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LA COMTESSE.

En quoi, Monfieur? Vous me furprenez fort.

Je vous ai rappellé.

LEANDRE.

Pour augmenter ma peine.
Dans ces lieux éloignés, où l'on vit librement
J'arrive, plein de l'efpérance vaine

Que je vais être heureux, du moins fecrèttement.
Point du tout; un excès de prudence ou de crainte,
D'un nouveau joug m'impofe la contrainte.
Ma femme, malgré moi, qui veut être ma fœur,
A tenir mes feux en fouffrance

Goûte une maligne douceur,

Leur refuse l'attrait de la moindre faveur.
Comme un autre Tantale, au fein de l'abondance,
J'expire de famine, & vois fuir mon bonheur.
Jamais tourment!.. Vous en riez, cruelle?
LA COMTESSE.

Je trouve la plainte nouvelle.

Mais comptez vous pour rien d'être avec moi, Monfieur ?

De me voir à toute heure, & de me voir fidelle ?
LEANDRE.

Ce bien accompagné d'une gêne éternelle;
Ajoûte à mon fupplice, & devient un malheur.
Mit-on jamais un homme à cette rude épreuve !
Ma fituation eft vraiment toute neuve,

J'euffe attendu moins de rigueur,

Et plus de pitié d'une Veuve.

LA COMTESSE.

Mon frere, en vérité, vous me touchez beaucoup.
LEANDRE.

Oh! Mon frere ! Ce nom m'outrage pour le coup:

Si vous vous mettiez à ma place,

Et que vous aimalliez autant que je le fais,
Vous changeriez de façons déformais,
Et vous finiriez ma difgrace.
LA COMTESSE.

Mon cœur qui le voudroit, le peut moins que jamais.
LEANDRE.

Qu'eft-ce donc qui vous embarraffe?

Il n'eft point de Cléon à craindre dans ces lieux;
Et vous pouvez, loin de fa résidence,
Avoir pour moi, fans rifque, un peu de complaifance
LA COMTESSE.

Non, de plus d'un Argus je dois craindre les yeux;
Je dois redouter la présence

De Cidalife attachée à mes pas.
Comme il n'est point de Villes ni d'Etats
Où cette fille n'ait quelque correfpondance,
Si notre mariage à Forges tranfpiroit,

Sur le champ fa main indifcrette,
Dans ma province l'écriroit;

Et j'aimerois autant qu'il fût dans la Gazette.
LEANDRE.
L'infupportable fille, & que mon cœur la hait!
LA COMTESSE

Depuis votre départ, puisqu'il faut vous l'apprendre,
Un nouvel incident a traverfé nos vœux ;

Et nous prefcrit, mon cher Léandre

Le devoir d'être encor plus circonfpects tous deux.
Ce font nos communs avantages.
LEANDRE.

Mais deux époux, quoiqu'on exige d'eux,
Ne peuvent pas être plus fages.

Quel obitacle plus fort nuit donc à mon repos?

LA COMTESSE

LA COMTESSE.

Le fils de Cléon eft aux Eaux.

LEANDRE.

Quoi ! Le fils de Cléon, le Marquis de Florange

Eft à Forge?

LA COMTESSE.

Qui.

LEANDRE.

L'avanture est étrange!

C'est ce jeune homme aimable, & des plus opulens,
Dont m'a parlé votre Hipocrate,

Et qui donne pour vous des cadeaux si galans?
LA COMTESSE.

C'eft contre mon aveu que fa dépenfe éclate.
LEANDRE.

Plus que je ne voulois, ce difcours m'éclaircit ;
Et du fort qui fe divertit,
Ce font là les cruels caprices.
Ce fatal & jeune Marquis
Je l'ai vû beaucoup à Paris.

Avec lui, qui plus eft, j'ai fait mes exercices,
Et nous étions très-grands amis.

LA COMTESSÉ.

Pour moi, de l'avoir vû, je me souviens à peine.
Dès l'âge de dix ans il eft forti de Renne

Sans qu'il y foit rentré depuis.

Il ne me connoît point, & ne fçait qui je fuis,

LEANDRE.

Mais votre nom a dû l'instruire
Que vous êtes précisément

Le parti que pour lui fon pere veut élire.

LA COMTESSE.

Non, Monfieur, il fçait fimplement

B

Qu'on le doit marier d'abord en arrivant ;
Il n'eft point informé du nom de la personné.
Après l'avis que je vous donne,

Jugez combien il nous eft important
De mettre, à nous cacher, tout notre foin prudent.

LEANDRE.

Allons, puifqu'il le faut, je veux bien m'y foumettre.
Mais pour me confoler, daignez donc me promettre
De m'accorder, de tems en tems,

Madame, le plaifir que j'ai dans ces inftans
De vous voir en bonne fortune.
LA COMTESSE.

C'est trop rifquer, nous ferions vûs.
LEANDRE.

Mais pour n'être point aperçus,
Si vous voulez, nous choifirons la brune.
LA COMTESSE.
Je crains trop le ferein. Adieu, feparons-nous,
Quelqu'un pourroit venir & nous furprendre.
LEANDRE.

'Ayez auparavant la bonté de m'apprendre Si je me reverrai bien-tôt feul avec vous. LA COMTESSE.

Mon amour en ce lieu vous donne rendez-vous...
LEANDRE.

Tantôt ? Ce foir? Dites, ma chere.
LA COMTESSE.

Le jour que j'apprendrai le fort de mon procès.
Jufqu'à ce jour que je crois près,

Je ne vous verrai plus qu'en qualité de frere
Et qu'en préfence de témoin.

L..

LEANDRE.

Ah, ce jour est encore loin

Tant de rigueur me défefpere.

Vous me traitiez moins durement;
Quand je n'étois que votre Amant.

Souvent, pour adoucir la rigueur de ma chaîne♫
Je pouvois en fecret vous dire au moins ma peine:
Que le mari foit fur le même pié.

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Songez qu'au fond la faveur n'eft pas grande.
Ma tendre, ma douce moitié,
De votre époux ayez pitié;
A genoux je vous le demande.
LA COMTESSE.

Dans une promenade où l'on eft vû de tous?
Levez-vous au plûtôt : ce trait eft des plus foux;
Vous méritez que je vous gronde.

Si vous étiez furpris, mon frere, à mes genoux,
Jufte Ciel! Que diroit le monde ?

Partez, ou vous allez exciter mon courroux.
LEANDRE.

Je ne demande plus qu'une grace légere:
Que je baise la main d'une fœur auffi chere;
C'est peu pour un Amant, & rien pour un Epoux,

LA COMTESSE.

Oui, mais c'est trop pour un frere.

LEANDRE.

Je l'obtiendrai, malgré votre rigueur.

LA COMTESSE.

Arrêtez; voilà Cidalife.

Songez que je fuis votre fœur

Aucune liberté ne vous eft plus permise.

LEANDRE avec dépit.

Son importunité m'eft contraire en tout tems!

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