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SCENE III.

LE CHEVALIER, LE MARQUIS.

LE CHEVALIER.

Vous allez voir, Marquis, une fille adora

ble,

Et je ne connois tien qui lui foit comparable;
Pour elle heureusement vous femblez être né.
Le defir de vous voir fon époux fortuné,
Eft l'objet de mes foins & de mon esperance,
J'ai préparé pour vous ces noeuds en votre ab-
fence;

Et dans cet heureux jour où vous voilà majeur,
C'est peu que de vos biens vous foïez poffef-

feur,

Pour vous aider à faire un fi grand mariage,
Je veux de tous les miens groffir votre heritage,
Et je trouve Lucile un bien fi précieux,
Que pour vous l'affurer rien ne coûte à mes yeux.
LE MARQUIS.

Je n'ai point de langage affez fort pour vous dire Combien je fuis touché des foins que vous infpire

Le defir généreux d'agrandir ma maison,

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Et d'augmenter en moi l'éclat de notre nom; De mon jufte tranfport à peine je fuis maître. LE CHEVALIER.

La fenfibilité que vous faites paroître,

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Acheve d'affermir mon coeur dans son espoir.
LE MARQUIS.

2

Lorfque je vous dois tant, en puis-je trop avoir?
Des Oncles de nos jours, vous êtes le modele,
A ma reconnoiffance un vrai regret fe mêle.
De ne pouvoir répondre à votre empreffement.
Daignez ne point preffer mon établissement.
LE CHEVALIER.

Vous m'étonnez!

LE MARQUIS.

C'eft mal reconnoître vos peines: Mais pardon, je ne puis prendre fi-tôt des chaînes; Et quoique d'un tel noeud, je fente tout le prix, Ma vûe & mes deffeins fe tournent vers Paris. J'ai même pour la Cour des projets de Fortune.... LE CHEVALIER.

Jamais partout ailleurs vous n'en trouverez une,
Qui puiffe balancer celle qui s'offre ici ;
Tout dans un même objet fe trouve réuni,
La beauté, la vertu, les biens & la naiffance.
Vous changerez de ton, Marquis, en fa prefence.
Voiez-la feulement.

LE MARQUIS.

Oui, j'aurai cet honneur ; Elle avoit autrefois prefque affervi mon coeur: Mais, Monfieur, à prefent quels que foient tous fes

charmes,

Je les admirerai fans leur rendre les armes.
LE CHEVALIER.

Affectez, croïez-moi, moins d'intrepidité,
Un regard punira votre fécurité ;
Et fes yeux....

LE MARQUIS.

Leur éclat peut être redoutable; Mais je crois, à leurs traits, mon cœur impéné

trable:

J'en ai vû de plus fiers.

LE CHEVALIER.

Mais non pas de fi beaux.

Ils ont, depuis quatre ans, acquis des feux nou

veaux.

LE MARQUIS.

Moi, j'ai de mon côté, pour me mettre en dé-
fenfe,
Acquis beaucoup plus d'art & plus d'experience.
LE CHEVALIER.

Pourquoi donc vous armer contre un penchant permis,

Et d'un fi digne objet, avoir peur d'être épris? Tels font les jeunes gens; ils font, dans leurs yvreffes,

Hardis à s'enflâmer pour d'indignes Maîtreffes, Et craignent de brûler d'un amour vertueux Pour de fages beautés qui méritent leurs voeux. LE MARQUIS.

Voilà de la morale, & très-édifiante :

Mais elle porte à faux ; je n'ai pas cette pente. LE CHEVALIER.

Prouvez-le donc fur l'heure en montrant plus d'ardeur

Pour rechercher Lucile & mériter fon coeur:
La brigue pour l'avoir, ici n'eft par petite,
Et vous avez besoin de tout votre mérite.
LE MARQUIS...

Je n'ofe me flatter de plaire à fes appas;

Mais j'efpere du moins qu'ils ne me vaincront pas. LE CHEVALIER.

Pour combattre mon Choix autant que vous le faites,

Il faut que vous aïez quelques raifons fecrettes. LE MARQUIS.

Il eft vrai que mon goût.... Vous allez me blâmer. LE CHEVALIER.

Quel eft donc ce motif? Daignez m'en informer. LE MARQUIS.

Un qui peut tout fur moi, que vous trouverez

mince:

Je n'aime pas, Monfieur, les beautés de Province.
Mes yeux accoûtumés aux bons airs, au brillant
De celle de Paris, ne peuvent à prefent,
Des autres, fans pitié, regarder le visage;
Leur façon de fe mettre, autant que leur lan-
gage,

Eft ridicule au point qu'on n'y tient pas vraiment:
On ne peut s'empêcher de rire en les voïant.
Que la beauté fans grace eft gauche & revoltante!
Ah! J'aime cent fois mieux une laidron piquante.
LE CHEVALIER.

Tant d'attraits dant Lucile éclatent, tour à tour,
Qu'elle orneroit la Ville & pareroit la Cour;
Rien ne peut l'enlaidir, tout fied à fa perfonne.
Tout devient agrément par l'air qu'elle lui donne,
On ne fçauroit la voir fans en être enchanté,
Son air, fon caractere eft l'ingénuité;
Mais l'ingenuité fine, fpirituelle ;

Car elle a de l'efprit prefque autant qu'elle est belle.

Ses graces fans étude, & qui n'ont rien d'acquis,

Charment dans tous les tems, font de tous les Païs;
Et fon ame parfaite, ainfi que fa figure,
Pour devoir rien à l'art, tient trop de la nature.
LE MARQUIS.

Vous excellez, mon Oncle, à faire des portraits.
LE CHEVALIER.

Vous raillez?

LE MARQUIS.

Moi, Monfieur, je ne raille jamais.

J'admire bien plûtôt, votre main délicate....
LE CHEVALIER.

Deffine dans le vrai, jamais elle ne flatte;
Et je fais encore mieux par mes foins affidus,
Démafquer les défauts que peindre les vertus.
LE MARQUIS.

Pardon. Je doute encor que Lucile foit telle,
LE CHEVALIER.

Pour en être certain, rendez-vous auprès d'elle,
Adieu. Je reviendrai, fçavoir de vous après,
Quel effet fur votre ame auront fait fes attraits;
(à part en s'en allant.)

Il n'eft que décoré, du moins je le foupçonne !

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LE MARQUIS Seul.

IL me tarde de voir la petite perfonne:

C'eft un choc qu'aifément je pourrai foûtenir, Et je vais d'un front fûr... Mais je la vois venir.

(il fort.)

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