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» que viennent les contes qui fe font, que le vent y fait » aller les chariots, & que ceux de la Chine les conduisent » fur la terre avec des voiles, comme les navires fur la » mer «. Un Missionnaire François, qui traversoit la même province en 1768, paroît s'être fervi de la même voiture. » Nous quittâmes le canal, dit-il, pour aller fur des » charrettes, c'est la façon de voyager dans cette partie de » la Chine; elle eft incommode au delà de ce qu'on peut » dire; la charrette eft d'un maffif à faire peur, elle » reffemble affez bien à nos affûts de canon. Il n'y a place » que pour une perfonne, encore faut-il fouvent croifer » les jambes comme nos Tailleurs d'Europe: on y eft » fecoué horriblement; le foleil vous brûle, & la pouffiere » est quelquefois fi forte qu'elle ôte la respiration «.

PE-KING, capitale de l'Empire, est située dans une plaine très-fertile, à vingt lieues de la grande muraille; on lui donne ce nom, qui fignifie Cour du Nord, pour la diftinguer d'une autre ville confidérable appelée Nan-king, ou Cour du Midi. C'étoit dans celle-ci que l'Empereur faifoit autrefois fa réfidence; mais les Tartares, peuples inquiets & belliqueux, qui faifoient de continuelles irruptions fur les terres de l'Empire, obligerent ce Prince de transporter fa Cour dans les provinces feptentrionales, pour être plus à-portée de réprimer les courfes de ces Barbares, en leur oppofant la Milice nombreuse qu'il est dans l'ufage d'entretenir auprès de fa perfonne.

Cette capitale forme un carré régulier, & fe divife en deux villes; la premiere eft occupée par les Chinois; les Tartares habitent la feconde. Ces deux cités, prises.

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de Pe-tcheli.

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de Pe-tcheli.

enfemble, fans y comprendre les fauxbourgs
ont fix
grandes lieues de circuit, de trois mille fix cents pas cha-
cune ces mesures font exactes, & ont été prises avec
le cordeau, par ordre exprès de l'Empereur.

On admire la hauteur & l'énorme épaiffeur des murailles de la ville Tartare; douze Cavaliers peuvent s'y promener de front on y voit des tours très-spacieuses, placées de distance en distance, & à la portée de la fleche; elles font même assez vastes pour contenir des corps de réserve en cas de befoin.

Les portes de la ville, qui font au nombre de neuf, font hautes & bien voûtées; elles portent des pavillons extrêmement larges & à neuf étages, chacun percé de plufieurs fenêtres ou canonnieres; l'étage d'en bas forme une grande falle où fe retirent les Soldats & les Officiers qui fortent de garde, & ceux qui doivent les relever. On a laiffé devant chaque porte un espace de plus de trois cent foixante pieds; c'est une espece de place d'armes, entourée d'un demi - cercle de muraille, dont la hauteur & l'épaiffeur font égales au reste de l'enceinte de la ville. Le grand chemin qui y aboutit, eft dominé par un pavillon femblable au premier; de forte que fi le canon de celui-ci peut ruiner les maifons de la ville, le canon de celui-là peut battre toute la campagne voisine.

Les rues de Pe-king font droites, larges d'environ cent vingt pieds, longues d'une bonne lieue, presque toutes tirées au cordeau, & bordées de maisons marchandes.

On est étonné de voir le peuple immenfe qui remplit continuellement ces rues, & l'éternel embarras que cause la quantité prodigieuse de chevaux, de mulets, de chameaux,

de voitures, de chari, & de chaises qui fe croisent ou fe rencontrent outre cette incommodité, on eft fans ceffe arrêté par divers pelotons d'hommes, qui s'assemblent d'efpace en espace pour écouter les difeurs de bonne aventure, les joueurs de gobelets, les chanteurs, & mille autres charlatans qui lifent & racontent des histoires propres faire rire & à inspirer de la joie, ou qui diftribuent des remedes, dont ils expofent éloquemment les effets admirables. Les perfonnes de distinction fe font fuivre des gens qui leur font fubordonnés. Un Mandarin du premier ordre marche toujours accompagné de tout fon Tribunal, & pour augmenter fon cortège, chacun des Mandarins fubalternes qui le suivent, traîne ordinairement après lui plufieurs domeftiques. Les Seigneurs de la Cour & les Princes du Sang ne paroiffent en public qu'environnés d'un gros de cavalerie; & comme ils font obligés de se rendre presque tous les jours au palais, leur train fuffiroit feul pour embarraffer la ville. On doit obferver que dans ce concours prodigieux, on ne rencontre pas une femme, d'où l'on peut juger quelle eft l'étonnante population de Pe-king, puifque le nombre des femmes à la Chine ainfi que par-tout ailleurs, eft plus grand que celui des hommes.

