Images de page
PDF
ePub
[graphic]

Fig. 127. Types figuratifs. Autel portatif de Stavelot.

MALE. T. I.

21

Portement de Croix, de la crucifixion, de la Résurrection'; elles étaient tout à fait à leur place sur une croix ou sur un autel.

D'où venaient des scènes si nouvelles? Godefroy de Claire ne les avait pas inventées il les rapportait de Saint-Denis. Nous pouvons l'affirmer pour la grappe de la Terre Promise, représentée avec d'autres sujets allégoriques sur le revêtement d'or

[graphic][subsumed][subsumed][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

entourant l'autel principal de l'église un vers de Suger ne laisse aucun doute sur ce point'.

Quant aux autres scènes, je crois qu'on peut avancer sans crainte qu'on les voyait toutes aussi à Saint-Denis. Et voici pourquoi.

Saint-Denis a été, au xII° siècle, le grand atelier de la peinture sur verre3. Les

1. Pour l'explication de ces symboles, qui ne saurait trouver place ici, voir L'Art religieux du XIIIe siècle en France, 5° édit., p. 142 et suiv.

2. Botrum vecte ferunt qui Christum cum cruce quærunt.

3. J'ai essayé de montrer cela dans l'Histoire de l'Art d André Michel, t. I, 2° partie, p. 784 et suiv.

modèles créés à Saint-Denis étaient si admirés, qu'au commencement du XII° siècle on s'en inspirait encore. A Chartres, le fameux vitrail de Charlemagne est une imitation d'un vitrail de Saint-Denis, antérieur de soixante-dix ans, dont Montfaucon a reproduit quelques panneaux. Le plus intéressant peut-être des vitraux de Chartres est un vitrail symbolique qui met la Passion, la Mort et la Résurrection de JésusChrist en parallèle avec des scènes de l'Ancien Testament. Le vitrail est malheureusement mutilé, mais il a été reproduit, quelques années après, à Bourges et au Mans, avec fort peu de changements. Or, dans le vitrail de Chartres figurent, ou figuraient, tous les types bibliques adoptés par Godefroy de Claire bénédiction de Jacob, veuve de Sarepta, porte marquéc

[graphic]

du tau, grappe de la Terre Promise, Samson, Jonas. Le verrier de Chartres avait-il donc, comme Godefroy de Claire, demandé son inspiration aux créations de Suger, à Saint-Denis ? J'en suis convaincu, bien qu'aujourd'hui les preuves directes fassent défaut. Mais il y a a des preuves indirectes. Les ressemblances extraordinaires qui se remarquent entre les œuvres de Godefroy de Claire et les vitraux de Chartres et de Bourges prouvent l'existence d'un original commun qui ne pouvait être qu'à SaintDenis. Signalons quelques-unes de ces ressemblances. Sur l'autel portatif de Stavelot, aujourd'hui à Bruxelles, Abraham, conduisant Isaac au supplice, porte de la main droite un coutelas, de la main gauche un récipient d'où jaillissent des flammes (fig. 127) tel est l'Abraham du vitrail de Chartres et du vitrail de Bourges. Ce même autel de Stavelot nous montre Jonas sortant à mi-corps de la gueule du monstre marin : du haut du ciel, la main de Dieu fait pleuvoir des rayons de feu sur la face du prophète. Le Jonas de Chartres a été brisé; mais le Jonas de Bourges offre avec celui de Stavelot la plus frappante analogie: le détail si original des rayons partant de la main divine s'y retrouve (fig. 128). La croix émaillée du Musée Britannique est décorée, en son milieu, de la Bénédiction de Jacob; le patriarche, en croisant les bras, bénit ses deux petits-fils inclinés devant lui: Éphraïm et Manassé (fig. 126). La scène est identique au vitrail de Chartres et au vitrail de Bourges (fig. 129); une petite particularité trahit la communauté d'origine sur

Cl. Revue Art anc. et mod. Fig. 129. La Bénédiction de Jacob. Médaillon d'un vitrail de Bourges.

[ocr errors]

1. Montfaucon, Monuments de la Monarchie française, t. I, Pl. XXIV et XXV.

la croix du Musée Britannique, comme au vitrail de Bourges, Jacob est assis entre deux rideaux relevés.

Il paraîtra évident, après ces exemples, qu'un modèle, aujourd'hui perdu, a inspiré à la fois l'œuvre de Godefroy de Claire et celle des verriers français. Tous les faits rassemblés ici prouvent que ce modèle ne pouvait être ailleurs qu'à SaintDenis. Ainsi, toutes les scènes figuratives que nous rencontrons pour la première fois dans l'œuvre de Godefroy de Claire sont nées à Saint-Denis et ont été proposées aux artistes par l'abbé Suger.

IV

Toutes les œuvres symboliques de Saint-Denis: vitraux, revêtement de l'autel, croix émaillée, doivent être antérieures à 1144, date de la consécration solennelle du chœur. Or, avant cette date, le symbolisme est extrêmement rare en Europe'; après cette date, nous le rencontrons partout.

En Angleterre, le plus ancien exemple d'un grand ensemble typologique se voyait à Peterborough. Tout le chœur de l'église était décoré de fresques, aujourd'hui détruites, mais dont les inscriptions, relevées jadis, nous sont connues. Chaque scène de la vie de Jésus-Christ était accompagnée des épisodes de l'Ancien Testament qui en sont la figure. L'œuvre devait presque égaler par la richesse du symbolisme le fameux pied de croix de Suger.

