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CHAPITRE VIII

ENRICHISSEMENT DE L'ICONOGRAPHIE

LES PÈLERINAGES

LES ROUTES DE FRANCE ET D'ESPAGNE

I. LES SANCTUAIRES DE LA VIERGE. A BOURGES.

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CLERMONT. LA VIERGE DE CLERMONT ET SON INFLUENCE EN AUVERGNE. - LE PUY. II. LES ROUTES DE SAINT-JACQUES DE COMPostelle. LES SANCTUAIRES VISITÉS PAR LES PÈLERINS. ORIGINES DE LA LÉGENDE DE SAINT JACQUES. ORGANISATION DU PÈLERINAGE PAR CLUNY. — III. L'art et les routes de Saint-Jacques. ICONOGRAPHIE nouvelle de l'Apôtre saint JACQUES CRÉÉE PAR LE PÈLErinage. IV. LES GRANDES ÉGLISES DE LA ROUTE DE SAINT-JACQUES. ELLES DÉRIVENT DE SAINT-MARTIN DE TOURS. LA SCULPTURE ROMANE SUR LA ROUTE DE SAINT-JACQUES. LA SCULPTURE GOTHIQUE PÉNÈTRE DANS LE MIDI ET EN ESPAGNE PAR LA ROUTE de Saint-Jacques. V. LES PÈLERINAGES ET L'épopée. LA LÉGENDE de Pépin le BREF AU PORTAIL DE FERRIÈRES EN GATINAIS. LE PÈLERINAGE De Charlemagne a JérusaleM ET LE VITRAIL DE SAINT-DENIS. LE TOMBEAU D'OGIER A SAINT-FARON DE MEAUX. ROLAND DANS LE CLOÎTRE DE RONCEVAUX ET PEUT-ÊTRE A NOTre-DameDE-LA-RÈGLE A LIMOGES. CONJECTURES SUR LES CHAPITEAUX DE CONQUES, DE BRIOUDE, d'Agen. LES JONGLEURS REPRÉSENTÉS DANS LES ÉGLISES.

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LE Roman de Renart A AMBOISE.

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I

En France, peu de sanctuaires ont été plus fréquentés par les pèlerins que ceux de la Vierge. Au x11° siècle, ils étaient déjà nombreux. Des légendes, où se mêlent les parfums d'une nature sauvage, enveloppent leur origine des bûcherons découvrent dans la forêt une image de la Vierge cachée sous l'écorce d'un chêne; des bergers trouvent sa statue près d'une fontaine, près d'un dolmen, au milieu des épines du buisson. Des noms gracieux, donnés aux églises de la Vierge, rappellent parfois ces vieux récits. Dans ces légendes tout n'est peut-être pas fabuleux: souvent le paysan dut prendre pour une statue de la Vierge quelque figurine galloromaine. Rien ne ressemble plus, en effet, au groupe de la Vierge et de l'Enfant que

MALE. T. I.

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certaines statuettes de nos collections. On voit, au Musée d'Orléans, une de ces déesses-mères qu'on a quelque peine à ne pas confondre avec une Notre-Dame.

Le plus antique et le plus illustre de nos sanctuaires de la Vierge fut celui de Chartres. Au xr siècle, la Vierge de Chartres était déjà, pour les Français du Nord, la Vierge par excellence. Elle semblait distincte des autres Vierges. La mère de Guibert de Nogent la vit en songe, rayonnante de beauté '.

Deux merveilles attiraient les pèlerins à Chartres: une grotte mystérieuse cachée sous l'église, et une châsse contenant un trésor sans prix, la sainte tunique que portait la Vierge le jour de l'Annonciation, au moment même où le Verbe fut conçu. Peut-être le moyen âge n'eut-il pas de relique plus poétique que celle-là. Les Jacobins qui ouvrirent la châsse en 1793, et qui la croyaient vide, furent surpris d'y trouver une pièce d'étoffe d'aspect très antique. Le savant abbé Barthélemy, consulté, répondit que l'étoffe était orientale et pouvait remonter aux premiers siècles de notre ère. La Sainte Tunique avait son histoire conservée d'abord à Constantinople, elle avait été envoyée à Charlemagne par l'empereur Constantin V; en 861, Charles le Chauve en fit présent à la cathédrale de Chartres. Dès lors les fidèles y affluèrent, et la châsse s'enrichit, au cours des siècles, de pierreries, de camées antiques, d'appliques d'or qu'ils y attachaient.

