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Province

de Kiang-nan.

s'eft trouvé trop étroit, & l'on a été obligé d'établir un bac à trente pas plus loin, qui fuffit à peine à l'affluence des paffagers, quoique cette traversée ne foit que de vingt pas.

Les habitans de cette ville paffent pour très-voluptueux; ils font le commerce de femmes ; ils élevent avec foin un certain nombre de jeunes filles, auxquelles ils font apprendre à chanter, à peindre, à jouer des inftrumens, & tous les exercices propres à leur sexe; ils les vendent enfuite fort cher à de grands Seigneurs, qui les mettent au rang de leurs concubines (*

Ngan-king-fou est la capitale de la partie occidentale de la province; la fituation en est charmante; elle a un Vice-Roi particulier, qui y tient une groffe garnifon dans un fort bâti fur les bords du fleuve Yang-tfe-kiang. Cette ville est très-confidérable par fon commerce & par fes richesses; c'est le paffage de tout ce qui vient du midi de la Chine à Nan-king : tout le pays qui en dépend eft uni,

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(*) Yang-tcheou où nous paffâmes, dit le même Miffionnaire que nous avons cité en parlant de Nan-king, » eft auffi une des plus belles & des plus grandes » villes que nous ayons vues. Les Fermiers du fel y ont bâti pour l'Empereur une » maison de plaisance qui surprend d'autant plus, que jufqu'alors on n'a rien vu qui la vaille; c'eft la copie de Hai-tien, autre maison de campagne à deux lieues » de Pe-king, où l'Empereur demeure ordinairement. La maison de plaifance d'Yang-tcheou occupe plus de terrein que la ville de Rennes; c'eft un amas de » monticules & de rochers qu'on a élevés à la main ; de vallons, de canaux, tantôt » larges, tantôt étroits, tantôt bordés de pierres de taille, tantôt de roches » ruftiques femées au hafard; d'une foule de bâtimens, tous différens les uns des » autres, de falles, de cours, de galeries ouvertes & fermées, de jardins, de » parterres, de cafcades, de ponts bien faits, de pavillons, de bofquets, d'arcs de triomphe. Chaque morceau n'eft que joli & de bon goût; mais c'est la multiplicité des objets qui frappe, & qui fait dire à la fin : Voilà une demeure » pour un bien grend Maître ! «

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agréable & fertile. Elle n'a dans fon reffort que fix villes du troisieme ordre.

Hoei-tcheou eft la ville la plus méridionale de la province, & l'une des plus riches de l'Empire; le peuple y eft économe & fe contente de peu, mais il eft hardi & entreprenant dans le commerce: on vante fon thé, fon vernis, fon encre & ses gravures, qui font en effet les plus recherchées à la Chine. Elle a fous fa dépendance fix villes du troisieme ordre; les montagnes qui entourent ce canton renferment des mines d'or, d'argent & de cuivre.

Ning-koue-fou n'a de remarquable que fes manufactures de papier, qu'on fabrique de la substance d'une espece de roseaux. Elle a sous fa jurisdiction fix villes du troisieme ordre.

Tchi-tcheou-fou n'offre qu'un fol montueux; fa principale ressource est dans fa fituation fur le bord du Kiang. Elle a dans fon diftrict fix villes du troifieme ordre.

Tai-ping-fou eft pareillement bâtie fur le Kiang, & fes campagnes font arrofées de quantité de rivieres navigables, ce qui la rend très-opulente. Son reffort ne contient que trois villes, dont Vou-hou-hien eft la plus confidépar fes richesses.

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Fong-Yang-fou eft fituée fur une montagne qui domine le fleuve Jaune, & renferme plusieurs côteaux fertiles dans l'enceinte de fes murailles. Son reffort eft fort étendu, car il comprend dix-huit villes, dont cinq font du fecond ordre & treize du troifieme. Comme c'étoit le lieu de la naiffance de l'Empereur Hong-vou, Chef de la dynastie précédente, ce Prince conçut le deffein de la rendre célebre, & d'en faire une ville fuperbe, pour y établir le fiége de

Province de Kiang-nan.

Province

de Kiang-nan.

fon Empire. Après avoir chaffé de la Chine les Tartares Occidentaux qui s'en étoient emparés, il vint Y établir fa Cour, & nomma la ville Fong-yang, c'est-à-dire, lieu de la fplendeur de l'aigle. Son deffein, comme nous l'avons dit, étoit de l'embellir & de l'étendre ; mais l'inégalité du terrein, la difette d'eau douce, & encore plus la proximité du tombeau de fon pere, lui firent changer de réfolution. De l'avis unanime de fes principaux Officiers, ce Prince transféra sa Cour à Nan-king, lieu plus commode & plus beau. Dès qu'il eut pris fon parti, tous les ouvrages cefferent; le palais Impérial qui devoit avoir une triple enceinte, les murs auxquels on vouloit donner neuf lieues de circuit, les canaux qu'on creufoit, tout fut abandonné, excepté trois monumens qui furent achevés & qui fubfiftent encore: leur magnificence & leur grandeur donnent affez à connoître quelle eût été la beauté de cette ville, fi cet Empereur eût fuivi fon premier projet.

