Images de page
PDF
ePub

Pour le voir digne en tout de votre aimable niece
Cette union fortable eft l'objet de mes voeux
Et je viens près de vous en preffer les doux nœuds.
LISIDOR.

Je suis vraiment flatté d'une telle alliance;
Le Marquis réunit le bien & la naiffance:
On ne peut pas avoir plus d'efprit, d'agrément,
Ni prévenir les yeux plus favorablement.

Au fein de la Province, au fortir de ses Classes,
Moi-même j'admirois fa figure & fes
graces;
Il répondoit toujours par quelques traits faillans.
Mais vous favez auffi, qu'à des dons fi brillans,
Il avoit le malheur de joindre plus d'un vice;
Il étoit indifcret, enclin à la malice,
Par la préfomption en tout tems entraîné,
Et montrant, à railler, un penchant éfrené,
Qui fur fes bras fans ceffe attiroit quelque affaire,
Et le faifoit hair, quoiqu'il fût né pour plaire.
LE CHEVALIER.

Ces défauts font communs à tous les jeunes gens.
Paris l'en a purgé dans le cours de quatre ans.
Il est heureufement changé.

LISIDOR.

Mais il doit l'être,

Et ne plus fe moquer des gens fans les connoître :
Il doit fe fouvenir de certaine leçon

Qu'il reçut de la main d'un Officier barbon,
Qui d'une raillerie en public échapée,

Paya le premier trait, de deux grands coups d'épée.

LE CHEVALIER.

C'eft une faute heureufe, & qui l'a corrigé

LISIDOR.

Fardon, je tiens encore au premier préjugé. Pour croire, Chevalier, ce changement extrême, J'en veux auparavant être témoin moi-même. Attendons, s'il vous plaît, qu'il fe foit préfenté.. Mon frere, pour un autre, eft d'ailleurs très porté.

LE CHEVALIER.

Je fai qu'à vos defirs, fa volonté défere ;
Sa fille eft par vous feul une riche héritière:
Vos biens vous ont fur elle acquis un droit certain
Vous êtes en un mot le maître de fa main;

Et s'il faut vous parler ici, d'une ame franche,
Le Baron de Fierval, pour qui ce frere panche,
Quoique riche & forti d'une bonne maison
Ne vaut pas mon neveu, qui, fans comparaison,
Par l'âge & par l'humeur convient mieux à Lu
cile.

On fait que l'interêt eft fon premier mobile.
Il a beau fe parer d'un faftueux dehors,
Son caractere perce & trahit fes efforts.
LISIDOR.

Ne croyez pas auffi, que ce dehors m'impose,
Et cache à mes regards le but qu'il fe propose:
Le fonds de fon humeur que mon oeil aperçoit,
Me déplaît plus qu'à vous; mais par un autre en-
droit

Ce qui me choque en lui n'eft pas fon avarice, C'eft, en aimant l'argent, de voir qu'il en rou giffe.

Moi, qui parle, je l'aime autant & plus que lui C'est mon meilleur ami, c'est mon plus ferme

appui

[ocr errors]

Je le chéris par goût & par reconnoiffance; J'en fais gloire tout haut, il foutient ma naissance. Il étend, embellit mes Terres, mes Châteaux M'attire des plaifirs, des hommages nouveaux, Et met prefque à mes pieds cette foule empreffée, De tant de concurrens, qu'une ame intéreffée Fait rechercher ma niece, & paroître en ces lieux plus charmés de mes biens, qu'épris de fes beaux

yeux.

Pour jouir plus long-tems de leur inquiétude,
Je me fais une joie, & fouvent une étude
De tenir en fufpens leurs voeux irréfolus ;
Et le Baron fur-tout me réjouit le plus.
Şon amour pour mes biens,& fes peurs qu'il pallie,
A mes regards malins, donnent la comédie.
Il aime tous mes Fiefs à l'adoration.

Ils font au fonds du coeur fa belle paffion,
Et l'oncle à fes regards, eft, malgré fa vieilleffe,
Paré d'un million, auffi beau que la niece.
LE CHEVALIER.

Vous faites fagement de vous en divertir:
Mais vous aimez Lucile, & voulez l'établir.
LISIDOR.

Oui: mais comme ce choix la touche la premiere,
Mon coeur l'en veut laisser maîtrefle toute entiere;
Son difcernement fûr n'est la duppe de rien,
Et je fuis affuré qu'elle choifira bien.

Sa raifon eft en tout au deffus de fon âge.
A l'aveu de fon coeur j'attache mon fuffrage.
LE CHEVALIER.

Vous ne hazardez rien. Sur le choix d'un époux,
Je la crois difficile encore plus que vous.
Elle ne fe rendra qu'au mérite fuprême

Trop heureux qui pourra l'obtenir d'elle-même!
Je vais donc auprès d'elle agir pour mon neveu.
LISIDOR.

Ecoutez, Chevalier. Vous ferai je un aveu?
Si j'étois à fa place, en honneur, ma tendreffe,
Auroit peur d'employer auprès de ma maîtreffe,
D'un parent tel que vous, le dangereux appui.
Vous êtes un jeune oncle; en travaillant pour lui,
Vous pourriez pour vous-même intéresser fans
peine ;

Et pour gagner un coeur que le vrai feul entraîne
Le ton d'un homme fage eft plus períuafif,
Que, d'un Marquis brillant, l'étalage trop vif.
LE CHEVALIER.

Quand un homme a paffé fa trente-huitiéme année,

Il ne doit plus parler d'amour ni d'himenée.
Le rôle d'amant veut....

LISIDOR.

Je fuis votre valet. J'ai foixante ans paffés, & près d'un jeune objet Je fuis toujours galant, j'ai ces façons polies Qu'avoit la vieille cour, & que l'on a bannies: Adorateur zelé de ce fexe charmant,

Je le lui marquerai jufqu'au dernier moment.
LE CHEVALIER.

Les Dames de tout tems ayant eu votre hommage,
Pourquoi donc avoir fui toujours le mariage?
LISIDOR.

Toutes m'ont infpiré tant d'eftime à la fois,
Que je n'ai jamais pû me fixer fur le choix.
Adieu, pour voir couler plus gaîment notre vie,
Difons leur des douceurs, fans qu'aucune nous lie:

Pour les aimer toujours, pour en être chéris,
Soyons leurs partifans, & jamais leurs maris.

(Il fort. )

Q

SCENE I I.

LE CHEVALIER feul,

Uel heureux naturel! Sa trempe eft peu

commune.

Rien ne le trouble, au fein d'une grande fortune.
Ses voeux font modérés. Exempt d'ambition,
Il n'eft tirannifé d'aucune paffion.

Il n'a point à lutter contre un coeur indocile,
Et le plaifir lui feul.... Mais j'apperçois Lucile.
Qu'elle eft belle fans art! Quel fera ton bonheur;
Mon neveu, fi tu peux en être poffeffeur !

SCENE III.

LE CHEVALIER, LUCILE.

LUCILE.

Ous voulez bien, Monfieur, que je vous félicite.

[ocr errors]

LE CHEVALIER.

Et vous, permettez-moi que je vous follicite
En faveur du Marquis dont j'attens le retour.
Vous êtes, de fon fort, la maîtreffe en ce jour.

« PrécédentContinuer »