La grotte s'ouvrait sous la cathédrale. Les pèlerins y apercevaient, à la lueur des cierges, une statue en bois qui représentait la Vierge assise portant l'Enfant sur ses genoux. Cette statue de la Vierge était entourée d'une profonde vénération. Pourtant les anciens documents sont muets sur elle; c'est en 1389 qu'il en est parlé pour la première fois dans la Vieille Chronique de Chartres des vieillards, nous dit l'auteur, lui ont raconté qu'elle avait été faite, avant la naissance de Jésus-Christ, sur l'ordre d'un prince païen, en l'honneur d'une Vierge qui devait enfanter. Au XVI° siècle, le continuateur de la Chronique, un humaniste qui avait lu César, rapporte que la statue était l'œuvre des Druides qui s'assemblaient en ce lieu.

On voit que la fameuse légende de la statue druidique de Chartres n'est pas fort ancienne. Cette statue célèbre fut brûlée en 1793; elle ne nous est plus connue. aujourd'hui que par une copie conservée en Hollande, à Bergen-op-Zoom, et par une ancienne gravure. Réplique et gravure mettent sous nos yeux une œuvre hybride, qui semble avoir été refaite au xvII° siècle. L'original, que nous entrevoyons à travers la copie, ne pouvait remonter plus haut que le xII° siècle : la pose de la Vierge majestueusement assise, l'attitude hiératique de l'Enfant sont de cette époque. Il n'était pas possible d'ailleurs qu'une œuvre pareille apparût dans la France du Nord avant le

1. Guibert de Nogent, Vita, I, XVI, Patrol., t. CLVI, col. 871.

2. René Merlet, Revue archéol., 1902, t. II, p. 432. Les anciens écrivains de Chartres ne parlent jamais de cette statue; ils n'attribuent pas non plus à l'église de Chartres une antiquité exceptionnelle. C'est dans un document de 1322 qu'il est dit, pour la première fois, que l'église de Chartres a été élevée à la Vierge de son vivant. Voir M. Jusselin, Les traditions de l'église de Chartres, Chartres, 1914.

XIIe siècle. La statue de la Vierge de Chartres n'existait certainement pas au xr° siècle, et voici pourquoi. Vers 1013, un ancien élève de l'école de Chartres, un disciple de Fulbert, l'écolâtre d'Angers, Bernard, fit avec un compagnon un voyage dans le Midi de la France. Grand fut son étonnement, quand il vit à Conques la statue assise de sainte Foy, à Aurillac la statue de saint Géraud; il lui sembla que les fidèles agenouillés devant ces statues adoraient des idoles. « Jupiter ou Mars, dit-il ironiquement à son compagnon, ne se seraient-ils pas accommodés d'une pareille statue? »

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Rien ne lui paraît plus choquant que ces honneurs rendus à des simulacres de bois ou de bronze; seule l'image du Christ en croix doit être, suivant lui, présentée à la vénération des chrétiens'. Pour qu'un ancien étudiant de Chartres ait pu écrire ces lignes, il fallait qu'au x1° siècle il n'y eût pas encore de statue de la Vierge dans la grotte de l'église; car il eût pu voir tous les jours à Chartres ce qui lui causait tant de surprise à Conques.

La Vierge de Chartres n'était donc pas, je crois, antérieure au XIe siècle. On a émis l'idée que cette statue de bois, adoptée par la dévotion des pèlerins, avait aus

1. Miracula Sanctæ Fidis, Lib. I, cap. XIII, éd. A. Bouillet.

sitôt inspiré les artistes ; le sculpteur qui fit, vers 1150, la belle Vierge en majesté dú portail occidental de Chartres l'aurait copiée. L'hypothèse peut séduire, mais elle reste invérifiable. Rien ne prouve que la statue de bois existât déjà dans la crypte vers 1150; et, si elle existait, rien ne prouve qu'une œuvre, alors récente, fùt déjà entourée d'une si profonde vénération. Le bas-relief de pierre ressemble, il est vrai, à la statue de bois; la Vierge, assise sur son trône, soutient l'Enfant assis exactement au milieu de sa poitrine. Mais ces ressemblances s'expliquent sans peine par l'imitation d'un modèle commun. Nous reconnaissons la Vierge en majesté de l'Orient, cette Vierge, grandiose comme une idée théologique, que l'art créa après le concile d'Éphèse.