On y voyait, justement, les scènes figuratives qui nous ont semblé apparaitre pour la première fois à Saint-Denis: veuve de Sarepta, bénédiction de Jacob, tau inscrit sur le front des Hébreux et sur les portes de leurs maisons. Or, les fresques de Peterborough, comme le prouve un document, n'étaient pas antérieures à 11703.

L'Allemagne a connu un peu plus tôt que l'Angleterre le nouveau symbolisme. C'est vers 1160 que l'orfèvre Fridericus, de Cologne, dut achever le plus curieux

1. On ne le rencontre guère que sur quelques autels portatifs allemands du commencement du x11° siècle, qui perpétuent la tradition carolingienne du Sacramentaire de Drogon. Ils illustrent le canon de la messe. On y voit donc le sacrifice d'Abraham, l'offrande d'Abel et de Melchisedec, et quelquefois le grand-prêtre Aaron et Moïse. Je citerai comme exemples l'autel portatif de München-Gladbach et celui de la collection Martin Le Roy, que MM. O. von Falke et Frauberger attribuent à l'orfèvre de Cologne Eilbertus, et datent des environs de 1130.

2. Le Psautier de Peterborough, beau manuscrit anglais enluminé vers le milieu du xe siècle, nous donne une reproduction rajeunie des peintures de l'église. C'est ce qu'a établi M. Montague Rhodes James dans le tome X des Cambridge antiquarian Society's communications. Les inscriptions qui accompagnent les miniatures sont les mêmes qui accompagnaient les fresques. Elles se retrouvent dans un vitrail symbolique de Cantorbéry.

3. Voir Le Psautier de Peterborough, publié par J. van den Gheym, Haarlem, in fol., p. 11 et suiv.

des autels portatifs allemands'. De petites scènes, accompagnées d'inscriptions explicatives, nous montrent les allégories de la Rédemption qui nous sont familières grappe de la Terre Promise, croix de la veuve de Sarepta, tau inscrit sur la porte des maisons ou sur le front des Hébreux. C'est tout le symbolisme de SaintDenis qui pénètre en Allemagne. Qui avait transmis à l'orfèvre allemand des motifs si nouveaux? MM. O. von Falke et Frauberger, frappés de certaines analogies de technique, ont affirmé que Fridericus s'était trouvé en contact, à un certain moment de sa carrière, avec l'atelier de Godefroy de Claire. Cette rencontre aurait eu lieu, vers 1160, au temps où Godefroy de Claire travaillait à Cologne à la châsse de saint Heribert de Deutz, et rien n'est plus vraisemblable. L'hypothèse admise, on ne s'étonnera plus de rencontrer le symbolisme de Saint-Denis dans l'œuvre d'un orfèvre allemand.

C'est encore un orfèvre, mais un orfèvre français, Nicolas de Verdun, qui, vingt ans après, donna à l'Autriche le bel ensemble symbolique de Klosterneubourg. Il n'y a rien de plus magnifique en Europe: d'admirables émaux, qui décoraient jadis un ambon et qui forment maintenant un retable, mettent les scènes du Nouveau Testament en opposition avec les figures de l'Ancien 2. La croix de Suger, revêtue de ses émaux, devait ressembler à cela. On dirait que l'artiste s'en est inspiré, car la grappe de la Terre Promise, le signe tau inscrit au fronton des maisons nous ramènent encore à Saint-Denis. L'œuvre est datée de 1181. Nicolas de Verdun avait-il reçu l'enseignement de Godefroy de Claire? Était-il un des derniers disciples des Lorrains qui avaient travaillé pour Suger? Nous ne le savons pas, mais tout invite à le supposer.

L'Allemagne accueille donc dans la seconde moitié du xn° siècle le symbolisme né dans l'Ile-de-France. A partir de 1160 environ, il y eut en Allemagne des émaux, des fresques, des miniatures symboliques. Nous retrouvons parfois dans ces œuvres le souvenir d'originaux qui nous sont connus. Une fresque de l'abbaye de Gröningen. en Saxe nous montre un Moïse frappant le rocher presque semblable au Moïse du pied de la croix de Saint-Bertin.

De Saint-Denis, le nouveau symbolisme n'a donc pas tardé à rayonner sur une partie de l'Europe chrétienne. Chose curieuse, c'est en France qu'il a laissé, au x11° siècle, le moins de traces. Pourtant, entre les vitraux symboliques du x1° siècle et les créations de Suger, il y a, nous l'avons vu, d'étroits rapports; il faut donc

1. Reproduit dans les Annales archéologiques, t. VIII, p. 1. L'autel a été rattaché au groupe des œuvres de l'orfèvre Fridericus par MM. Otto von Falke et Frauberger.

2. Voir les reproductions données par Drexler, Der Verduner Altar, Vienne, 1903, in-fol.

3. Anciennes fresques de Saint-Emmeran de Ratisbonne, peintes probablement entre 1177 et 1201 (Zeitschrift für christliche Kunst, 1902, col. 206): le chœur de l'église de Saint-Emmeran était consacré à saint Denis; fresques de Gröningen (Saxe) (Zeitsch. für christl. Kunst, 1912, col. 298); Missel d'Hildesheim (seconde moitié du XIIe siècle), où plusieurs faits symboliques de l'Ancieu Testament se groupent autour d'un seul événement de la vie de J.-C. (Zeitsch. für christl. Kunst, 1902, col. 265 et suiv.).

« PrécédentContinuer »