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ÉVÉNEMENS REMARQUABLES faus LOUIS XV.

au comte de Lally: « Nous vous fommons, au nom des » ordres religieux, des habitans, & au nôtre, de de» mander, à l'inftant, une fufpenfion d'armes à fir » Cootes, & nous vous rendons refponfable, envers le » roi, de tous les malheurs que des délais hors de faison » pourroient occafionner». Le général assembla le confeil de guerre. Les officiers conclurent à fe rendre prifonniers de guerre, fuivant les cartels établis entre les deux nations; le colonel anglois, Cootes, vouloit avoir la ville à difcrétion : le général eut beau réclamer le cartel de vive voix & par écrit, on périffoit de faim dans la ville: elle fut livrée aux vainqueurs, qui, peu de temps après, la détruifirent de fond en comble, & en difperferent tous les habitans.

Accablé par le chagrin & par la inaladie, le comte de Lally demanda vainement qu'on différât fon tranfport en Angleterre; il fut mené de force fur un vaiffeau marchand, dont le capitaine le traita avec dureté pendant la travèrsée. Arrivé à Londres, il obtint de l'amirauté d'Angleterre la permiffion de paffer en France. La plupart de fes ennemis eurent la même faveur. Ils vinrent à Paris, précédés de plaintes de toutes façons, & de mille écrits dont le royaume étoit inondé. Le confeil de Pondichéri en corps, préfenta une requête au contrôleur-général, contre le comte de Lally. On difoit, dans cette requête « Ce n'eft point le défir de venger nos injures » perfonnelles qui nous anime, c'est la force de la vérité » c'eft le fentiment pur de nos confciences, c'est le cri général ». Le comte de Lally, témoin de ces clameurs, offre de fe mettre à la Baftille; il dit, au duc de Choifeul, à Fontainebleau: J'apporte ici ma tête & mon in

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nocence. L'ordre qu'il follicite eft expédié; il est renfermé dans la même chambre qu'avoit occupée la Bourdonnaye dans ce château. Le roi, par lettres-patentes, ayant renvoyé à la grand-chambre & à la tournelle du parlement de Paris la connoiffance de tous les délits commis dans l'Inde, pour être le procès fait aux auteurs defdits délits, le procureur général rend plainte, contre le comte de Lally, de vexations, de concuffions, de trahifons & de crime de leze-majefté. Le procès fut inftruit pendant deux ans. Il ne paroît pas que le comte de Lally eût trahi l'état, puifque, fi ce général eût été d'intelligence avec les Anglois, s'il leur eût vendu Pondichéri, il feroit refté parmi eux, & n'auroit pas affronté, en France, la fureur de fes ennemis, qu'il favoit être puiffans & déchaînés contre lui. On doit auffi écarter l'accufation de crime de . leze-majefté, puifqu'il n'eft pas fait expreffément mention de ce crime dans l'arrêt de condamnation, mais des duretés, des abus de pouvoir, des oppreffions particulieres; les juges en virent beaucoup dans les dépofitions unanimes des ennemis de l'accufé. Le cri public fert quelquefois de preuve, ou du moins fortifie les preuves. Le célebre d'Agueffeau difoit, dans une de fes mercuriales, en adreffant la parole aux magiftrats, en 1714: «Juftes par la droiture de vos intentions, êtes-vous tou»jours exempts de l'injuftice des préjugés? Et n'eft-ce "pas cette efpece d'injuftice que nous pouvons appeller » l'erreur de la vertu, &, fi nous ofons le dire, le >> crime des gens de bien ». Quel homme, quelle compagnie n'a pas commis de fi pernicieufes erreurs. Le comte de Lally fut condamné à être décapité, comme duement atteint d'avoir trahi les intérêts du roi, de l'état

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& de la compagnie des Indes; d'abus d'autorité, vexation's & exemptions. Voltaire a obfervé, avec justice, au fujet du prononcé de cet arrêt, que « ces mots, trahir » les intérêts, ne fignifient point une perfidie, une tra» hifon formelle, un crime de leze-majefté, en un mot, » la vente de Pondichéri aux Anglois, dont on avoit ac» cufé le comte de Lally; trahir les intérêts de quelqu'un, » veut dire les mal ménager, les mal conduire ».

