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même date que l'hésitation entre deux attitudes visà-vis des personnes, une forme d'adaptation proprement sociale: l'imitation (1).

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§ II. Les philosophes ont reconnu tardivement à l'imitation la place qui lui revenait dans la psychologie, tant individuelle que sociale. Mais la réparation a été éclatante, peut-être même excessive. N'y a-t-il pas abus, par exemple, à voir dans l'imitation un des trois cas de la « répétition universelle », les deux autres étant l'ondulation et la génération (2) ? Trouverons-nous même, avec M. Baldwin, le type de l'imitation dans la répétition des processus physiologiques qui est, avons-nous dit, à la base de l'adaption organique (3)? Pour éviter toute fausse analogie, nous emploierons le mot imitation au sens courant de répétition consciente d'un phénomène extérieur (4).

(1) PREYER (ouvr. cité, p. 185) a cru remarquer chez son enfant une imitation de la protrusion (Zuspitzen) des lèvres à la fin de la 15 semaine. Mais il avoue n'avoir pu réussir une nouvelle expérience et n'avoir constaté l'imitation avec évidence qu'après le 6a mois. EM. EGGER (Observ. sur le dévelop, de l'intell. et du lang. chez les enfants, Paris, 1879), la constate à 9 mois, ce qui, d'après mes observations, est beaucoup trop tardif. Il importe, en effet, ici, de distinguer des espèces. L'imitation vocale est très précoce. A partir de la se semaine, mon enfant se mettait régulièrement à pleurer en entendant un autre enfant pleurer; à 9 semaines, il reproduisait le son « rrreu » que sa mère, à dessein, prononçait devant lui à la façon des enfants; à 12 semaines, il répondait régulièrement au sourire par le sourire.

(2) TARDE. Lois de l'imitation, 2° éd., Paris, 1895, chap. I.

(3) BALDWIN, ouvr. cité, p. 237 et suiv. L'auteur reconnaît (p. 251, note) que l'emploi qu'il fait du mot imitation est large et criticable et s'excuse de n'en pas trouver de meilleur. Mais il y a, semble-t-il, plus d'inconvénients que d'avantages à appliquer à la biologie une expression qui implique si clairement un élément représentatif. Cf. du même. Imitation, a chapter in the natural History of Consciousness, (Mind, janv. 94).

(4) Nous aurons plus loin (chap. 9), à propos de l'origine sociale de la croyance, à déterminer plus exactement la nature de l'imitation et notamment ses rapports avec la suggestion.

§ 12.

Aucun psychologue de l'enfance n'a, que nous sachions, attaché d'importance à ce fait que l'enfant commence par s'imiter lui-même. Les mouvements symétriques des bras et les mouvements symétriques ou alternatifs des jambes, par lesquels se dépense son énergie surabondante, se répètent exactement comme les ondulations d'un corps vibrant. Ce processus, rigoureusement conforme à la loi des réactions circulaires, est sans doute, à l'origine, indépendant de toute conscience. Mais il suffit d'observer un enfant qu'on vient de démaillotter pour se rendre compte qu'il prend bien vite à ces mouvements rythmiques un très vif plaisir. Il est bien vraisemblable, en effet, que, pour l'enfant, les mouvements rythmiques sont les plus aisés, puisqu'ils dessinent, dès la première répétition, une habitude naissante. Pour l'adulte même, ces mouvements resteront, sous forme de danse, de marche, de natation, etc., les mieux appropriés à la dépense désintéressée de l'excès d'énergie diffuse.

Le ramage de l'enfant ne tarde pas à lui fournir une joie nouvelle (1); car, en même temps qu'il joue avec ses cordes vocales, l'enfant s'entend, et bientôt il s'écoute avec le plus évident plaisir; sans se lasser, il se berce lui-même au bruit d'interminables « é-é-é, gue-gue-gue. » (2) Cette imitation de sa propre voix est, pour l'enfant, un exercice très efficace qui le

(1) Cf. J. SULLY, Etudes sur l'enfance, trad. fr. de A. Monod, p. 193. (2) EM. EGGER, (ouvr. cité, p. 23), Paris, 1898, remarque, et j'ai observé moi-même, que, durant les premiers mois, la voix des enfants n'est nullement caractérisée par un timbre individuel. Elle n'est qu'un cri plus ou moins intense. Mais, vers l'àge de six mois, la voix s'articule et prend un timbre personnel de plus en plus riche en nuances expressives. C'est précisément à cette époque que l'enfant commence à s'écouter et à prolonger son ramage pour le plaisir évident d'amuser ses propres oreilles.

