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olfactives, qui semblaient se fondre dans le courant des impressions vitales, les excitations lumineuses constituent pour l'enfant une classe spéciale d'impressions distinctes de la cœnesthésie, du jour où il tourne régulièrement la tête vers la lumière et fixe avec prédilection les objets brillants. Car sur l'arrière-fond obscur de ses réactions vasomotrices, digestives, respiratoires, se détachent en clair relief, non plus seulement un, mais deux états vifs, contemporains, l'un musculaire, l'autre visuel. De ce jour donc, on peut affirmer qu'il saisit, par le dedans, à la fois une succession et une simultanéité, et qu'il a rompu ainsi avec la monotonie du rythme des premières impressions.

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§ 6. Un autre indice nous révèle ici l'éveil de la conscience. Les premières impressions du nouveau-né sont franchement utilitaires. Elle satisfont les besoins immédiatement impérieux d'un organisme tout constitué. Au contraire, l'adaptation visuelle est déjà, dans son existence, un surcroît à la rigueur inutile, un luxe. Elle ne satisfait plus un besoin, elle cause simplement un plaisir. Le plaisir, tel est donc le premier élément de l'adaptation consciente. Nous retrouverons cet élément dans les plus hautes adaptations de l'esprit, dans le jugement le plus abstrait.

Il faut donc bien se résoudre à reconnaître, à un moment donné, l'existence du processus conscient. Ce coup d'Etat, sans doute, coûte au psychologue. Mais reconnaître n'est pas introduire. C'est, au contraire, un prudent aveu d'ignorance que d'attendre l'apparition d'un signe décisif pour tenir compte d'un facteur nouveau, dont le métaphysicien peut, d'ailleurs, faire remonter aussi haut qu'il voudra le rôle biologique. Au reste, si mystérieux que soit l'éveil d'une vie inté

rieure au sein de phénomènes biologiques qui ne tarderont pas à en subir l'influence, n'oublions pas que nous avons rencontré déjà l'analogue du processus double, plaisir-douleur, dans les réactions d'expansion et de retrait, et jusque dans l'opposition des muscles d'extension et de contraction. Le plaisir est le signe constant des processus physiologiques favorables à l'exercice normal de la fonction; la douleur dénonce les processus physiologiques hostiles à la fonction. Le rapprochement est trop banal pour que nous insistions. Tout ce qu'il importe d'en retenir, c'est la subordination des deux processus, musculaire et émotif, à la loi d'excès. Non seulement le plaisir n'apparait que là où il y a dépense normale d'une énergie d'excès, mais, comme toute réaction heureuse, il produit une exaltation de l'énergie centrale, et, par là, favorise le retour des accommodations de l'organisme aux excitations favorables. Il est à la fois signe et source de dépense efficace, effet et cause du bien-être (1).

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§ 7. L'éveil, une fois constaté, de la conscience du plaisir et de la douleur est le signal d'adaptations infiniment plus variées et plus efficaces.

Un enfant de quatre à cinq mois aperçoit un objet brillant, par exemple, un hochet garni de grelots d'argent poli. Il s'en empare et l'agite. Ce cas d'adaptation est

(1) Il n'y a pas lieu ici de discuter la nature et le rôle biologique du plaisir et de la douleur. Dans les organismes supérieurs, des adaptations compliquées peuvent modifier et, en un sens, corrompre si bien tel sens particulier, que celui-ci recherche des satisfactions nuisibles à l'ensemble (alcoolisme, morphinomanie, érotomanie, etc.). Mais on peut soutenir que, même ainsi dépravé, chaque sens recherche le bien qui lui est propre, et Malebranche avait raison de dire qu'en un sens le pécheur lui-même cherche un aspect du bien absolu et tend à se rapprocher de Dieu. (Recherche de la Vérité, livre IV, chap. 1, § 4.).

beaucoup plus complexe déjà que l'accommodation de l'œil. I suppose l'entrée en exercice d'un appareil moteur tout à fait distinct de l'appareil visuel. Aussi ne saurait-on admettre que l'enfant s'élèvera d'emblée à cette opération difficile. Or un très grand nombre de mouvements des membres supérieurs se sont déjà trouvés associés accidentellement à des impressions visuelles vives et agréables, notamment la vue et le toucher du biberon ou du sein de la nourrice. Nous ne pouvons donc, ici encore, prétendre décrire un commencement absolu. Contentons-nous d'examiner le fait à la lumière de notre théorie. Nous trouvons :