Cet arrêt, reçu d'abord avec tranfport, parut bien rigoureux, lorsque la vengeance de ceux qui l'avoient follicité & provoqué étant affouvie, laiffa entrer l'équité dans les cœurs, avec la commifération. On plaignit le fort funefte d'un général, ennemi implacable des Anglois, qui les brava toujours; couvert de bleffures en différens combats donnés contre eux en Europe, qui, pendant une miffion de trois ans dans les Indes, avoit livré neuf combats, pris dix villes ou forts; qui, réduit à sept cents hommes de troupes réglées, contre quinze mille hommes de troupes de terre, & quatorze vaiffeaux de ligne, fans un feul bateau pour fa défenfe, avoit foutenu un blocus & un inveftiffement de près de neuf mois, & n'avoit rendu Pondichéri que lorfqu'il ne lui reftoit pas un feul grain de ris, ni aucune espece de nourriture pour la garnifon, déjà exténuée de mifere & de fatigue.

Les Anglois s'emparerent encore, cette année, du fort de Mahé, fur la côte de Malabar, où ils trouverent trois cents dix-neuf pieces de canon, & beaucoup de munitions & de marchandifes. Ils font, dans les Antilles, la conquête de la Dominique, & leur flotte d'obfervation, aux ordres de l'amiral Keppel, infulta les côtes de France. Cette flotte jette l'ancre, le 8 avril, dans la rade de

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Belle-Ifle, à l'entrée du golphe de Biscaye. Le lendemain, quarante-cinq bateaux plats débarquent quatre mille hommes en deux divifions. Ce corps fut prefqu'entierement détruit. Les Anglois, attérés par leur défaftre refterent dans l'inaction jufqu'au 22 du même mois, qu'ils exécuterent leur defcente fur des rocs, près de la pointe qu'on nomme la Maria. Le chevalier de Sainte-Croix qui commandoit, dans l'ifle, environ deux mille hommes, forcé de fe retirer dans la citadelle, s'y défendit avec une intrépidité qui lui mérita des éloges de la part des ennemis mêmes; mais ne recevant point de fecours, il fut obligé de capituler le 7 juin.

La campagne s'ouvrit de bonne heure en Allemagne. Le prince Ferdinand affiége Caffel, à la mi-février, tandis que le prince héréditaire marche au maréchal de Broglie, pour l'empêcher de fecourir cette place. Le maréchal, forcé de lever fes quartiers, rétrograde pour ramaffer fes forces; mais bientôt, ayant été joint par un renfort venu de l'armée du prince de Soubife, il reprend fucceffivement les poftes qu'il avoit abandonnés. Une divifion de fon armée, aux ordres du comte de Stainville, attaque, le 21 mars, le corps aux ordres du prince héréditaire à Atzeinzain, près de Grumberg, & le met en fuite. Deux bataillons des gardes de Brunswick furent faits prifonniers dans cette rencontre; une autre divifion, que le maréchal de Broglie avoit envoyée vers Ziegen-hain, fous les ordres du marquis de Monchenu, défait un corps de l'armée des alliés, qui affiégeoit cette place. Enfin, aux approches de l'armée françoife, le fiege de Caffel eft levé; le prince Ferdinand se retire au-delà d'Imel, & le maréchal fait rentrer les troupes dans leurs quartiers.

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Elles en fortirent, quelques temps après, pour fe remettre en campagne, & l'armée de Soubife s'étant jointe à celle de Broglie, au commencement de juillet, les François avoient une telle fupériorité sur le prince Ferdinand, que l'armée de ce prince fembloit devoir être infailliblement difperfée; une malheureufe méfintelligence entre les deux maréchaux fit fon falut. L'armée des alliés étoit, le 15 juillet, en présence des armées françoifes.

Bataille de Filings-Hauzen. Le maréchal de Broglie attaque l'aile droite de l'armée des alliés, compofée principalement des Anglois, commandés par le lord Grambi. Le feu du canon & de la moufqueterie dura jusqu'à dix heures du foir. Les François pafferent la nuit au bivouae, dans le village de Filings-Hauzen, dont ils s'étoient emparés au commencement de l'action; & le lendemain matin, 16, ils attaquerent de nouveau les Anglois. Le prince Ferdinand, voyant, à neuf heures du matin, que le prince de Soubife ne faifoit pas attaquer fon aile gauche, envoya au fecours des Anglois toutes les troupes qui fe trouverent à portée de faire cette manoeuvre. Le maréchal de Broglie, forcé de céder au nombre des ennemis qui augmentoit fans ceffe, fit fa retraite vers fon camp d'Ofting-Hauzen. Le régiment de Rougé, qui étoit le plus expofé au feu ennemi, fut coupé en partie dans cette retraite, & fait prifonnier. On a beaucoup raifonné fur ce combat; il eft certain que l'affaire avoit été concertée entre les deux maréchaux, & que, fi les deux armées avoient agi de concert, celle des alliés pouvoit être entiérement détruite. Le prince de Soubife accufa le maréchal de Broglie d'avoir commencé trop tôt l'attaque, dans l'efpoir d'acquérir feul l'honneur de la victoire. Le dernier

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