prépare à d'autres imitations moins égoïstes. Car il n'a, à cette période de son développement, aucune idée de son unité personnelle, et le son de sa voix est, en quelque sorte, pour son oreille, un agent extérieur comme la voix de sa nourrice. Ainsi l'éducation de son attention le dispose promptement à prêter l'oreille à tous les bruits répétés, tic-tac de la montre, sonnerie du coucou, jappements du chien, chant du serin, et surtout au langage volontairement enfantin, et constellé de répétitions que lui adressent instinctivement les personnes qui s'occupent de lui : bébé, nounou, mimi, etc. Les premiers mots des enfants sont toujours des répétitions: papa, maman. Les noms mème que l'on prononce correctement devant eux poule, coq, Hélène, deviennent invariablement dans leur bouche: pou-poule, co-co, nenène. Bref, la répétition vocale nous paraît, non pas l'unique, mais la plus utile des imitations qui révèlent à l'enfant la réalité extérieure du modèle qu'il imite. En effet, il reproduit d'abord indifféremment les sons de sa voix et les sons étrangers répétés. Mais ces derniers ne se reproduisent pas au gré de l'enfant, et lui-même n'arrive à les reproduire qu'après de longs essais. Il y a dès lors conflit entre les sons qui se reproduisent spontanément et sans effort, et ceux qui varient de timbre, d'intensité et ne sont imités. qu'au prix d'un effort; de là un dédoublement de l'attention, dirigée tantòt vers une excitation d'origine interne, tantôt vers une cause extérieure de plaisir.

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§ 13. Et l'on peut en dire autant des autres réactions. Il y a des mouvements réguliers liés au besoin de dépenser l'énergie d'excès, et dont l'effet en retour est toujours également agréable; tels sont les mouvements des jambes délivrées du maillot. D'autres, au

contraire, trouvant hors d'eux un modèle qui peut ètre variable et passager, sont difficiles à reproduire ; par exemple les mouvements du père traçant un dessin sous les yeux de l'enfant (1). L'imitation est précisément un essai de fixer le geste variable du modèle, de renouveler cette attitude disparue, et de reproduire ainsi, avec un succédané de l'excitation, un succédané du plaisir obtenu. Ici encore, la sélection se fait plus ou moins vite, à coups d'ébauches maladroites, jusqu'au moment où la réussite cristallise en habitudes plus ou moins durables et en attention définie un processus moteur, d'abord indécis et mal localisé (2).

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§ 14. L'imitation a donc cet effet, pour nous capital, d'introduire une différenciation, d'abord toute motrice, et plus tard consciente, entre les réactions dont l'enfant trouve en lui-même le modèle, et celles qui se façonnent sur d'autres exemples. Progrès dont il est difficile d'exagérer les conséquences. D'abord, il met l'enfant en mesure de distinguer efficacement les personnes des choses. Les choses sont, en

(1) Cf, sur les dessins des enfants, les intéressantes observations de BALDWIN, (ouvr. cité, p. 75 et suiv.), et de J. SULLY, ouvr. cité, « L'évolution du dessin chez l'enfant, écrit ce dernier, a de frap» pantes analogies avec l'évolution organique : c'est évidemment » un passage du vague et de l'indéfini au défini, un procédé de » spécialisation graduelle ». (P. 526).

(2) Il va sans dire que chez, le sourd-muet, l'imitation visuelle s'établit directement, sans le concours de l'ouïe. Mais la formation de l'attention visuelle, si précoce chez ces sujets, avec le concours de l'attention tactile, explique aisément que le sens social ne semble pas chez eux beaucoup en retard sur celui des voyants. Notons, d'ailleurs, que les sujets observés ont reçu, en général, de très bonne heure une éducation spéciale et systématique des sens. Cf. PREYER, ouvr. cité, p. 241 et suiv., et HOFFDING, Ouvr. cité, p 229.

général, silencieuses et immobiles. Leurs bruits ou leurs mouvements sont d'une imitation difficile ou peu amusante; et, d'ailleurs, c'est par l'intermédiaire des personnes que, le plus souvent, l'enfant jouit ou påtit du contact des choses. Les personnes, au contraire, constituent pour lui une classe très nettement tranchée d'excitations comportant des imitations possibles et particulièrement intéressantes.

Ajoutons que cette instinctive copie suscite, dans la conscience, un élément nouveau de joie et de souffrance, qui est l'émotion sympathique. Il est déjà vrai de l'enfant, comme il le sera de l'adulte hypnotisé, que diriger son attention sur une attitude, c'est lui suggérer l'émotion que cette attitude exprime (1). Car, une fois de plus, le choc en retour de la réaction détermine une stimulation interne, qui, à son tour, accentue et précise la réaction. Rire et chanter comme papa, c'est, à bref délai, oublier la faim, le chagrin et se sentir joyeux.

On se rend compte ainsi sans peine de certaines imitations, à première vue, inexplicables. Pourquoi l'enfant, dès le quatrième mois, répond-il au sourire par le sourire? (2) Il ne semble pas y avoir ici imitation directe, comme dans le cas du chant ou des mouvements du bras, car l'enfant ignore évidemment la ressemblance de son sourire avec celui qu'il perçoit.

(1) Cf. SPINOZA, Ethique, III, prop. 27: «Par cela seul que nous >> nous représentons un objet qui nous est semblable comme affecté >> d'une certaine passion, bien que cet objet ne nous en ait jamais fait >> éprouver aucune autre, nous ressentons une passion semblable à » la sienne. >>

(2) Le sourire apparait chez l'enfant dès la deuxième semaine. Mais il n'est longtemps qu'une réaction spontanée, provenant du bien-être général de l'organisme, et nullement un signe volontaire. - Voir à ce sujet les observations précises de PREYER, ouvr. cité, p. 193 et suiv.

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