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LE BARON.

Cette perte pour vous me rend inconfolable.
LE MARQUIS.

Moi, de la réparer, je me fens très-capable;
Mais, pour en témoigner un chagrin fans égal,
Cette gloire étoit dûe à Monfieur de Fierval.
LE BARON.

Un pareil compliment a lieu de me furprendre, Et je ne fçai, Monfieur, comment je dois le prendre.

LE MARQUIS.

Monfieur, la modeftie ajoute à vos vertus.
Mon eftime s'accroît.

Venez, Marquis

LUCILE.

Finiffons là-deffus.

LE MARQUIS.

Je fuis à vos ordres, Madame.

Monfieur, je fors charmé de votre grandeur d'ame. LE BARON.

A d'autres! Le Serpent eft caché fous les fleurs;
On vous connoît ici comme par tout ailleurs.
LE MARQUIS.

La franchise eft fouvent traveftie en malice:
La libéralité paffe pour avarice
Vous le favez, Monfieur.

LUCILE.

Sans égard.

Vous poursuivez toujours

LE MARQUIS.

Je répons, Madame, à fes difcours.

LE BARON

Il est vrai que le monde eft bien méchant, bien

traître.

LE MARQUIS.

Oui, méchant, juftement; c'est-là le bien con

noître

Et les particuliers feroient tous bons fans lui Vous même vous allez l'éprouver aujourd'hui. Votre douleur eft vraie.

Elle

LE BARON.

Autant que violente.

LE MARQUIS.

part d'un cœur noble, & d'une ame excel-
lente.

Mais le monde qui donne à tout un mauvais tour,
Vă, fur cette douleur, plaifanter dans ce jour.
Il dira, j'en fuis fûr, que préférant l'utile,
Vous plaignez beaucoup moins le malheur de
Lucile,

Que vous ne regrettez les biens de Lifidor,
Ses Terres, fes Châteaux, & tous ces monceaux
d'or

Qui vous font enlevés par l'himen d'Ifabelle, Et pour qui vous brulez d'une flamme fi belle. LE BARON.

Vous m'offenfez, Monfieur, de me parler ainfi. LE MARQUIS.

Monfieur, ce n'eft pas moi, c'est tout ce Pays-ci Qui tiendra ce difcours.

LUCILE au Marquis.

Pour railler de la forte,

Monfieur prend bien fon tems.

LE MARQUIS.

Votre interêt m'y porte.

LUCILE.

Un autre foin devroit occuper votre efprit,

Et je ne puis tenir contre un jufte dépit.

Vous venez, comme lui, de vous faire connoître De votre esprit, du fien, l'amour n'est point le

maître.

Votre gaité le prouve autant que fon chagrin, Et ce n'eft pas ainsi qu'on obtiendra ma main. (Elle fort.)

SCENE VIII.

LE MARQUIS, LE BARON. LE MARQUIS à part.

E mépris eft pour lui; pour moi feul la colére:

Plus elle eft vive, & plus je fuis fûr de lui plaire.

SCENE I X.

LE MARQUIS, LE BARON CLEON, LE CHEVALIER.

CLEON au Chevalier.

Noe, vous vous fidele témoin

On, vous prenez vous dis-je, un inutile soin;

Qui les a vus partir dans un même Carroffe, Qu'au moment où je parle, on célébre leur nôce.

Le malheur de ma fille eft figné fans retour;
Je le favois bien, moi, qu'avant la fin du jour,
Je ferois accablé par un nouveau désastre!
A cet acharnement je réconnois mon astre :
Sur les jours de ma fille, il étend fa noirceur.
Ah! Fierval, vous Voilà. Partagez, ma douleur;
Ma Fille voit fon bien ravi par Ifabelle;
Je vous la deftinois, vous y perdez comme elle.
LE BARON.

Je fuis, à ce malheur, plus fenfible que vous.
CLEON.

De votre part, Baron, ce fentiment m'eft doux ;
Votre amitié fincere, en un jour si funefte;
De tous les biens du monde, eft le feul qui me
relte,

Et qui peut adoucir la rigueur de mes maux.
LE BARON.

A peine, à ce difcours, je retiens mes fanglots,
Par votre affliction la mienne eft trop accrue,
Je fens que je fuffoque, & je fuis votre vûe.

CLEON. 2

Comment! Vous me quittez?

LE BARON.

1

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Hélas! C'eft malgré moi;

Je ne puis foutenir l'état où je vous voi.

(Il fort.)

SCENE X.

LE MARQUIS, CLEON,
LE CHEVALIER.

SAR

LE MARQUIS.

A fortie eft touchante, & fa douleur eft rare.
CLEON.

Tu me gardois encore ce trait, ô fort barbare!
Le feul homme ici-bas fur qui javois compté,
Me fuit tout le premier dans mon adverfité.
L'afpect d'un malheureux eft un trait qu'on évite,
Dans fes meilleurs amis, fa planette maudite
Etouffe la tendreffe, éteint les fentimens,
Et fait exprès pour lui les malhonnêtes gens.
LE CHEVALIER.

Elle ne les fait pas, mais elles les dévoile ;
C'est la faute du coeur, & non pas de l'étoile.
CLEON i

L'avare eft démafqué comme le faux ami;
L'interêt le guidoit alors qu'il m'a fervi.
LE MARQUIS d'un air gai.

Pour moi, je vous tiendrai fidelle compagnie :
Il faut moins s'affliger des revers de la vie ;
Sur-tout un Militaire, un homme comme vous,
Du fort plus fierement doit foutenir les coups.
Je dis plus ; cet himen, Monfieur, qui vous cha-
grine,

Offre un côté plaifant.

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