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sans modification essentielle, ce que nous énoncions déjà à propos de la cellule : les mouvements d'expansion, caractérisés maintenant par le plaisir, accroissent les processus centraux et tendent à renouveler les excitations favorables à l'organisme. Parmi les décharges motrices, multiples et variées, que provoque le plaisir, celles-là seules tendront donc à la répétition qui ont réussi à hâter le retour de la sensation. L'enfant tend les bras vers son hochet, non pas parce qu'il se souvient du geste qu'il convient d'accomplir pour le saisir, mais parce que le succès d'un geste antérieur de préhension dérive de préférence vers les membres antérieurs l'énergie d'excès mise en liberté par une sensation visuelle agréable. Et la douleur suscite le processus inverse. Malgré l'apparente énergie des réactions diffuses qu'elle engendre, elle produit, dans les profondeurs de l'organisme, le repliement des forces d'excès en une attitude de réserve et de défense, et favorise ainsi les seules réactions qui éloignent ou raréfient l'excitation.

On peut ici noter, en passant, l'exagération de la thèse poétique qui fait de la douleur l'éducatrice du genre humain et l'ouvrière impitoyable du progrès. On connait les vers sombres de Virgile:

« Pater ipse colendi

» Haud facilem esse viam voluit, primusque per artem >> Movit agros, curis acuens mortalia corda,

» Nec torpere gravi passus sua regna veterno. » (1).

En fait, l'enseignement de la douleur est purement négatif. Un être qui n'éprouverait du besoin que l'angoisse et la peine ne tarderait pas, après des soubresauts confus, à tomber dans une inerte apathie,

(1) Géorgiques, I, 121-124.

présage de mort à brève échéance. Seul, le plaisir, au sens large du mot, est l'aiguillon de l'effort créateur, car c'est lui qui donne son sens à la douleur même et la justifie quand elle est consentie ou voulue.

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§ 10. En résumé, l'adaptation sensori-motrice nous a paru se ramener au processus suivant : sur un fond d'habitudes héréditaires, ou acquises durant les toutes premières semaines, certains états conscients complexes, agréables ou pénibles, ont dessiné des tendances nouvelles propres à assurer des relations utiles entre l'organisme psycho-physiologique et un milieu plus ample et plus riche en sources d'émotions. Dans ce travail de différenciation, nous retrouvons la confirmation du rapport reconnu plus haut, entre l'habitude et l'adaptation, celle-ci grossissant infatigablement les réserves de la première. Quant à la conscience, nous ne lui avons reconnu encore qu'un pouvoir affectif et dynamique : le plaisir fortifie l'énergie de l'excès moteur et en précise la puissance de sélection. On peut, pour marquer la coïncidence de cet exposé avec d'autres théories, donner le nom d'attention primaire, ou d'attention réflexe, à ce premier acte de conscience lié à un processus sensorimoteur. Avec l'attention secondaire et la représentation, nous allons parcourir une nouvelle et importante étape.

CHAPITRE V

L'ADAPTATION IDÉO-MOTRICE

§ I.

Nous n'avons encore aperçu dans la conscience qu'un écho de l'excitation dont le retentissement, semblable au retour des ondes sonores réfléchies, reprend le chemin parcouru et réagit sur l'excitation même. Muni de ce pouvoir, le vivant est, sans doute, capable déjà d'adaptations utiles et complexes. Riche d'habitudes tout organiques, dont le plaisir et la peine ont déterminé la sélection, il est capable de se prêter ou de se refuser aux excitations déjà éprouvées. Mais nous ne tardons pas à constater que l'accommodation se produit, non plus seulement en vertu du caractère directement utile ou nuisible de certaines sensations actuelles, mais en vertu de sensations passées, plus ou moins neutralisées ou contrariées par les sensations présentes. Lorsque l'enfant de cinq mois manifeste de la colère à la vue de la bougie qui l'a brûlé, de la joie en apercevant son biberon ou sa nourrice, il est évident que la qualité propre de la sensation visuelle ne suffit plus à expliquer l'émotion; car la vue du biberon ou de la nourrice n'est plaisante qu'à titre de promesse d'une jouissance, et la vue de la bougie,

naguère agréable, n'exciterait pas la colère si elle n'était interprétée comme une menace. L'attention de l'enfant dépasse donc manifestement la sensation présente pour s'appliquer à un état possible, par l'intermédiaire de l'image actuelle d'un état passé. Nous assistons ainsi à l'éveil de fonctions nouvelles l'attention secondaire, la reconnaissance, l'association des idées. Et qu'on ne s'étonne pas de cette soudaine entrée en scène de trois « facultés ». C'est, en fait, un processus unique, bien qu'incomparablement plus complexe, qui se dégage ici de la vie affective et motrice.

I. CONDITIONS DE CE PROGRÈS

Quelles sont d'abord les conditions physiques et nerveuses de ce progrès ?

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§ 2. Nous retrouvons ici une condition extérieure, commune à la vie physiologique et à l'activité mentale. Une certaine constance du milieu est, disions-nous, avec une certaine variété, requise par la réaction circulaire essentielle à la vie. Un développement mental, de mème, est inconcevable au sein du pur devenir ou de la permanence absolue. La synthèse mentale serait impossible dans un univers rigide, faute de diversité, et dans un univers absolument instable, faute d'unité. Cette synthèse de l'un et du divers se réalise dans le milieu ambiant par la répétition des excitations.

§ 3. Pour exposer en détail les conditions nerveuses du progrès mental qui va nous

occu

per, il faudrait reprendre ici les discussions engagées récemment sur la base physiologique de la mémoire et de l'association des idées. Il suffit à notre sujet de constater que, de l'aveu de tous les psycho-physiologistes, le processus nerveux de la mémoire n'est que la reproduction du processus nerveux impliqué par la sensation, de sorte que la loi énoncée à propos de la réaction circulaire se vérifiera de nouveau : le processus, une fois commencé, tendra, sauf empèchement, à se reproduire tout entier et à provoquer la même réaction que la sensation; seulement, le point de départ de la réaction circulaire se trouve transporté du monde extérieur au cerveau. De sorte que, si une cause purement interne excite les centres cérébraux, la réaction motrice se produira semblable à la première, et cette similitude ira croissant à mesure que l'habitude fixera plus fortement le processus dans la masse

nerveuse.

Ces causes internes de réaction se trouvent, selon toute vraisemblance, dans les liaisons subcorticales établies par les fibres pyramidales, qui sont comme la base biologique de l'association des idées (1). On est d'accord pour admettre qu'un nombre considérable de fibres d'association peuvent relier entre eux les processus sensoriels et moteurs. Nous avons déjà rencontré, à propos de la réaction sensori-motrice, un cas simple d'association nerveuse chez l'enfant qui s'est brùlé, la vue de la bougie est organiquement associée avec un mouvement de retrait, sans que l'intermédiaire originel, l'excitation douloureuse, ait besoin de se renouveler. Grâce à cette pre

(1) V. ci-dessus, chap. iv, p. 74-75. Cf. Année Psychologique, 1894, p. 257 et suiv. et Zeitschrift für Psychol. u. Physiol. der Sinnesorgane, I, p. 428 et suiv.

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