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Ciel, faites que mon front soit exempt de disgrace; Ou bien, s'il est écrit qu'il faille que j'y passe, Donnez-moi tout au moins, pour de tels accidents, La constance qu'on voit à de certaines gens !

FIN DU TROISIÈME ACTE

SCÈNE PREMIÈRE

ARNOLPHE, seul.

J'ai peine, je l'avoue, à demeurer en place,
Et de mille soucis mon esprit s'embarrasse,
Pour pouvoir mettre un ordre et dedans et dehors,
Qui du godelureau rompe tous les efforts.
De quel œil la traîtresse a soutenu ma vue!
De tout ce qu'elle a fait elle n'estpoint émue;

Et, bien qu'elle me mette à deux doigts du trépas,
On dirait, à la voir, qu'elle n'y touche pas.
Plus, en la regardant, je la voyais tranquille,
Plus je sentais en moi s'échauffer une bile;

Et ces bouillants transports dont s'enflammait mon cœur
Y semblaient redoubler mon amoureuse ardeur.
J'étais aigri, fâché, désespéré contre elle;
Et cependant jamais je ne la vis si belle,
Jamais ses yeux aux miens n'ont paru si perçants,
Jamais je n'eus pour eux des désirs si pressants;
Et je sens là-dedans qu'il faudra que je crève,
Si de mon triste sort la disgrâce s'achève.
Quoi j'aurai dirigé son éducation

Avec tant de tendresse et de précaution;
Je l'aurai fai passer chez moi dès son enfance,
Et j'en aurai chéri la plus tendre espérance;
Mon cœur aura bâti sur ses attraits naissants,
Et cru la mitonner pour moi durant treize ans,
Afin qu'un jeune fou dont elle s'amourache

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L'ÉCOLE DES FEMMES, ACTE IV, SCÈNE II 59 Me la vienne enlever jusque sous la moustache, Lorsqu'elle est avec moi mariée à demi!

Non, parbleu non, parbleu! Petit sot, mon ami,
Vous aurez beau tourner, ou j'y perdrai mes peines...
Ou je rendrai, ma foi, vos espérances vaines,
Et de moi tout à fait vous ne vous rirez point.

SCÈNE II

UN NOTAIRE, ARNOLPHE.

LE NOTAIRE.

Ah! le voilà! Bonjour. Me voici tout à point
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.
ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre
le notaire.

Comment faire?

LE NOTAIRE.

Il le faut dans la forme ordinaire'

ARNOLPHE, se croyant seul.

mes précautions je veux songer de près.

LE NOTAIRE.

Je ne passerai rien contre vos intérêts.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Il se faut garantir de toutes les surprises.

LE NOTAIRE.

Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises.
Il ne vous faudra point, de peur d'être déçu,
Quittancer le contrat que vous n'ayez reçu.

ARNOLPHE, se croyant seul.

J'ai peur, si je vais faire éclater quelque chose,
Que de cet incident par la ville on ne cause.

LE NOTAIRE.

Eh bien, il est aisé d'empêcher cet éclat,
Et l'on peut en secret faire votre contrat.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte?
LE NOTAIRE.

Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.

LE NOTAIRE.

On peut avantager une femme en ce cas.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Quel traitement lui faire en pareille aventure?

LE NOTAIRE.

L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers du dot qu'il a; mais cet ordre n'est rien,
Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.

ARNOLPHE, se croyant seul.

Si...

(Il aperçoit le notaire.)

LE NOTAIRE.

Pour le préciput, il les regarde ensemble: Je dis que le futur peut, comme bon lui semble, Douer la future.

ARNOLPHE.

Eh?

LE NOTAIRE.

Il peut l'avantager

Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger:
Et cela par douaire, ou préfix qu'on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle.

Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs;
Ou coutumier, selon les différents vouloirs;
Ou par donation dans le contrat formelle,
Qu'on fait ou pure ou simple, ou qu'on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos? Est-ce qu'on parle en fat,
Et que l'on ne sait pas les formes d'un contrat?
Qui me les apprendra? Personne, je présume.
Sais-je pas qu'étant joints on est par la coutume
Communs en meubles, biens, immeubles et conquêts,
A moins que par un acte on y renonce exprès?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communauté pour...

ARNOLPHE.

Oui, c'est chose sûre,

Vous savez tout cela; mais qui vous en dit mot?

LE NOTAIRE.

Vous; qui me prétendez faire passer pour sot,
En me haussant l'épaule et faisant la grimace.

ARNOLPHE.

La peste soit fait l'homme, et sa chienne de face t
Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.

LE NOTAIRE.

Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir?
ARNOLPHE.

Oui, je vous ai mandé; mais la chose est remise,
Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Voyez quel diable d'homme avec son entretien !
LE NOTAIRE, seul.

Je pense qu'il en tient, et je crois penser bien.

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