Images de page
PDF
ePub

LE CHEVALIER.

Quoi! Vous vous êtes vûs ?

CLEON.

LE CHEVALIER.

Oui, même de fort près.

En quels lieux ?

CLEON.

A Paris, fortant des Tuilleries,

Et ce fer que voilà réprima fes faillies;
LE CHEVALIER.

Me voilà trop inftruit.

LE MARQUIS.

Je n'ai pû l'oublier.

LUCILE.

La rencontre eft fatale, & le coup fingulier.

ISABELLE.

Cette reconnoiffance eft neuve & fort touchante! Monfieur trouve fon Maître, & je fors très-con

tente.

Sa façon d'enfeigner eft la bonne en effet.
Profitez-en, Marquis, & vous ferez parfait.

(Elle fort.)

[ocr errors][ocr errors]

SCENE I X.

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LUCILE, FINETTE,

CLEON.

LA furprife fait place à la reconnoissance;

Vous avez justement puni mon imprudence, De la leçon, Monfieur, je vous fuis obligé ; J'étois mauvais plaifant, vous m'avez corrigé, J'ai du moins près de vous fait preuve de courage; Pour comble de bonheur vos coups m'ont rendu fage;

Et fi de votre estime, ils deviennent le fceau, Je les regarderai comme un bienfait nouveau ; Je n'épargnerai rien pour la rendre durable.

CLEON.

On eft fûr de l'avoir, dès qu'on eft raisonnable; Votre esprit m'a choqué; mais vous avez du

cœur,

Ce titre peut beaucoup près d'un homme d'hon

neur.

Mais pour qu'il ait fon prix, Monfieur, qu'il vous

fouvienne

[ocr errors]

Qu'il faut qu'à l'avenir votre ardeur fe contienne;
Et je vous le déclare ici devant témoins,
Je ne raille jamais, & je ris encore moins,
Souvenez-vous- en bien,c'eft ma grande maxime;
Et c'est le feul chemin qui méne à mon eftime.

LE MARQUIS.

Je le prendrai, Monfieur.

LE CHEVALIER, à Cléon.
Et fon Oncle aujourd'hui,

Ofe, de fon refpect, vous répondre pour lui.

(Il fort avec le Marquis)

SCENE XII.

CLEON, LUCILE.

CLEON.

A fille, répond-moi ? Parle. Aimes - tu ton pere?

MA

LUCILE.

Pouvez-vous en douter! Quelle preuve fincere
Faut-il vous en donner qui dépende de moi?
CLEON.

La feule qui me flatte & que j'attens de toi.
Mon frere, de ton fort, te rend feule maîtreffe ;
Et mon amour exige ici de ta tendresse,
Qu'à mon autorité tu remettes tes droits,
Et me laiffes, moi feul, difpofer de ton choix.
LUCILE.

Mais à vos loix jamais je ne me fuis fouftraite, Pourquoi demandez-vous que mon coeur s'y foûmette?

CLEON.

Je veux de ton refpect un garant plus certain; C'eft de prendre fur l'heure un époux de ma main.

Sur l'heure!

LUCILE.

CLEON.

Oui, fans tarder. Tu te tais ? Ce filence M'annonce, je le vois, ta défobéïffance. LUCILE.

Mon filence par vous eft mal interpreté ;
Je fuis toûjours foumife à votre volonté.
C'eft, d'un noeud trop prochain, l'heure préci
pitée

Qui glace juftement mon ame épouvantée.
CLEON.

L'époux à qui je veux que tu donnes ta foi,
Ne doit point t'infpirer un fi mortel éfroi;
Fierval, à ton deftin, eft digne qu'on l'uniffe,
Dans ma derniere affaire, il m'a rendu service:
Pour l'en récompenfer ta main eft mon feul bien.
LUCILE.

Mon pere, & mon bonheur le comptez-vous pour rien?

Fierval! Songez quel choix....

CLEON.

Mais il plaît à ton pere:

LUCILE.

Mon Oncle à mon égard fe montre moins févere.

CLEON.

Ton Oncle ! Je t'entens. La fortune lui rit,
11 eft tout à tes yeux, & moi, qu'elle trahit!....
Je fuis dans le néant. O pouvoir des richeffes!..
O pauvreté cruelle, à quel point tu m'abaisses ?
LUCILE.

Ciel! Qu'ofez-vous penser ?

CLEON.

Oui, tu me fais trop voir Que je fuis dans ces lieux un pere fans pouvoir. Ledernier des humains est maître de fa fille, Et moi feul je n'ai pas ce droit dans ma famille. LUCILE.

Vous déchirez mon coeur par ce reproche affreux! Mais je dois tout fouffrir. Vous êtes malheureux; C'eft un nouveau devoir qui m'atache à mon pere, Et qui rend à mes yeux fa perfonne plus chère. Je voudrois, fur le champ, pouvoir vous obéir; Mais je ne puis fi-tôt y plier mon defir:

N'ufez point envers moi d'une rigueur extrê

me;

[ocr errors]

Pour être mon tiran vous m'aimez trop vous même.

Un noeud fait à la hâte, & fans fe confulter,
Eft, de tous les liens, le plus dur à porter.
Differez feulement, mon humble remontrance
Eft mon unique efpoir, & toute ma défenfe;
Ne la rejettez paint, j'ofe vous en prier,
Et pefez mieux ma chaîne avant de me lier.
CLEON.

Un autre fur Fierval emporte la balance.
LUCILE.

S'il étoit vrai, mon cœur vous l'eût nommé d'avance

Et je ne ferois pas dans la perplexité;

Vous devez être fûr de ma fincerité;

C'eft l'embarras du choix qui me force d'attendre. Mon pere, jufqu'ici, puifqu'il faut vous l'apprendre,

Aucun ne m'a paru digne de l'obtenir.

« PrécédentContinuer »