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l'organisme au prolongement ou au renouvellement de la réaction agréable. (1) En d'autres termes, pour ces deux représentants de l'évolutionisme, le plaisir présiderait à la cristallisation de l'adaptation accidentelle en habitude durable.

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§ 8. On a objecté à cette théorie (2) qu'elle expose l'organisme à un risque par trop considérable. Il n'est guère, en effet, de stimulants invariables, et les changements d'un milieu instable menacent à tout instant de détruire l'adaptation avant le retour du stimulant corrélatif. Mais l'objection nous semble, sinon détruite, du moins très atténuée, si l'on songe que la variabilité du milieu est, en fait, très relative, et nous verrons plus tard à quel point cette constance relative du milieu est importante pour l'explication du jugement. Il faut, d'autre part, noter ce fait, tout en faveur de la thèse spencérienne, que les organes les plus rudimentaires, en l'absence des excitations propres à les ébranler, demeurent dans un état de vie sourde et de mort apparente, qui leur permet de se réserver jusqu'au retour du stimulant favorable. Certaines bactéries se conservent indéfiniment à l'ombre pour se raviver au premier rayon de soleil.

Mais l'intervention de la loi du plaisir prète à des critiques autrement graves. Tout d'abord cet élément d'explication a l'inconvénient de ne convenir qu'aux organismes très développés; car, ou les mots de plaisir et de douleur ne veulent rien dire, ou ils désignent, avec toutes les atténuations qu'on voudra, un état psychique conscient. L'explication ne vaut donc

(1) Ouvr. cité, p. 309.

(2) BALDWIN, ouvr. cité, p. 161.

que pour les organismes doués d'un système nerveux central. D'autre part, comment peut-on, même chez ces derniers, supposer que le plaisir résultera d'un stimulus accidentel ? Une dilatation, une contraction, n'est pas par elle-même agréable ou pénible. Elle ne l'est qu'en tant qu'elle satisfait ou contrarie une disposition antérieure, une habitude primordiale, un besoin. L'oxygène, les sucs nutritifs, la lumière ne provoquent pas dans les bactéries ou dans les plantes des mouvements quelconques, mais des mouvements nécessaires à la vie, et c'est à cet accroissement de vitalité au centre de l'organisme qu'on peut intelligiblement attribuer l'accroissement de la décharge motrice. Les mouvements qui résultent de cette décharge se trouvent, à leur tour, utiles ou nuisibles; et la sélection fonctionnelle, l'adaptation, est la résultante de cette série de décharges favorisées ou contrariées. Sans doute, le plaisir peut, ultérieurement, chez les vivants conscients, devenir un sous-agent de sélection, parce qu'il est en général le signe de la dépense normale et utile, comme la douleur est le signe de la dépense insuffisante, excessive ou nuisible. Mais c'est là un développement tardif, qui suppose avant lui l'existence, en elle-mème inexpliquée, - des premières « réactions circulaires » indisdispensables à la vie. Tout ce qu'on peut concéder à Spencer et à Bain, c'est que suivant l'heureuse expression de M. Baldwin, « toute excitation qui accroît la >> vitalité donne une base organique au plaisir, » c'està-dire crée, dans la vie organique, le corrélatif de ce qui sera, dans la vie psychique, la conscience du plaisir.

En d'autres termes, les excitations du milieu externe peuvent être accidentelles; mais les réponses qu'y fait l'organisme ne le sont pas et ont pour condi

tion une première aptitude défensive, et mème, ainsi que nous l'avons vu plus haut, une capacité de sélection discriminative qui permet de choisir, parmi les stimulants, ceux auxquels il lui est le plus utile de répondre. Un individu ou une race, à quelque moment de l'évolution qu'on les considère, ne peuvent s'adapter à une modification du milieu qu'à la condition d'ètre déjà, dans la mesure que nous venons d'indiquer, accommodés à ce milieu. Dans le conflit avec un milieu nouveau, ceux-là survivront dont les réactions circulaires favoriseront le mieux le retour des excitations utiles et repousseront les contacts les plus dangereux.

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$9. Malgré cette correction, il reste de l'hypothèse évolutioniste une conception féconde qu'il nous faut retenir, et dont nous aurons le plus grand profit à tirer celle de la réaction d'excès. Les excitations utiles provoquent dans l'organisme une décharge diffuse qui déborde, en quelque sorte, la satisfaction immédiate que le vivant en éprouve. Cette loi d'accroissement se réalise sous nos yeux d'une façon saisissante. Chez tous les vivants, l'accroissement de vitalité engendre des réactions motrices plus riches, qui, à leur tour, multiplient la vitalité. Tout ce qu'on demande, c'est d'étendre aux organismes les plus simples ce pouvoir de féconde initiative qui, greffé sur la tige solide de l'habitude, va permettre à l'organisme de pousser vers le monde extérieur, comme autant de rameaux vigoureux, de nouvelles adaptations.

CHAPITRE III

L'ADAPTATION MOTRICE SIMPLE

I. L'ANIMAL ET L'ENFANT

§ I. Les deux chapitres qui précèdent ont. établi les principes généraux que nous croyons nécessaires à l'explication générale du jugement. Nous avons cru trouver, à l'origine mème de la vie, un processus circulaire caractérisé par la double tendance à perpétuer les excitations vitales et à répondre, avec un excès d'énergie, aux excitations. les plus favorables au vivant. Il s'agit maintenant de suivre jusqu'au terme de notre recherche les conséquences de ces prémisses.

Est-ce à dire que nous devions rechercher les traces de l'adaptation à travers toute la série animale, en allant « des plus simples aux plus composés », des infusoires à l'homme? Pareille méthode serait, croyons-nous, sans profit. Nous ignorons, en fait, s'il y a une série animale, et nous n'avons aucune donnée certaine sur les antécédents biologiques de notre race. Nous observons, entre les espèces, bien moins une séquence qu'un parallélisme. En revan

che, le développement de l'individu, de la période embryonnaire à l'âge adulte, est une histoire progressive dans laquelle nous pouvons distinguer des chapitres; et c'est ce devenir que nous pouvons retracer, en nous aidant d'ailleurs des données fournies par la psychologie comparée.

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§ 2. Ici dernière pose, cependant, une question préalable. Le jugement complet est un acte conscient; or la réaction circulaire que nous avons décrite ci-dessus ne décèle pas la présence évidente d'une vie psychique, et seule une hypothèse métaphysique peut poursuivre jusqu'à la cellule le parallélisme des processus psychiques et physiologiques. Allons-nous donc, au cours de notre développement, découvrir soudainement la conscience, comme une lampe dont la clarté inonde toutà-coup les ténèbres? Et si nous ne le faisons, si nous prolongeons indéfiniment l'explication physiologique sans tenir compte des premiers symptômes de vie intérieure, ne nous exposerons-nous pas à rester jusqu'au bout en dehors mème de cette vie psychique dont l'affirmation est peut-être la fonction essentielle? Il est, sans doute, impossible de lever entièrement cette difficulté, désespoir du psychologue. Mais peutètre sera-t-elle amoindrie par la distinction suivante. Oui, à un moment relativement précis, et d'ailleurs très précoce, de l'évolution de l'enfant, nous aurons à noter l'apparition d'une connaissance distincte de luimème, c'est-à-dire le clair éveil d'une conscience qui saisit son unité. Mais nous éviterons de faire intervenir ce deus ex machina tant que la réaction circulaire nous paraîtra se suffire à elle-mème. C'est ainsi qu'il nous semble prématuré d'expliquer les mouvements du foetus par l'effort de l'organisme pour se défaire de

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