Images de page
PDF
ePub

la diminution du mal tenant lieu de bien dans les maux, ce qui est moins mauvais a plus de cette sorte de bonté que ce qui est plus mauvais.

Il faut donc éviter de s'embarrasser mal à propos par la chaleur de la dispute à chicaner sur ces façons de parler, comme fit un grammairien donatiste, nommé Cresconius, en écrivant contre saint Augustin; car ce saint ayant dit que les catholiques avaient plus de raison de reprocher aux donatistes d'avoir livré les livres sacrés, que les donatistes n'en avaient de le reprocher aux catholiques: Traditionem nos vobis probabilius objicimus, Cresconius s'imagina avoir droit de conclure de ces paroles, que saint Augustin avouait par là que les donatistes avaient raison de le reprocher aux catholiques. Si enim vos probabilius, disait-il, nos ergo probabiliter: nam gradus iste quod ante positum est auget, non quod ante dictum est improbat. Mais saint Augustin réfute premièrement cette vaine subtilité par des exemples de l'Écriture, et entre autres par ce passage de l'Épître aux Hébreux, où saint Paul ayant dit que la terre qui ne porte que des épines était maudite et ne devait attendre que le feu, il ajoute 1: Confidimus autem de vobis, fratres charissimi, meliora; non quia, dit ce Père, bona illa erant quæ supra dixerat, proferre spinas et tribulos, et ustionem mereri, sed magis quia mala erant, ut illis devitatis meliora eligerent et optarent, hoc est, bona tantis malis contraria. Et il lui montre ensuite, par les plus célèbres auteurs de son art, combien la conséquence était fausse, puisqu'on aurait pu, de la même sorte, reprocher à Virgile d'avoir pris pour une bonne chose la violence d'une maladie qui porte les hommes à se déchirer avec leurs propres dents, parce qu'il souhaite une meilleure fortune aux gens de bien.

Di meliora piis erroremque hostibus illum!

Discissos nudis laniabant dentibus artus2.

Quomodo ergo « meliora piis, » dit ce Père, quasi bona essent istis, ac non potius magna mala, qui

Discissos nudis laniabant dentibus artus?

1. Contra Cresconium grammaticum partis Donati, lib. III, cap. LXXIII, LXXIV et LXXV.

2. Virgile, Géorg., lib. III, v. 513, 514.

DES INCEPTIVES OU DÉSITIVES.

Lorsqu'on dit qu'une chose a commencé ou cessé d'être telle, on fait deux jugements: l'un de ce qu'était cette chose avant le temps dont on parle; l'autre de ce qu'elle est depuis ; et ainsi ces propositions, dont les unes sont appelées inceptives, et les autres désitives, sont composées dans le sens, et elles sont si semblables, qu'il est plus à propos de n'en faire qu'une espèce, et de les traiter ensemble.

Les Juifs ont commencé, depuis le retour de la captivité de Babylone, à ne plus se servir de leurs caractères anciens, qui sont ceux qu'on appelle maintenant samaritains.

La langue latine a cessé d'être vulgaire en Italie depuis cinq

cents ans.

Les Juifs n'ont commencé qu'au cinquième siècle depuis J. C. à se servir des points pour marquer les voyelles.

Ces propositions se contredisent selon l'un et l'autre rapport aux deux temps différents. Ainsi il y en a qui contredisent cette dernière, en prétendant, quoique faussement, que les Juifs ont toujours eu l'usage des points, au moins pour les livres, et qu'ils étaient gardés dans le temple; et d'autres la contredisent, en prétendant, au contraire, que l'usage des points est même plus nouveau que le cinquième siècle.

RÉFLEXION GÉNÉRALE.

Quoique nous ayons montré que les propositions exclusives, exceptives, etc.., pouvaient être contredites en plusieurs manières, il est vrai néanmoins que quand on les nie simplement sans s'expliquer davantage, la négation tombe naturellement sur l'exclusion, ou l'exception, ou la comparaison, ou le changement marqué par les mots de commencer et de cesser. C'est pourquoi si une personne croyait qu'Épicure n'a pas mis le souverain bien dans la volupté du corps, et qu'on lui dit que le seul Épicure y a

mis le souverain bien, si elle le niait simplement sans ajouter autre chose, elle ne satisferait pas à sa pensée, parce qu'on aurait sujet de croire, sur cette simple négation, qu'elle demeure d'accord qu'Épicure a mis en effet le souverain bien dans la volupté du corps, mais qu'elle ne le croit pas seul de cet avis.

De même, si, connaissant la probité d'un juge, on me demandait s'il ne vend plus la justice, je ne pourrais pas répondre simplement par non, parce que le non signifierait qu'il ne la vend plus, mais laisserait croire en même temps que je reconnais qu'il l'a autrefois vendue.