Comme c'eft dans cette ville qu'arrivent continuellement toutes les richeffes & les marchandises de l'Empire, l'abord des Étrangers y eft prodigieux; ils s'y font porter en chaise, ou vont à cheval, ce qui eft beaucoup plus ordinaire; mais ils ont toujours un conducteur qui connoît les rues & les maisons des Grands & des principaux de la ville on vend même un livre qui enfeigne les quartiers, les places, les lieux remarquables, & la demeure des

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de Pe-tcheli.

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personnes publiques. En été, l'on rencontre d'efpace en espace de petites cabanes où l'on donne au peuple de l'eau à la glace; il trouve par-tout des rafraîchissemens, des fruits, du thé, des maisons où l'on donne à manger; chaque denrée a fes jours & des lieux déterminés pour être expofée en vente.

Le Gouverneur de Pe-king, qui eft un Tartare Mantcheou, s'appelle le Général des neuf portes; fa jurifdiction s'étend non feulement fur les foldats, mais encore fur le peuple, pour tout ce qui concerne la police. Cette police ne fauroit être plus active, & l'on eft furpris de voir, que parmi une multitude presque infinie de Tartares & de Chinois mêlés ensemble, on jouisse à Pe-king d'une fi grande tranquillité. Il est rare qu'en plufieurs années on entende dire qu'il y ait eu des maifons forcées, ou des gens affaffinés; toutes les grandes rues font garnies de corpsde-gardes, dont les foldats rodent nuit & jour, portant un fabre pendu à la ceinture, & tenant un fouet à la main pour en frapper, fans diftinction, ceux qui causent du défordre ou qui excitent des querelles.

Les petites rues, qui font également gardées par des foldats, ont des portes faites en treillis, qui n'empêchent pas de voir ceux qui y marchent; ces portes font fermées pendant la nuit, & on ne les ouvre alors que rarement & à des perfonnes connues, encore faut-il qu'elles aient une lanterne à la main, & qu'elles fortent pour une bonne raison, comme feroit celle d'appeler un Médecin..

Auffi-tôt que le premier coup de veille est donné, deux foldats vont & viennent, d'un corps-de-garde à l'autre, en jouant continuellement d'une espece de cliquette, pour

faire connoître qu'ils ne font point endormis. Ils ne permettent à personne de marcher la nuit; ils interrogent même ceux que l'Empereur envoie pour quelques affaires, & fi leur réponse donne lieu au moindre foupçon, ils ont droit de les mettre en arrêt au corps-de-garde, qui doit répondre à tous les cris de la sentinelle qui est en faction.

C'est par ce bel ordre, qui s'observe avec la derniere exactitude, que la paix, le filence & la fûreté regnent dans toute la ville. Il faut ajouter que le Gouverneur est obligé de faire la ronde, & que les Officiers, qui font de garde fur les murailles & dans les pavillons des portes, où l'on bat les veilles fur de grands tambours d'airain, envoient fans ceffe des fubalternes pour examiner les quartiers qui répondent aux portes où ils fe trouvent. La moindre négligence eft punie dès le lendemain, & l'Officier de garde est cassé. Cette police, qui retranche les assemblées nocturnes, paroîtra fans doute extraordinaire en Europe, & ne fera probablement pas du goût de nos jeunes élégans & de nos petites maîtresses.

Mais les Chinois penfent fenfément; ils croient que les Magistrats d'une ville doivent préférer le bon ordre & la tranquillité publique à de vains divertiffemens, qui entraînent ordinairement une infinité d'attentats contre les biens & la vie des citoyens : il eft vrai que la manutention de cette police coûte beaucoup à l'Empereur, car une partie des foldats dont on vient de parler, ne font entretenus que pour cet objet. Ils font tous à pied, & leur paye est ordinairement très-forte; leur emploi ne confifte pas seulement à veiller fur ceux qui excitent du tumulte pendant

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