CLEON. Plaifant! LE MARQUIS. Des plus plaifans: Votre cadet malin, à foixante-dix ans, Par un trait rafiné de vengeance fecrette, Qu'entens-j e! Quoi? Ma fille a tenu ce langage? Je réponds du contraire, & Lucile eft trop fage.. (Au Marquis.) Vous la faites parler, vous êtes bien hardi. Mais elle a pû le dire, & le mot eft joli. Tant d'audace m'irite, il eft épouvantable, LE CHEVALIER retenant Cleon.. Ah! tous juftes qu'ils font, modérez vos tranf :: ports. (Au Marquis.) Et vous, fans répliquer, retirez-vous. LE MARQUIS. Je fors. Et malgré qu'il en ait, je fçaurai par mon zèle, Lui prouver qu'il n'a point un ami plus fidelle. SCENE XI. CLEON, LE CHEVALIER. CLEON. L fait bien d'éviter l'effet de mon couroux. Je me fens contre lui révolter comme vous: Aux rechutes, jamais je n'accorde de grace. Votre ame... CLEON. Eft infléxible. En parler feulement, C'est irriter ma peine & mon reffentiment. Je cede à ce conseil, & je cours l'arrêter ; ter. CLEON. Il feroit aggravé par le coup dont je tremble. Ma fille vient, laiffez les malheureux ensemble. SCENE D'une juste frayeur, tous mes fens font émus. CLEON. Ma fille, tu me vois dans un trouble effroyable. La douleur me pénétre, & le chagrin m'accable. Parens, amis, tout s'arme & s'unit contre moi. Mon frere marié me fait gémir fur toi, Le Baron m'abandonne, & le Marquis m'offenfe. Il t'outrage toi-même; il a l'impertinence De lancer fur ton oncle un trait des plus méchans, Et dit qu'il vient de toi. LUCILE. Ciel! Qu'est-ce que j'entens ? Le Marquis à ce point ofe noircir ma gloire? Vous ne me faites pas l'injure de le croire ? CLEON. Non, je ne le crois pas, mais je crains que ton coeur Ne protége en fecret fon calomniateur. F LUCILE. Il a par trop d'endroits mérité ma colére: Je n'ai des fentimens que pour plaindre mon pere. Mon cœur,dans fon devoir, efttrop bien affermi; Et dès qu'on vous offense, on eft mon ennemi. Ma parole...... CLEON. Suffit. Elle te justifie, Ton état met le comble aux horreurs de ma vie. Mes malheurs perfonnels jufques à ces momens, Ne m'avoient arraché que des emportemens; Les tiens feuls font couler des pleurs de mes pau piéres. Sens ces larmes, ma fille, elles font mes premières, Que ma mifere affreufe, & ma douleur profonde. J'ai lieu de me flatter, mon pere, dans ce jour, Que j'obtiens votre eftime, & que j'ai votre Ces garants font pour moi plus précieux que l'or, Et pour le conferver, il n'eft rien qui me coûte. CLEON. Quoi? Tu quitteras tout pour venir avec moi? Parle. LUCILE. Oui, je le fouhaite autant que je le doi. Loin que la folitude ait rien qui m'épouvante, Je me fais de la vôtre une image charmante. Venez, partons, mon pere, & retirons-nous y, Je n'ai pas de mérite à prendre ce parti: Abandonner le monde en ce revers propice, Eft un plaifir pour moi non pas un facrifice. Je préviendrai vos voeux, je vous consolerai, En partageant vos maux, je les adoucirai Je mettrai tous mes foins & mon bonheur fuprême A vivre, à refpirer pour un pere que j'aime. Un retour fi parfait, fi rempli de vertu, Goûtent en s'uniffant les plus grandes douceurs. Fin du quatrième Alle. |