Il est donc douteux que la Vierge de la crypte de Chartres ait été imitée, mais il est certain que la Vierge sculptée au tympan l'a été. Elle fut la première Vierge qui apparut à la façade d'une église (fig. 178). Le pèlerin, avant d'entrer dans la cathédrale, la contemplait avec respect; il lui semblait voir la reine du lieu, NotreDame de Chartres elle-même. Il fallut tout le prestige du sanctuaire de Chartres pour déterminer les artistes à représenter la Vierge dans un tympan, à la place réservée jusque-là à son Fils. Non seulement cette audace ne choqua point, mais elle fut bientôt imitée. Quelques années après, la Vierge de Chartres reparut au tympan du portail Sainte-Anne à Notre-Dame de Paris (fig. 179). Si l'on compare attentivement les deux œuvres, on reconnaît qu'elles sont du même atelier, et peutêtre du même artiste', car presque toutes les particularités de l'original se retrouvent dans la copie.

Pourquoi l'évêque de Paris, Maurice de Sully, fit-il reproduire avec tant de fidélité la Vierge de Chartres? Il fut sans doute séduit par sa beauté, car il n'y a rien de plus magnifique que cette majestueuse Vierge, qui porte son Fils avec la gravité sacerdotale du prêtre portant le calice. Mais Maurice de Sully ne pouvait oublier que cette belle Vierge était la Vierge de Chartres, la plus illustre du royaume, celle que tant de pèlerins avaient saluée au seuil de son église; il voulut donner aux fidèles la joie de retrouver son image à Paris.

Au même moment, une Vierge pareille fut sculptée pour une autre église, probablement une église de l'Ile-de-France. Cette nouvelle Vierge de Chartres se voit aujourd'hui dans la collection Martin Le Roy : elle ressemble fidèlement à ses deux sœurs, mais elle n'a pas la mème perfection.

Au XIe siècle, une Vierge semblable reparut au portail septentrional de Bourges; elle a, au-dessus de la tête, le ciborium, qui donne à la Vierge de Paris tant de majesté (fig. 54). C'est Paris que l'on imitait à Bourges ; mais l'on n'avait sans doute pas oublié que cette Vierge majestueuse était celle que les pèlerins allaient vénérer à Chartres. Enfin, à Toulouse même, dans ce Midi d'où la France du Nord avait reçu

1. J'ai fait cette comparaison dans la Revue de l'art ancien et moderne, 198, t. II, p. 231: Le portail SainteAnne à Notre-Dame de Paris.

ses premières leçons, la Vierge de Chartres fut imitée dans le cloître de la Daurade. Elle décorait jadis l'entrée de la salle capitulaire; elle est aujourd'hui au Musée. L'œuvre, qui est de la fin du XII° siècle, est déjà moins hiératique, le mouvement s'y introduit, mais le modèle demeure reconnaissable '.

Ainsi le pèlerinage de Chartres n'a pas été sans influence sur l'art; il a propagé, au xII° siècle, un magnifique type de Vierge.

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Bien loin de Chartres, dans la France du Sud, à Clermont, on entrevoit, dans le demi-jour, une antique tradition de dévotion à la Vierge. Au xII° siècle, les deux principales églises de la ville, la cathédrale et Notre-Dame-du-Port, lui étaient consacrées. A Notre-Dame-du-Port, les chapiteaux sculptés qui entourent l'autel semblent les strophes d'un poème en l'honneur de la Vierge. La cathédrale de Clermont, dédiée depuis son origine aux deux martyrs Agricol et Vital, fut placée, au x° siècle, sous le patronage de sainte Marie. Dès le x° siècle, une statue assise de

1. La tête de l'Enfant est moderne. La Vierge est sous un ciborium fort analogue à celui de Notre-Dame de Paris. Ce ciborium existait jadis à Chartres; la base d'une des colonnes se voit encore près de la Vierge. 2. Monuments Piot, VIII, Pl. 9 (Paris, Leroux).

3. Les noms des saints Agricol et Vital furent conservés, mais places après celui de la Vierge.

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