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Son bonheur est un bien qu'en vos mains je

dépofe.

LUCILE.

C'est mon oncle qui doit....

LE CHEVALIER.

Sur vous il s'en repofe. Il vous en fait l'arbitre avec jufte raison ; Et chargé d'établir le chef de ma maison, Je m'adreffe à vous feule, & vous le recommande. Daignez, belle Lucile, agréer ma demande. Entre tant d'afpirans, fans vouloir les flatter, C'eft celui qui paroît le mieux vous mériter. La figure, l'efprit, le rang, le bien & l'âge, Tout parle en fa faveur, à leur défavantage. De toute la Province, il a pour lui les voeux, Et la voix du Public vous unit tous les deux. LUCILE.

J'ai beaucoup de refpect pourtout ce qu'il décide; Mais mon coeur fur ce point craint de l'avoir pour guide.

L'affaire eft férieufe, & vous trouverez bon
Que j'en prenne un plus fûr, ce fera la Raison,
Elle veut avec vous que je fois ingénuë.
Vous étalez l'efprit, la figure à ma vûe,
Et vous ne dites rien du coeur, des fentimens,
Du caractere enfin qui font plus importans.
Ils font le premier foin dont s'occupe mon ame;
C'eft de-là que dépend le bonheur d'une femme:
Voilà les qualités qu'il faut peindre à mes yeux,
Et qui peuvent me rendre un amant précieux,
Non des dons féducteurs qui n'ont que l'appa-

rence,

Et fouvent font un piége,où fe prend l'innocence.

LE CHEVALIER.

Avec mille vertus vous les raffemblez tous
Et je fens redoubler mon eftime pour vous
J'admire & fuis furpris de voir tant de fageffe,
Et ce fonds de raifon avec tant de jeuneffe.
Je répons du Marquis & de fes fentimens ;
De ceux de fes rivaux, ils font tous différens:
Votre mérite feul attire son hommage.

LUCILE.

S'il penfoit comme vous, je croirois ce langage Mais j'ai lieu d'en douter, & tout bien regardé, Son caractére....

LE CHEVALIER.

Alors n'étoit point décidé.

Pour former fes pareils, Paris eft le vrai maître,
Et c'eft préfentement qu'on voit ce qu'il doit être.
Le monde a mis un frein à fes vivacités,
Et perfectionné fes bonnes qualités.

Chacun....

LUCILE.

Je fai, Monfieur, le bien qu'on en publie. Mais par mes propres yeux j'en dois être éclaircie Avant que d'en pouvoir porter mon jugement; Et la chose n'eft pas l'ouvrage d'un moment. Il faut que je lui parle, il faut qu'il m'entretienne, Pour voir fi fon humeur convient avec la mienne. Comme il pourra, Monfieur, ne pas me plaire

en tout,

Je puis fort bien auffi n'être pas de fon goût.
LE CHEVALIER.

Non, vous le charmerez. Heureux s'il peut vous plaire!

LUCILE.

Oh! Vous en dites trop pour un homme fincére.
LE CHEVALIER.

Je penfe encore plus. Avant que de partir;
L'amour déja vers vous entraînoit fon désir,
Et vous avez connu fon coeur dès fon enfance.
LUCILE.

Monfieur, en ce tems-là, mauvaise connoiffance!
Il ne ménageoit rien, malin, présomptueux.
LE CHEVALIER.

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Le coeur ne valoit guères mieux.
Il paroiffoit fur-tout enclin à l'inconftance;
Son oubli l'a prouvé depuis quatre ans d'absence;
Et Paris n'eft pas fait pour guérir ce défaut,
Son exemple n'eft bon qu'à l'augmenter plutôt,
LE CHEVALIER.

Un regard de vos yeux fixera fa jeunesse,
Et j'ofe, fur leur foi, garantir fa tendresse.
LUCILE.

Songez-vous bien à quoi vous vous engagez-là?
LE CHEVALIER.

Ma bouche, s'il le faut, pour lui le jurera.
Je fuis fûr de fon coeur, répondez-moi du vôtre.
Ma crainte eft que vos voeux n'en préférent un

autre.

Je voudrois pouvoir lire un moment dans ce

cœur.

LUCILE.

Il ne vous fera pas difficile, Monfieur.

Pour perfonne jamais mon ame ne fe cache, Encore moins pour vous dont l'estime m'attache.

Comme elle ne craint pas de fe montrer au jour,
De fon état préfent, je vais fans nul détour
Vous faire en ce moment le rapport véritable.
Mon embarras eft tel qu'il n'eft pas concevable.
La bonté de mon oncle eft un fardeau pour moi;
J'ai prefque du chagrin, qu'il s'en fie à ma foi
Et puifqu'il faut, Monfieur, ici ne vous rien taire.
Aucun des prétendans n'a le don de me plaire.
LE CHEVALIER.

Je ne puis exprimer à quel point cet aveu
Eft doux & confolant pour moi, pour mon neven.
LUCILE.

Peut-être c'eft ma faute, & l'orgueil qui me flatte,
Peut-être à ce fujet me rend trop délicate.
Pour me déterminer, pour arrêter mon choix,
J'exige, je le fens, trop de dons à la fois.
Sur l'âge & l'agrément je puis être indulgente.
D'un modefte dehors mon ame fe contente.
Mais pour les fentimens, les qualités du coeur,
Jufqu'au dernier excès je porte la rigueur.
Je veux des moeurs fur-tout, je veux de la con-
ftance;

Je veux qu'à la droiture, on joigne la prudence;
Je veux ce que je crains de ne trouver jamais,
Des feux à toute épreuve auffi tendres que vrais ;
Je veux, pour m'engager, être fûre qu'on m'aime;
Défintéreffement, & rien que pour moi-même.
LE CHEVALIER.

Oui, par votre fageffe & par tant de beautés,
Vous aurez ce bonheur, & vous le mérités.
LUCILE.

De ce difcours flatteur, je ne fuis point la duppe
Comment m'en affurer dans le rang que j'occupe,

Et comment faire un choix dans cet effein nom

breux

Qui demande ma main, & qui m'offre fes vœux?
Comment favoir enfin le motif qui l'infpire,
Si l'interêt le guide, où fi l'amour l'attire?
Mais non, mon amour propre a tort d'être incer-
tain.

Tout céde à l'intérêt. Tel eft le coeur humain.
Mon oncle eft l'objet feul de leur brigue impor.

tune,

Ils font moins mes amans que ceux de fa fortune. Tous leurs foins font pour elle, où fi nous partageons,

L'amour fubordonné n'obtient que les feconds.
Mon pere, par malheur, me perfécute encore
Pour qui? Pour un Baron que le feul bien décore;
Et
qui dans la Bourgogne enterré de tout tems,
Au ton provincial, joint des airs importans.
Honteux du goût fecret qu'il a pour la richeffe
Il cherche à le couvrir d'un mafque de nobleffe,
Et toujours combattu dans la peine qu'il prend,
Ramaffe d'une main ce que l'autre répand.
Cet embarras lui donne une mine équivoque
Qui divertit le monde, autant qu'elle me choque.
LE CHEVALIER.

Sa foeur eft votre amie, & fes pas....

LUCILE.

Sont perduse Elle n'eft près de moi que connoiffance au plus, Ce titre dans le monde est un nom qu'on pro

digue.

Pour moi, l'abus m'en bleffe, & l'excès m'en fa

tigue.

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