Et c'est ce qui fait voir qu'il y a des propositions auxquelles il serait injuste de demander qu'on y répondit simplement par oui ou par non, parce qu'en formant deux sens, on n'y peut faire de réponse juste qu'en s'expliquant sur l'un et sur l'autre.

CHAPITRE XI.

Observations pour reconnaître dans quelques propositions exprimées d'une manière moins ordinaire, quel en est le sujet et quel en est l'attribut.

C'est sans doute un défaut de la logique ordinaire, qu'on n'accoutume point ceux qui l'apprennent à reconnaître la nature des propositions et des raisonnements, qu'en les attachant à l'ordre et à l'arrangement dont on les forme dans les écoles, qui est souvent très-différent de celui dont on les forme dans le monde et dans les livres, soit d'éloquence, soit de morale, soit des autres sciences.

Ainsi on n'a presque point d'autre idée d'un sujet et d'un attribut, sinon que l'un est le premier terme d'une proposition, et l'autre le dernier; et de l'universalité ou particularité, sinon qu'il y a dans l'une omnis ou nullus, tout ou nul, et dans l'autre aliquis, quelque.

Cependant tout cela trompe très-souvent, et il est besoin de

jugement pour discerner ces choses en plusieurs propositions. Commençons par le sujet et l'attribut.

L'unique et véritable règle est de regarder par le sens ce dont on affirme, et ce qu'on affirme; car le premier est toujours le sujet, et le dernier l'attribut, en quelque ordre qu'ils se trouvent.

Ainsi il n'y a rien de plus commun en latin que ces sortes de propositions: Turpe est obsequi libidini; il est honteux d'étre esclave de ses passions; où il est visible par le sens, que turpe, honteux, est ce qu'on affirme, et par conséquent l'attribut, et obsequi libidini, être esclave de ses passions, ce dont on affirme, c'est-à-dire ce qu'on assure être honteux, et par conséquent le sujet. De même dans saint Paul: Est quæstus magnus pietas cum sufficientia, le vrai ordre serait, pietas cum sufficientia est quæstus magnus.

Et de même dans ces vers:

Felix qui potuit rerum cognoscere causas;
Atque metus omnes, et inexorabile fatum

Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari‘.

Felix est l'attribut, et le reste le sujet.

Le sujet et l'attribut sont souvent encore plus difficiles à reconnaître dans les propositions complexes; et nous avons déjà vu qu'on ne peut quelquefois juger que par la suite du discours et l'intention d'un auteur, quelle est la proposition principale, et quelle est l'incidente dans ces sortes de propositions.

Mais, outre ce que nous avons dit, on peut encore remarquer que, dans ces propositions complexes, où la première partie n'est que la proposition incidente, et la dernière est la principale, comme dans la majeure et la conclusion de ce raisonne

ment:

Dieu commande d'honorer les rois.

Louis XIV est roi.

Donc Dieu commande d'honorer Louis XIV,

il faut souvent changer le verbe actif en passif, pour avoir lo

1. Ad Timoth., VI, 6.

2. Virgile, Géorg., III, v. 400 et sq.

vrai sujet de cette proposition principale, comme dans cet exemple même; car il est visible que, raisonnant de la sorte, mon intention principale, dans la majeure, est d'affirmer quelque chose des rois, dont je puisse conclure qu'il faut honorer Louis XIV; et ainsi ce que je dis du commandement de Dieu n'est proprement qu'une proposition incidente qui confirme cette affirmation: Les rois doivent être honorés; reges sunt honorandi. D'où il s'ensuit que les rois est le sujet de la majeure, et Louis XIV le sujet de la conclusion, quoique à ne considérer les choses que superficiellement, l'un et l'autre semblent n'être qu'une partie de l'attribut.

Ce sont aussi des propositions fort ordinaires à notre langue: C'est une folie que de s'arrêter à des flatteurs; c'est de la gréle qui tombe; c'est un Dieu qui nous a rachetés. Or, le sens doit faire encore juger que, pour les remettre dans l'arrangement naturel, en plaçant le sujet avant l'attribut, il faudrait les exprimer ainsi: S'arrêter à des flatteurs est une folie; ce qui tombe est de la gréle; celui qui nous a rachetés est Dieu; et cela est presque universel dans toutes les propositions qui commencent par c'est, où l'on trouve après un qui ou un que, d'avoir leur attribut au commencement et le sujet à la fin. C'est assez d'en avoir averti une fois, et tous ces exemples ne sont que pour faire voir qu'on en doit juger par le sens, et non par l'ordre des mots. Ce qui est un avis très-nécessaire pour ne pas se tromper, en prenant des syllogismes pour vicieux qui sont en effet très-bons; parce que, faute de discerner dans les propositions le sujet et l'attribut, on croit qu'ils sont contraires aux règles lorsqu'ils y sont très-conformes.

« PrécédentContinuer »