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LA COMTESSE.

Ah! Par ce regard féducteur
Malgré-moi, je fuis attendrie!
Puis-je l'être pour un ingrat
Qui bien loin qu'il fe juftifie
Du crime de m'avoir trahie
De mon courroux vient exciter l'éclat?
Et pour combler l'infùlte, il en joüit encore!
LEANDRE.

Madame, il est vrai, j'en joüis ;
Mais en époux qui vous adore,

Et qui, de vos transports, fent vivement le prix :
J'en jouis en époux, qui loin d'être capable
De fentir pour une autre une nouvelle ardeur
N'eft malheureux au fonds du cœur

Que pour vous trouver trop aimable.
LA COMTESSE.
Si véritablement vous n'étiez point coupable
Vous vous feriez déja juftifié, Monfieur.

LEANDRE.

Fixez vos yeux fur moi, mon épouse adorable :
Là regardez-moi donc, mais regardez-moi bien,
Votre œil fera payé de cette complaifance;
L'amour que vous voyez éclater dans le mien,
Vous prouve feul mon innocence.

LA COMTESSE.

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Les yeux ? Garants trompeurs, dont rien ne me répond.
Les plus tendres en apparence,
Sont bien fouvent les plus traîtres au fonds,
Je veux des raifons convaincantes.

Faites-moi voir par des preuves parlantes...
LEANDRE.

Le fait fuffit lui feul pour vous défabuser.

Sçachez que le Marquis avoit fait pour vous-même,
Les Vers dont fauffement, je me vois accuser;
Mais comme Cidalife incommode à l'extrême,
Et faite en tout pour troubler les Humains,
Les a furpris & faifis dans fes mains,

Il a dit, pour cacher le fonds de ce Myftere,
Que je l'avois pour elle obligé de les faire;
Voilà l'occafion, la fource de ce bruit.

LA COMTESSE.

Ah! Je refpire à ce récit!

Cependant Cidalife eft jeune, elle est aimable,
Et cet objet....

LEANDRE.

Ne peut rien fur mes vœux;

Dès qu'on a le talent de fe rendre fâcheux,
On n'a jamais celui d'être agréable.

Je ne puis rencontrer fon afpect importun,
Sans fentir dans mon ame une révolte extrême ;
Je la hais... Comme je vous aime:
C'est dire autant qu'on peut hair quelqu'un.
LA COMTESSE.
Préfentement, que je la hais moi-même ! \;
Que je fouhaite fon départ!
LEANDRE.

Vos vœux feront bien-tôt remplis à cet égard.
Il n'est point de moïen que notre efprit n'emploïe.
Nous fommes tous ligués pour la faire partir,
Et nous avons pour Chef..

...

LA COMTESSE.

Qui?

}

LEANDRE.

Monfieur de la Joïe.

LA COMTESSE.

Mon Médecin ?

LEANDRE.

Lui-même, & je le vois venir.

SCENE X.

LEANDRE, LA COMTESSE; Mr. DE LA JOIE.

LEANDRE à Mr. de la Joie.

H bien, mon cher Docteur, avez-vous vû Florange?

EH

Sçavez-vous fon deffein? L'avez-vous concerté ?
Mr. DE LA JOIE.

Oui, j'ai plus fait. Je l'ai, Monfieur, executé;
Et déja pour partir Cidalife s'arrange.

Executé fi-tôt !

LEANDRE.

LA COMTESSE.
Quoi? Cidalife part!

Par quel moïen?....

Mr. DE LA JOIE.

Par un trait de mon art,

Ou plutôt de fon caractere.

J'ai reveillé l'effroi qu'elle a pour fa fanté,
Et qui la rend fouvent malade imaginaire;
Et j'ai fortement excité

En même tems fa curiofité

Qui, de ses actions, eft le guide ordinaire,
Et qui la porte avec rapidité

Vers les fêtes d'éclat, & vers la nouveauté,
Celle du jour, & qu'on dit la plus belle,
Toûjours la détermine & l'emporte chez elle.
Sur ces deux pivots là, je me fuis appuïé;
J'ai fait d'abord le furpris à fa vue,
Et fur fa pâleur prétendue,

Je me fuis beaucoup récrié,
·Prononçant d'un air effraïé,

Qu'il faut partir de Forge à l'inftant fans réplique,
Sous peine d'être pulmonique :

Que le danger eft grand, bien plus qu'elle ne croit
Que le Fer regne trop dans fon eau métallique,
Et que de ce fatal endroit,

L'air eft ferrugineux, l'air eft vitriolique,
Mille fois plus encore que l'onde qu'on y boit.
A ces grands mots qui font pour elle un coup de
foudre.

Elle a fincerement pâli.

LEANDRE.

Mais l'air ferrugineux me fait frémir auffi.
Mr. DE LA JOIE.

Pour achever de la refoudre ;
Et l'engager à partir fur le champ,
Je mêle les plaifirs à cet éfroi preffant.
Je parle de Paris, je lui vante la fête

Qu'avec tant de pompe on apprête. J'ajoûte qu'elle occupe & la Ville & la Cour : Que rien n'approchera de fa magnificence: Qu'elle doit réunir mille jeux, tour à tour, de toutes parts, on vole en affluence, Pour fe trouver à ce beau jour.

Et que,

Je finiffois la frafe à peine,

Qu'elle s'écrie: Ah! Je voudrois la voir.

La Marquife, chez qui j'ai joué cette scéne
Dit qu'elle doit partir ce foir,
Qu'elles feront ensemble le voyage;
Et lui fait offre, poliment,

D'une place en fon équipage.

Cidalife l'accepte avec empreffement;
Et fon efprit, rempli de la brillante image;
De tant de jeux divers que j'ai peints vivement,
De la terreur paffe à l'enchantement.

Les fêtes de Paris obtiennent l'avantage;

Les nôtres, qui, pour elle, avoient tant d'agrément, Ne font plus, à fes yeux, que des Bals de Village.

LA COMTESSE.
Vous nous obligez tous de nous en délivrer.
(Elle regarde tendrement Léandre.)

Elle ne donne pas le tems de refpirer.
M. DE LA JOIE.

Venez donc, à partir, l'inviter au plus vîte:
Je fuis, préfentement, für de la réuffite:
Contre tous les Fâcheux mon art dois conspirer:
Dans la fociété, cette pefte maudite

Conduit toujours l'Ennui, le Chagrin, après soi :
Poisons de la Santé, fupplices de la Vie,
Et peres de la Maladie,

Le plus preffant devoir, & le premier emploi
D'un Efculape tel que moi,

Eft d'en purger la Compagnie,

Et d'extirper ce mal de bonne foi.

Fin du fecond Ate.

ACTE III,

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