Le premier de ces monumens est le tombeau du de pere Hong-vou; rien ne fut épargné pour fa décoration : on le nomme Hoang-lin, ou tombeau Royal.

Le second est un donjon bâti au milieu de la ville, en forme de carré long, & qui a cent pieds de hauteur ; c'est, dit-on, le plus élevé qui foit à la Chine.

Le troisieme est un temple superbe, érigé au Dieu Fo. Ce n'étoit d'abord qu'une pagode où Hong-vou, après avoir perdu fes parens, fe retira, & où il fut admis en qualité de valet de cuifine; mais s'étant bientôt ennuyé de ce genre de vie, il s'enrôla fous l'étendard d'un Chef de bandits révoltés contre les Tartares. Comme il avoit du courage & de l'intrépidité, le Général le choifit pour fon gendre;

peu après il fut déclaré fon fucceffeur, par les fuffrages unanimes des troupes. Ce nouveau Chef, se voyant à la tête d'un gros parti, ofa porter fes vûes jufqu'au trône. Les Tartares, informés du progrès de fes armes, mirent une armée nombreuse en campagne; mais il les prévint & les attaqua fi brusquement, qu'il les obligea de prendre la fuite: ceux-ci étant revenus plufieurs fois à la charge, il les défit toujours, & ne ceffa de les poursuivre que quand il les eut entiérement chaffés de la Chine.

Auffi-tôt qu'il fut parvenu à l'Empire, il fit élever, par reconnoiffance pour les Bonzes qui l'avoient accueilli dans fa mifere, le temple fuperbe dont nous parlons; il leur affigna des revenus pour entretenir commodément jufqu'à trois cents perfonnes, fous un Chef de leur Secte qu'il constitua Mandarin, avec pouvoir de les gouverner indépendamment des Officiers de la ville.

Ce pagode s'eft foutenu tant qu'a duré la dynastie précédente; celle des Tartares Orientaux qui lui a fuccédé, l'a laiffé dépérir, & l'on n'y voit plus actuellement qu'une vingtaine de ces Prêtres d'idoles, prefque réduits à la mendicité.

Lin-tcheou-fou, qui est la derniere ville du premier ordre, n'est distinguée des autres que par la bonté de fes fruits, qui font en très-grande abondance. Son reffort eft compofé de huit villes, dont deux font du fecond ordre & fix du troisieme.

L'ifle de Tfong-ming appartient auffi à la province de Kiang-nan, dont elle n'eft féparée que par un bras de mer qui n'a pas plus de cinq ou fix lieues.

C'étoit anciennement un pays défert & fablonneux, où l'on reléguoit les bandits & les fcélérats. Les premiers qu'on

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de Kiang-nan.

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y débarqua, se mirent à cultiver la terre, pour ne pas mourir de faim. Quelques pauvres familles Chinoises s'y transplanterent enfuite, & en moins de dix ans l'ifle fut défrichée & peuplée.

Quelques endroits produisent du froment, du riz, de l'orge, du coton, des citrons, & plufieurs autres fruits assez agréables au goût; mais fon principal revenu eft le sel, qu'on y fait en fi grande quantité, que l'ifle peut en fournir à une grande partie des peuples circonvoifins : ce fel se tire d'une espece de terre grifâtre, répandue par arpens en divers cantons, & fur-tout du côté du Nord.

La maniere dont on fabrique ce sel est assez curieuse: on unit d'abord la terre comme une glace, & on l'éleve un peu en talus, afin que les eaux ne s'y arrêtent point. Quand le foleil en a féché la furface, on l'enleve & on la met en monceaux, qu'on a foin de bien battre de tous côtés; ensuite on étend cette terre fur de grandes tables un peu penchées, puis on verse deffus une certaine quantité d'eau douce, qui entraîne en s'écoulant toutes les particules de sel, dans un grand vase de terre où elle tombe goutte à goutte, par un petit canal fait exprès. Cette terre étant ainsi épurée, on la met à part, & lorfqu'elle eft feche on la réduit en pouffiere; après quoi on la répand fur le terrein d'où elle a été tirée, & au bout de quelques jours il s'y mêle, comme auparavant, une infinité de particules de fel, qu'on extrait une feconde fois & de la même maniere. Tandis que les hommes travaillent à la campagne, les femmes avec leurs enfans font bouillir les eaux falées; elles en rempliffent de grands baffins de fer, où ces eaux s'épaiffiffent & se changent peu à peu en un fel très-blanc, qu'on

remue

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