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Mais l'ayant gagné de vîtelle,
Je m'échapai de fa fureur.

Ce fut là le progrès où se borna ma flâme;
J'eus le regret, &, malgré moi, l'honneur
D'être reconduit par Monfieur,

Sans avoir pû donner le bon foir à Madame.
LEANDRE.

Quel Epoux incivil! Ah! Rien n'eft plus affreux;
Les nôtres favent bien mieux vivre:

Dès

que vous arrivez chez eux,

Ils vous quittent la place, au lieu de vous poursuivre.
LE MARQUIS.
Ici, pour mettre fin à ma narration,

Une Veuve charmante, & née en tout pour plaire,
Fait ma troifiéme paffion;

Ou plûtôt, cher Léandre, elle fait ma premiere.
Des autres l'apparition

N'avoit produit chez moi qu'une flâme légére,
L'efprit de celle-ci, fa conversation,

Avec l'eftime & l'admiration,

Ont fait naître un amour auffi fort que fincere ;
Il tient de l'adoration.

Mais la fatalité qui m'est particuliere,
Attache fur fes pas, pour traverfer mes feux,
Une fille obftinée à la fuivre en tous lieux,
Et qu'on appelle Cidalife.

Elle l'obfede au point, que jufques à préfent
Je n'ai pû dans ces lieux la voir feule un inftant,
Pour lui dire l'ardeur dont mon ame eft éprife.
Cette incommode-là ne quitte jamais prise :
Sans ceffe je maudis son affiduité,

Et je fuis fur le point de perdre patience.
Elle furpaffe en importunité,

Les Meres de Milan, les Maris de Florence.
LEANDRE.

Oui, cette Cidalife eft de ma connoiffance;
Elle eft telle que tu la peins.

Je murmure contre elle autant que tu t'en plains.
LE MARQUIS.

Tu dois connoître auffi ma Comteffe adorable,
Puifque l'une eft toujours de l'autre inféparable.

LEANDRE.

Oui, nous nous connoissons.

LE MARQUIS.

Tu dis cela d'un ton;

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Qui tout à coup me fait naître un foupçon.
Elle attend aujourd'hui le retour de fon frere
Et tu viens d'arriver. Seroit-ce toi ? Répon.
Eclairci-moi par un aveu fincere.

LEANDRE.

Mais il eft vrai qu'à Forge on me donne ce nom.
LE MARQUIS.

La Comteffe eft ta fœur? Léandre, cher Léandre,
Ah! Quel furcroît de joie, & de bonheur pour
pour moi!
Je dois de ton fecours, de ton zele, de toi,
Je dois, & j'ofe tout attendre.

L'amitié t'en fait une loi.

Unique confident du feu qui me dévore,
Du feu que dans ton fein je viens de dépofer,
Et frere en même tems de l'objet que j'adore,
En ma faveur tu dois le difpofer.

Au tourment d'un ami tu dois être fenfible,
Le fervir, le conduire, & le favorifer.

LEANDRE.

Je le voudrois fort... Mais... à ne rien déguiser, Marquis, la chofe eft impoffible.

LE MARQUIS.

Impoffible! En quoi donc? Songe que mon amour
Eft auffi pur que l'eft le plus beau jour,
LEANDRE.

J'y vois, te dis-je, un obftacle invincible.
LE MARQUIS.

Mais quel obftacle enfin ? Parle.

LEANDRE.

Près de ma four

Puifqu'il faut m'expliquer, je ne puis, en honneur,
Servir tes feux, quelque fort que je t'aime,
Dans le tems que je viens d'apprendre de toi-même,
Qu'une autre est destinée à recevoir ta main,
Qu'un pere te rappelle en France à ce deffein.
Moi même, en ce moment, je ne puis te comprendre!
LE MARQUIS.

Cet obftacle n'eft rien, & mon amour, Léandre,
Mon amour est prêt à le lever.

Je renonce au parti qu'un pere me propose.
Ta fœur, qui de mon cœur feule en reine difpofe;
Eft le plus éclatant que je puiffe trouver.
Loin qu'à ce nouveau choix ma famille s'oppose,
Élle fera gloire de l'approuver.

J'en répons.

LEANDRE:

Peux-tu ?...

LE MARQUIS.
Je le puis & je l'ofe.

Pour moi, parle à ta fœur.

. LEANDRE.

Non, je n'en ferai rien,

Et fi tu me connoiffois bien,

Tu...

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LE MARQUIS.

LE MARQUIS.

Mais, pour un ami volontiers on s'emploie.
Je ne te conçois pas. Quel frere fcrupuleux!
Fais du moins qu'un moment fans témoin je la voie.
Ecoute. J'imagine un moyen très-heureux.

Le grand obftacle à ce bien que je preffe,
Eft Cidalife importune à tous deux :
Il s'agit d'éloigner fes pas de la Comteffe,
Pour que je puiffe feul lui déclarer mes feux.
Tu peux me rendre ce fervice.

LEANDRE.

Je le puis moins qu'un autre ; ainfi ne compte pas Sur moi pour un pareil office.

LE MARQUIS.

Mais aifément tu le pourras;
Je donne, ce foir, une fête :
Près d'elle tu te placeras,

Tu feras l'empreé, tu loûras fes appas;
Tu feindras d'être fa conquête.

Je prendrai cet inftant, où tu l'amuferas,
Pour inftruire ta fœur, & la voir tête-à-tête.

LEANDRE.

Le bel emploi que tu me donnes-là!
LE MARQUIS.

Ton zele, de ce foin, au mieux s'acquitera.
Mon cher! Je t'en conjure, à charge de revanche.
Mon amitié, fans peine, à tout fe prêtera;
Je te le jure ici, d'une ame franche.

LEANDRE.

Non, non, je ne veux point, Marquis, Te mettre dans le cas de la reconnoiffance.

C

SCENE VII.

LEANDRE, LE MARQUIS, M. DE LA JOIE.

M. DE LA JOIE à moitié pris de vin. E viens, Meffieurs, pour vous donner avis Que vous allez contre mon ordonnance. A babiller à jeun, à caufer à crédit

JE

Sans en prévoir la conféquence,

Vous employez un tems qu'on doit mettre à profit
A converfer des dents, & non pas de l'efprit.
La converfation d'une table charmante
Eft la plus agréable & la plus nourriffante ;
Et je ne fçaurois voir, fans un mortel dépit,
Qu'on manque de fe rendre à l'heure intéressante:
Du dîner qui fe refroidit.

(Il fait un boquet.)

Pour moi, je meurs de foif, j'étrangle d'appétit.

Il y paroît.

LE MARQUIS.

LEANDRE.

Mais, quand on fort de table,

Et que l'on vient de déjeuner,

On peut, mon Docteur très-aimable,
Tranquillement attendre le dîner.

M. DE LA JOIE.
Je n'ai point déjeuné, je m'en fais un fcrupule;
Et c'eft, Meffieurs, un ridicule

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