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Et pour calmer leur efprit agité,

J'ordonne repas fins, charmantes promenades
Vin d'Auvilé fur tout, pere de l'enjoûment.
S'il n'opere que foiblement

Fort à

L'Efcubak où l'Eau des Barbades
Eft mon dernier médicament.
Tant pis pour eux fi la fièvre les prend
Car j'abandonne mes malades,
Dès qu'ils le font bien ferieufement;
Et je laiffe à mes camarades.
La gloire de l'enterrement.
LEANDRE.

Cette méthode eft fage autant que

M. DE LA JOIE.

propos ici vous êtes de retour

fine.

Pour voir briller ma nouvelle doctrine.
Je dois & vais la mettre au jour,

Dans une fête où la gaité préfide.

Elle ouvre ce matin par un dîner fplendide,
Et finira ce foir par un balet brillant.

LEANDRE.

Eh! Qui donc eft l'auteur de ce cadeau charmant? M. DE LA JOIE.

Moi.

LEANDRE.

Perfonne ne vous défraie?

M. DE LA JOIE.

Mais je partage cet honneur

Avec un Marquis riche, & d'agréable humeur.
Je prépare la fête, & c'eft lui qui la paie.

LEANDRE.

Mais vous êtes vraiment un homme univerfel!
Vous reglez la cuisine auffi bien que la danse;

i

On n'a jamais rien vû de tel!
Cependant, Monfieur, plus j'y pense,
Moins je voudrois, tout mis dans la balance;
Choifir mon Médecin pour mon Maître d'Hôtel.
M. DE LA JOIE.

Vous avez tort, Monfieur. Un Médecin raffemble
Toutes les qualités & tous les arts ensemble.
J'entens par arts, ceux qui par leur gaité;
Ont mérité le nom de talens agréables,
Et concourent à la fanté

Comme au délaffement de tous les

gens Il est tout à la fois Muficien, Gourmet, Poëte, Cuifinier, & Maître de Balet. De toute façon il s'efcrime.

aimables.

Il change, comme il veut, de ton & de maintien.
Tantôt vif & badin, tantôt grave & fublime.
Tout digne enfant de Galien
Doit être né Comédien,

Notre Profeffion n'eft qu'une Pantomime.
Adieu, je fuis forcé de finir l'entretien,
Car l'heure du dîner s'approche.
Je ne veux point m'attirer de reproche;
Et je fuis fur tout ponctuel,

Quand il faut ordonner un repas folemnel.

(Il fort.)

SCENE III.

LEANDRE, LA COMTESSE

C

LA COMTESSE.

Omment vous portez-vous, mon frere?
Pour vous revoir, j'ai tout quitté.

LEANDRE.

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Perfonne ne nous voit dans ce Bois folitaire.

Trouvez bon que je prenne une autre qualité,
Et qu'étant votre époux, je puiffe, en liberté,
Vous parler un moment comme on parle à fa femme.
Le rôle que je fais coûte trop à mon ame;
Et puifqu'il faut vous l'avouer

Je me laffe de le jouer.

LA COMTESSE.

Vous m'étonnez par ce langage!

Et vous manquez de goût, d'amour également. Paffer pour frere & fœur, quand l'himen nous engage, Mais rien n'eft plus divertissant!

Et le mistere féduisant

Prête à ces noms je ne fçai quoi de tendre,
De doux ensemble & de piquant,

Qui fait qu'on aime à les entendre,
Et qu'à les répéter, on trouve du plaifir,
Mais un plaifir qu'on ne peut rendre!
Il n'eft permis de le comprendre
Qu'à ceux qui fçavent le fentir.

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LEANDRE.

Je goûterois fort ce miftere,

Si j'en tirois le fruit que j'en devrois avoir;
Et qu'étant le jour votre frere,
Je fuffe votre époux le foir.

Mais c'est une douceur interdite à ma flâme.
Depuis fix mois que nous fommes unis,
J'en fuis au point où j'en érois, Madame ;
Le premier jour que je vous vis;
Et vous m'avez, fans me permettre
De vous dire adieu seulement,
Fait partir pour mon Régiment,

Lorfque du nom d'époux j'ai tout dû me promettres
A cet arrêt forcé de me foumettre
Je me vois dans le monde un être fingulier;
Je fuis Mari garçon: mais garçon à la lettre.
LA COMTESSE.

Monfieur, pour me justifier,

En même tems pour vous confondre,
Je n'ai qu'un mot à vous répondre.

J'ai voulu vous donner ma foi,

Pour vous prouver mes feux, & raffurer les vôtres.
Mais d'en faire un fecret, me faisant une loi
Pour en mieux dérober la connoiffance aux autres,
J'ai dû vous éloigner de moi,

Et plûtôt que ma flâme, en croire mon éfroi.

LEANDRE.

Veuve, & par conféquent de votre fort maîtresse; Falloit-il tant de crainte, & de délicateffe?

LA COMTESSE.

Vous fçavez mes raifons.

LEANDRE.

Bon, difcours fuperflus!

L'Amour n'en connoît point, & pafle par deffus. Tant de prudence eft importune.

LA COMTESSE.

Quoi! Vous auriez voulu que rifquant mon fecret,
J'expofaffe avec lui mon bien & ma fortune ?
Que de quelques inftans le plaifir indifcret
Fût peut-être fuivi de trente ans de regret ?
Jufques ici ma richeffe incertaine
Eft, vous le fçavez bien, attachée au fuccès
Du difficile & long procès

Que doit juger le Parlement de Renne.
Cléon, qui pour fon fils, m'a demandé ma main,
Doit rapporter cette affaire importante
Qui tient mon état incertain,

Et j'attens tout de fa faveur puiflante:
J'ai par cette raifon dû flatter fon erreur,
Et cacher notre nœud, jusques à la journée
Qui doit, par un Arrêt, fixer ma destinée.
Songez que s'il venoit à fçavoir par malheur
Le fecret de notre himenée,

Pour ennemi j'aurois mon Rapporteur
Et qu'infailliblement je ferois ruinée.
Ai-je tort?

LEANDRE.

Oui, Madame, & non.

A Rennes vous aviez raison;

Car vous & moi nous étions fous fa vûë.

Auffi pour ôter tout foupçon,

J'ai vecu dans ma garnifon,

Et ma tendreffe vous a cruë.

Mais à Forges, Madame, où vous êtes venuë
Vous avez tort & très-grand tort.

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