Adieu, Madame, adieu ma fœur. (Elles fortent.)
LEANDRE Seul.
A femme a, pour le coup, une garde fidelle; Exprès › pour m'éloigner, elle attache auprès
La fâcheufe que je hais tant.
Et c'eft un trait malin.... Mais un homme s'avance; Il a l'air du Marquis. C'est lui-même vraiment. Déguifons-nous en fa présence, Et jouons bien l'étonnement.
De rencontrer à Forge un de mes bons amis ! LEANDR E.
De rejoindre en ces lieux mon aimable Marquis! (Ils s'embraffent.)
Comment vont les plaifirs? Comment va la fortune? Et qu'as-tu fait depuis mon départ de Paris? LEANDRE.
J'ai voltigé de la Blonde à la Brune; 'J'ai fuivi, tour-à-tour, quatre inclinations, L'Amour, le Jeu, le Vin, la Bonne-chere; J'ai mis enfin au jour toutes les actions Qui peuvent fignaler un jeune Militaire, Et j'ai toujours, avec un fcrupule fevere, J'ai rempli les devoirs, j'ai fait les fonctions, Et mené la vie exemplaire D'un Capitaine de Dragons. LE MARQUIS.
Tant de fageffe m'édifie;
Et ton état, Léandre, eft un bien que j'envie.
A ton tour, Marquis, apprens-moi, Avec la même bonne foi,
Tes occupations, pendant quatre ans d'absence 2
J'ai beaucoup voyagé, mais fans aucun plaisir. J'ai d'abord vifité la France, Mais avec tant de diligence Que je n'ai pas eu le loifir De m'ennuyer, ni de me divertir. J'ai parcouru, fans faire réfidence, L'Allemagne, la Suiffe, où l'on m'a forcément Enfeigné l'art de boire alternativement
En même pot qui fait la ronde,
Et de m'enivrer proprement
Pêle mêle avec tout le monde.
Puis j'ai vu la Hollande, où l'Esprit, l'Agrément, Où le Plaifir paroît un Eftre imaginaire; Où le vrai Savoir-vivre, où le grand Art de Plaire, Eft l'art de commercer toujours utilement. J'ai fait le tour de l'Italie:
Là, j'ai, pendant dix mois, fubfifté de concert, Ou n'ai vécû que de deffert: En Décoration, ou bien en Symphonie, On vous y traitte, on y fait les honneurs : Un Concerto, des Fruits, des Glaces, des Liqueurs Il eft vrai d'un goût admirable, Accompagnés de parfums & de fleurs, Compolent le repas, & rempliffent la table: Bref, c'eft un Pays merveilleux,
Où l'Art y fert de nourriture;
On n'y foupe jamais, on y dîne en peinture, Et l'on n'y mange que des yeux. LEANDRE.
D'une indigestion, on court peu l'aventure Dans un Feftin fi fingulier,
Dont un Peintre eft le Cuifinier.
J'ai terminé ma course à Londre; On y fait tous les Arts, hors l'art de converfer: La Parole eft un bien qu'on craint d'y dépenser. Pour fe donner la peine de repondre, On eft trop occupé du travail de penfer. Auprès de lui mon pere me rappelle; Sa lettre m'apprend que fon zéle Me deftine un parti dont il me taît le nom; Et, pour diffiper l'humeur noire
Que donne l'air de Londre, & fon maudit charbon, Je fuis à Forge venu boire
Par ordre de la Faculté,
Et prendre avec ses eaux une aimable gaïté: La Compagnie y contribue;
Celle avec qui fur-tout on eft en liaison : Ses effets font plus fürs que ceux de la Boiffon J'y retrouve un ami, j'y jouis de fa vûe; Je répons de ma guérison, LEANDRE.
Mais j'en vois fur ton teint d'infaillibles préfages. On eft für de guérir quand on fe porte bien. Et tes amours? Ne m'en diras-tu rien? LE MARQUIS.
Ils ne font pas heureux, non plus que mes voyages. Pour trois différentes Beautés
J'ai brûlé, tour-à-tour, dans le fond de mon ame, Sans avoir pû, malgré tous mes foins répetés, Parvenir feulement à déclarer ma Aâme
Ni même à me trouver fans témoin une fois Vis-à-vis d'aucune des trois.
C'eft être malheureux autant qu'on le peut être.
Une Fille à Milan fut mon premier vainqueur ; J'en devins amoureux en paffant dans fa rue : Mais, à peine un regard eut-il frappé mon cœur, Qu'une mere fevere, avec un ton grondeur, La fit difparoître à ma vûe.
J'eus beau, durant quatre mois de féjour, Epier le moment de parler à la Belle, Je ne la vis jamais fans fa mere éternelle, Qui fervit de rempart toujours à mon amour ; Et toute la faveur qu'en obtint ma conftance, A force de faluts l'un fur l'autre entaffés, Fur une fimple révérence :
Encore la fit-elle avant les yeux baiffés. LEANDR E.
Voilà des feux bien mal récompenfes. LE MARQUIS.
Une Femme enfuite, à Florence, Succéda dans mon ame au Tendron de Milan; Ses beaux yeux, à travers fa double jalousie, Trouvérent le chemin de mon ame affervie : Mais fon époux jaloux, ou plûtôt fon tyran, Faifoit de fa maifon une prifon cruelle,
Et trente clefs répondoient d'elle.
Je rodai tant autour de fon logis, Qu'à force d'or je féduifis La Surveillante intéreffée, Qui m'introduifit une nuit
Chez la Maîtreffe, à petit bruit: Mais, en entrant, mon ardeur empreffée Rencontre en face le Mari:
11 voulut d'un poignard accueillir ma tendreffe, Et courut après moi, de tous fes gens fuivi;
« PrécédentContinuer » |