1o) Une excitation visuelle vive et plaisante; 2o) Une réaction diffuse d'autant plus vive que l'excitation est plus agréable;

3o) Une dérivation de cette énergie d'excès dans les canaux déjà tracés par d'anciennes réactions heureuses (ici l'habitude motrice des membres antérieurs); d'où rencontre de l'objet ;

4o Une excitation tactile agréable (plaisir du contact d'un objet poli);

5o Une nouvelle réaction diffuse particulièrement répartie dans les bras en vertu des habitudes déjà acquises; appréhension de l'objet ;

6o Excitation musculaire agréable (plaisir de l'effort facile);

70 Réaction diffuse : l'enfant agite le hochet;

80 Modification dans l'impression visuelle (plaisir du changement) et, si le hochet porte des grelots, vive excitation auditive;

9o Réaction diffuse générale : l'enfant trépigne, crie ; circulation rapide, respiration plus active, etc.

§ 8. Pour détaillé que soit ce tableau, on pourra le trouver incomplet. Ne manque-t-il pas, entre les

moments 2 et 3, un intermédiaire, le plus important même, à savoir le lien psychique qui rattache le mouvement du bras à la sensation visuelle ? C'est précisément ce lien que Bain, Spencer et bien d'autres encore ont cherché dans l'association. Quoi de plus simple en apparence? Grâce à des accidents heureux, certains mouvements antérieurs (par exemple une contraction des muscles du bras et de la main) ont procuré une sensation agréable (par exemple le bruit du hochet ou son déplacement dans le champ visuel). Le souvenir de ce plaisir s'associe, dans la conscience, à la fois au souvenir du mouvement qui l'a provoqué, et au souvenir des circonstances extérieures (vue du hochet) où il s'est produit. Le retour de ces circonstances suggère à l'individu la réédition du mouvement, et la répétition de ce processus fixe solidement cette adaptation nouvelle sous forme d'habitude.

Cette interprétation ne nous paraît pas exacte. Elle a d'abord l'inconvénient de faire intervenir prématurément un état psychique complexe, le souvenir, dont on ne peut, à l'aube de la vie intérieure, se faire une idée vraiment claire. Cn ne peut guère admetttre que, chez l'enfant de cinq mois, un mouvement musculaire s'effectue en vertu de la représentation intérieure de ce mouvement et du plaisir qui pourra en résulter. Pense-t-on, par exemple, que le chant de la nourrice provoque l'idée du sommeil, ou même que la vue du hochet rappelle le souvenir du son argentin des clochettes et celui du mouvement propre à saisir et à agiter le hochet? D'autre part, ainsi que le remarque justement M. Baldwin (1), le plaisir n'est pas, dans l'espèce, attaché au mouvement même de préhension, mais aux modifications organiques internes

(1) Ouvr. cité, p. 163 et suiv.

dont ce mouvement n'est que l'antécédent ou le conséquent. Bien plus, le mouvement peut faire défaut sans que le plaisir soit modifié. C'est ainsi que l'enfant pourra manifester le mème plaisir si on lui met le hochet dans la main ou si on l'agite devant lui. On ne conçoit guère, dès lors, que le souvenir d'un mouvement, qui n'a été qu'un incident dans l'ensemble du processus, réussisse à lier invariablement certaines perceptions à des réactions invariables.

L'objection est plus frappante encore si l'on examine le fait sous son aspect négatif, c'est-à-dire la réaction produite par la douleur. On connaît le « schème » classique de Meynert. Un enfant approche son doigt de la flamme d'une bougie; il le retire, et, si une expérience n'a pas suffi, il ne faudra pas la renouveler souvent pour lui apprendre à se méfier du feu. Mais le résultat sera le même si la douleur ne provient pas d'un mouvement, si, par exemple, c'est la bougie qui est tombée sur la main de l'enfant. L'enfant apprend ainsi très vite à détourner la tête pour éviter la cuiller pleine d'un remède amer. On ne saurait évidemment, en ce cas, expliquer l'adaptation sensori-motrice par l'association qui se produirait entre le souvenir d'un mouvement accidentel et celui d'une réaction agréable ou pénible.

$9. L'explication est très simple, au contraire, si l'on se contente de recourir au principe de l'excès moteur, complété par la loi des effets dynamiques du plaisir et de la douleur. En effet, ce ne sont pas des mouvements quelconques qui procurent plaisir ou douleur; ce sont ceux qui ont pour l'organisme une signification favorable ou hostile, parce qu'ils créent entre lui et le milieu une relation utile ou malfaisante. Nous pouvons donc redire ici,

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