens forment les graces.

L'EPINE.

Souvent auffi, Monfieur, ils forment en détail
Le grand art & le jeu de la minauderie;
L'exercice de l'Eventail,

Le regard en deffous, modeste agacerie,
La fureur de pincer fa levre de corail,

De fes dents pour montrer l'émail,
Le rire plein d'affetterie,

Les airs panchés & tel autre attirail,
'Avant-coureurs certains de la coquetterie.
LEANDRE.

La beauté que j'attens ici

N'eft pas telle; mais la voici.

SCENE VII.

LEANDRE, MELANIE.

MELANIE.

A H! nous pouvons enfin nous parler fans

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obstacle,

Mon pere & mes deux fœurs font allés au Spectacle.

Moi, je vous avoürai, que je n'y vais jamais,

Que pour y voir danfer dans les balets.

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Les pas expriment plus cent fois que les difcours. Quand on emprunte leurs fecours,

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