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De les connoître mieux, donnez moi le loifir, Je n'abuserai pas de votre confiance,

CLEON.

A qui donc prérens-tu donner la préférence?
LUCILE.

C'eft au plus vertueux, c'est à celui de tous
Qui fera voir le plus d'attachement pour vous
D'eftime pour mon Oncle, en un mot pour moi-
même:

Et dont les procedés me convaincront qu'il m'aime.

CLEON.

Tu prétens m'éblouir par un fi beau difcours.
Ecoute. Il faut t'ouvrir mon ame fans détours;
J'ai lieu de foupçonner que dans le fonds la tienne,
De quelque vain dehors dont elle fe foutienne,
Panche vers ce Marquis qui vient de me quitter.
LUCİLE.

Mon pere, il n'en eft rien, j'ose le protester.
A peine je reçois fa feconde vifite,

Et vous pouvez penser....

CLEON.

Ces fripons-là vont vîte. LUCILE.

Non pas auprès de moi, leurs progrès font plus

lents;

Le vrai mérite feul a des droits fur mes fens.

CLEON.

Commence par l'exclure, ou la preuve eft douteufe.

LUCILE.

Cette diftinction lui feroit trop flatteufe,
Je vous fais le ferment, pour vous tirer d'erreur,

Qu'à votre volonté je foûmettrai mon cœur ; Et quel que foit l'époux, à qui ma foi s'engage, Qu'il n'aura mon aveu qu'après votre fuffrage. Mais concourant vous-même à ce bonheur commun,

Daignez n'en proteger, ni n'en exclure aucun ; Il faut, pour faire un choix, où l'équité se mon

tre,

Fuïr la prévention qui parle pour ou contre.

CLEON.

Quel rôle veux-tu donc que je faffe en ceci ?
LUCILE.

Celui de Juge integre, & de parfait ami ;
Etudiez leurs coeurs, pefez bien leur conduite,
Et prononcez après en faveur du mérite;
Qu'il ait feul l'avantage, & dans ce jugement,
Nous nous rencontrerons prefque infaillible-

ment.

CLEON.

Tu prendras en ce cas le Baron pour mon Gendre.

LUCILE.

S'il en eft le plus digne, il a droit de l'attendre. CLEON.

Je te répons déja qu'il l'eft.

LUCILE.

Vous oubliez

La qualité de Juge, & pour lui vous croïez
La prévention feule.

CLEON.

Ah! Têtebleu, j'enrage! J'ai du malheur en tout. Ma fille eft la plus fage; Il faut que je lui céde, en dépit du Baron;

Pour furcroît de chagrin', je fens qu'elle a raifon. Je fors, & malgré moi, je laiffe ton cœur maître, Puifque ton pere en rien ne fçauroit jamais l'être. Mais fonge que je fuis redevable à Fierval; Qu'à ce mérite-là nul autre n'est égal;

Que ton premier devoir eft d'acquiter mes dettes; Et pour ne pas combler l'horreur où tu me jettes, Qu'il faut que le Marquis, quand même il t'auroit plu,

Soit choisi le dernier & le premier exclu.

SCENE X I.

(Il fort.)

LUCILE, LE CHEVALIER.

L

LE CHEVALIER.

A fraïeur me raméne, & je crains votre pere, Lucile, à mon neveu, fans doute il eft con traire :

Mais,que vois-je ? Votre air merend plus inquiet, Vous êtes agitée.

LUCILE.

Et j'en ai bien fujet! Il veut que de Fierval je devienne la femme. Sur le juste délai que demande mon ame, Il m'ofe foupçonner du plus noir des oublis, Et croit que fes malheurs excitent mes mépris. Je n'ai pû l'arracher à cette erreur fatale; Jugez de ma douleur, il n'eft rien qui l'égale.

LE CHEVALIER.

J'en fuis tout pénétré. Quel parti cependant... LUCILE.

En puis-je prendre aucun, dont mon coeur foit

content?

LE CHEVALIER.

C'est pourtant ce coeur feul qu'il faut choifir, pour guide.

LUCILE.

Il eft trop partagé; le moïen qu'il décide!
LE CHEVALIER.

J'ai cru, vers le Marquis, que vous panchiez un

peu.

LUCILE.

Il a dans fon abord, je vous en fais l'aveu,
Il a dans fes difcours ce charme inexprimable,
Qui fait dire auffi-tôt : ce jeune homme est ai-
mable.

Mon cœur le choifiroit s'il en croioït mes yeux,
Mais il joint, par malheur, à ces dons gracieux,
L'efprit vain & leger des Marquis de fon âge,
Et la malignité fur tout eft fon partage.

Vous qui parlez pour lui, vous a-t'il respecté?
Ma prefence, Monfieur, ne l'a point arrêté,
Il eft incorrigible. En étant convaincuë,
Sur lui, pour un tel choix, puis-je jetter la vuë?
J'armerois contre moi mon pere prévenu,
Qui m'a fait, de l'exclure, un devoir abfolu :
Če feroit lui manquer, bien plus, le compro-

mettre.

Et je mourrois plutôt que de me le permettre.
LE CHEVALIER.

Il eft vraïment épris.

LUCILE.

Dites qu'il le paroft.

Tout parle de l'amour & rien ne le connoît.
Il me refpecteroit, s'il étoit vrai qu'il m'aime.
Mon goût, & mes confeils feroient fa loi fuprê-

me;

Il les méprife tous, & dès le premier jour.
Et vous ofez, Monfieur, me vanter fon amour?
LE CHEVALIER.

Sur l'efprit du Marquis, que n'ai-je plus d'empire?
LUCILE.

Que n'a-t'il les vertus que mon coeur lui defire? Dans l'excès de mon trouble & de mon embarras, Confeillez-moi vous-même, & conduifez mes

pas.

Sûre de votre coeur & de votre droiture,

Je m'en rapporte à vous dans cette conjoncture Si vous me répondez vous-même, en ces mo

mens,

De l'amour du Marquis & de fes fentimens,
En votre probité ma confiance eft telle
Que je me lie à lui d'une chaîne éternelle ;
Et que, fur votre foi, pour en venir à bout,
Je fléchirai mon pere & furmonterai tout.
LE CHEVALIER.

Confiance qui m'eft plus chere que la vie!
Votre eftime pour moi ne fera point trahie.
Vous pouvez de ce choix vous repofer fur nous;
J'y ferai mille fois plus févere que vous.

Le bonheur de vos jours eft l'objet qui me guide,
Ce n'eft plus en parent, c'eft en Cenfeur rigide
Que je vais, du Marquis, examiner l'ardeur.
Si fon ame toûjours perfifte en fon erreur,

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